Le mois de juillet marque la fin de l'aventure en Espagne pour des milliers de jeunes étudiants français, qui achèvent à cette occasion leur année d'échange universitaire à l'étranger, dans le cadre du célèbre programme de mobilité européen. Derniers cours et examens, dernières soirées, derniers échanges entres étudiants étrangers issus du même programme et bientôt ou déjà l'au-revoir... Quelles images garderont-ils ? Ressentent-ils une certaine appréhension à l'idée de rentrer au pays ? S'estiment-ils plus "employables" et plus "européens" désormais, alors que le programme emblématique a été menacé d'extinction cet hiver ? Témoignages.
(Julie / Photo lepetitjournal.com)
Julie, 21 ans, allure soignée, peau d'ébène et cheveux bouclés, vit à Madrid depuis le mois de septembre. Lorsqu'elle s'assoit à la table d'un bar de Malasaña en cette fin d'après-midi du mois de juin pour répondre à nos questions, la jeune Toulousaine, étudiante en administration, affiche un large et beau sourire. Le programme Erasmus ? "C'est un sujet qui me tient à cœur", nous avait-elle retourné avant l'entretien, lors de la prise de contact. "Entre Erasmus, on en est justement tous à tirer le bilan et redouter le départ..." Cette pointe de nostalgie la rattrape au moment de débuter l'interview. "À l'origine, je ne pensais pas être capable de m'expatrier en Espagne. C'est pourquoi j'avais demandé à l'administration de mon université de n'accomplir qu'un seul semestre à Madrid. La vie en colocation, loin de ma famille et de mes amis, dans une langue que je ne maîtrisais pas... C'était déjà très long, selon moi. Finalement, je m'y suis adaptée et cela m'a plu. J'ai prolongé d'un second semestre. Et c'est très cliché de dire ça, mais j'ai vécu la meilleure expérience de ma vie."
"L'Auberge espagnole", de la fiction à la réalité pour Julie
Quitter la capitale espagnole est un véritable crève-cœur pour Julie, comme pour bon nombre d'étudiants Erasmus français. Chaque année, ils sont des milliers à franchir les Pyrénées (lire encadré ci-contre) dans l'espoir de vivre, pour la plupart d'entre eux, la même parenthèse enchantée que l'on retrouve dans le film-référence de toute une génération de francophiles, "L'Auberge espagnole", avec Romain Duris et Cécile de France. "C'est totalement ça", s'enthousiasme Julie, un verre de soda glacé dans la main. "Le casting dans la colocation, les cours à la fac, les rencontres multiculturelles, la fête tous les jours... Il y a clairement des scènes que j'ai retrouvées lors de soirées ou de galères personnelles. (...) Je pense quand même qu'il était plus simple d'être Erasmus en Espagne à leur époque qu'à la nôtre." On y reviendra.
Pas une découverte pour Paloma, franco-espagnole et déjà très globetrotteuse
Paloma, 20 ans, fait partie de celles et ceux pour qui -au contraire- l'Espagne n'était pas une découverte. "Je suis franco-espagnole par ma mère. Je connais très bien ce pays. Je parle couramment l'espagnol. J'ai de la famille un peu partout en Espagne. À Madrid, je voulais étudier le journalisme dans ce que je considère ma seconde langue." Paloma est étudiante en troisième année à l'Ecole française des attachés de presse (EFAP) de Lyon. Elle vient d'accomplir cinq mois d'échange au sein d'une grande université de la capitale. "L'université de Madrid proposait un cursus en or avec des matières vraiment intéressantes", s'exclame-t-elle. "Après, j'ai abordé l'expérience Erasmus avec moins d'enthousiasme que les autres. L'été dernier, je suis partie travailler trois mois en Floride, chez Walt Disney World. Ils ont un programme de stage spécialement dédié pour les étudiants du monde entier. C'est l'expérience la plus folle de ma vie, et de loin. Je suis arrivée ici en ayant donc un peu déjà vécu l'expérience Erasmus, sauf qu'elle était à l'échelle mondiale et à la sauce américaine."
"90% de positif dans cette expérience"
Néanmoins, Paloma -la franco-espagnole- et Julie -la Toulousaine- narrent avec le même souvenir ému les images fortes de leur séjour au pays de Cervantès. Un road-trip de quatre jours aux Îles Canaries, des escapades en cascade à Séville ("Je suis tombée amoureuse de cette ville que je ne connaissais pas") pour la première ; "des soirées exceptionnelles", "un Espagne - France de feu" au Stade Calderón (match de football qualificatif pour le Mondial 2014, qui a eu lieu au mois d'octobre), des voyages à Séville pour la Féria et Grenade pour la Semaine Sainte et enfin le concert du célèbre DJ français David Guetta en cerise sur le gâteau pour la seconde. Paloma et Julie insistent également sur les échanges linguistiques et multiculturels qu'elles ont eus au cours de leur séjour Erasmus. "Je vivais avec quatre colocataires : deux Français, un Irlandais et un Espagnol", raconte Julie. "J'ai vraiment fait des rencontres enrichissantes et fortes. J'ai trouvé de véritables amis, surtout du coté de nos voisins belges !", ajoute Paloma. "Cependant, la moitié de ma bande d'amis était Sud-Américains : de Colombie, du Mexique, d'Argentine..." "C'est une expérience extraordinaire à tous les niveaux, linguistique, culturel ou personnel", renchérit Julie. "Pour moi, elle est positive à 90 %. Je me sens beaucoup plus épanouie maintenant."
(Paloma / Photo repro)
Le montant des bourses Erasmus en question
L'argent, c'est le petit point noir du séjour de Paloma et de Julie (les 10 % que cette dernière évoque à demi-mot). L'argent, ou plutôt les bourses qui leur ont été allouées. Julie explique que pour payer son loyer de 300 euros dans le quartier de Malasaña, elle a puisé dans la bourse du Conseil régional du Midi-Pyrénées (70 euros la semaine, soit 280 euros le mois) ainsi que dans ses économies. "J'avais travaillé l'été dernier, donc ça va, j'avais de l'argent de côté, mais bon..." Paloma est plus véhémente : "J'ai touché la bourse Erasmus, mais j'attends encore le deuxième virement. Et puis la somme touchée par les étudiants français me semble scandaleuse comparée aux autres. Les Belges touchaient plus de 1.000 euros, les Italiens 2.000 et nous... 450. Heureusement, grâce à mes critères sociaux, je pouvais toucher la bourse Explo'ra Sup, spécifique à la région Rhône-Alpes. Sans elle, mon Erasmus aurait été très très compliqué." Il existe en effet des disparités géographiques dans le montant des bourses réservées aux étudiants. La Commission européenne renseigne néanmoins que l'enveloppe moyenne dans les pays de l'Union s'élève à 250 euros. "Elle permet de financer la prise des repas et les déplacements entre le lieu de résidence et le lieu d'études", peut-on lire sur le site internet communautaire dédié. Mais aussi, "elle exonère des frais d'inscription." Ce qui n'est pas une paille, il faut bien l'avouer.
Erasmus en danger ? "Inimaginable de le supprimer"
La question de la disparité des bourses mène tout droit à leur financement : cet hiver, il a fallu un accord exceptionnel entre les plus grands chefs d'État à Bruxelles et la mobilisation de centaines de milliers d'étudiants Erasmus dans l'opinion publique et sur les réseaux sociaux (notamment cette page Facebook) pour éviter la mort du programme emblématique de la construction européenne, qui a fêté ses 25 ans en 2012, drainant 3 millions d'étudiants depuis son lancement. "La Commission européenne évoque un déficit de 180 millions d'euros dans le budget du programme 'Éducation et formation tout au long de la vie' (EFTLV) et de 90 millions pour, simplement, verser les bourses Erasmus de l'année en cours", écrivait début décembre dernier le journaliste du Monde Olivier Rollot dans une note très bien renseignée sur son blog personnel. Un accord de six milliards d'euros a finalement été trouvé fin 2012, permettant de couvrir les factures de l'année 2012-2013, mais aussi d'assurer la pérennité du programme pour la nouvelle année universitaire. "Quand j'ai entendu que le programme Erasmus était en danger, je me suis dit : 'Ouf, heureusement que je l'ai fait cette année'. Pour moi, dans tous les cas, c'est inimaginable de le supprimer", estime Julie.
Aujourd'hui, Julie, plus qu'enchantée par son expérience et toujours avec le même sourire aux lèvres, se dit prête à revêtir l'habit d'ambassadrice du programme. "Quand je vais rentrer en France, je pense, c'est même sûr, m'inscrire à l'association Erasmus de la fac. Ce sujet m'intéresse énormément désormais. Je suivrai avec attention les élections européennes en 2014. (...) Si j'avais un conseil à donner à des personnes qui hésiteraient à franchir le pas, comme moi à l'époque, je leur dirais : foncez !"
Erasmus en chiffres Le programme Erasmus a concerné 270.000 étudiants européens au cours de l'année universitaire 2012-2013. Depuis le lancement du programme, en 1987, ce sont trois millions d'étudiants qui ont pu effectuer un échange universitaire ou un stage à l'étranger. Comme les années précédentes, l'Espagne reste la destination la plus prisée des étudiants (37.432 en 2010-2011, soit environ 16,2 % du total), devant la France (27.722, soit 12 %) et l'Allemagne (24.733, soit 10,7 %). A l'inverse, ce sont aussi les Espagnols qui émigrent le plus (31.158 étudiants espagnols en échange en 2009/2010 soit 14,61 % du total), devant les Français (30.213 étudiants français en échange soit 14,17% du total). La mobilité offerte par Erasmus occupe une place centrale dans la stratégie de la Commission européenne pour lutter contre le chômage des jeunes. |
Damien LEMAÎTRE (www.lepetitjournal.com - Espagne) Lundi 1er juillet 2013
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