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PPDA : "Je comprends toutes les revendications autonomistes". Mais…

Patrick Poivre d'Arvor, Maison de l'Amitié Franco-EspagnolePatrick Poivre d'Arvor, Maison de l'Amitié Franco-Espagnole
Maison de l'Amitié Franco-Espagnole
Écrit par Eva Sannino
Publié le 3 décembre 2017, mis à jour le 4 décembre 2017

A Madrid pour sa conférence avec la Maison de l’Amitié Franco-Espagnole*, le journaliste et écrivain présente son dernier ouvrage : "Saint-Exupéry, le cartable aux souvenirs", publié l’année dernière aux éditions Michel Lafon. Entretien : sa passion pour Saint-Exupéry et ses clés de lecture sur l’Espagne et la France, l’Europe et le monde.


lepetitjournal.com : Votre livre s’intitule Saint-Exupéry, le cartable aux souvenirs. Quel est ce cartable dont vous parlez ?

Patrick Poivre d’Arvor : Il s’agit d’un cartable que j’ai réellement acheté. L’objet en question appartenait à Antoine de Saint-Exupéry, j’y ai donc glissé tous mes souvenirs de lui : des livres qu’il possédait que j’ai acquis, des lettres de lui que j’ai acheté aux enchères ou encore des pièces de l’avion où il a perdu la vie et que j’ai contribué à sortir des eaux. A partir de tout cela, j’ai écrit un livre.


Que représente Saint-Exupéry pour vous ?  

J’aime beaucoup cet homme qui avait mille vies. Prestigieux aviateur, il a surtout vécu en pionnier puisqu’il a créé, aux côtés de Didier Daurat et de quelques grands personnages comme Jean Mermoz et Henri Guillaumet, l’Aéropostale. Cette fameuse ligne, qui passait par l’Espagne, démarrait à Toulouse et allait jusqu’à Santiago du Chili. Cet auteur reste très important pour moi parce qu’il a aussi écrit des livres que je lui envie, de très beaux ouvrages avec de magnifiques valeurs. Pour moi, il a eu une vie réellement accomplie, bien qu’elle n’ait duré que 44 ans.  


Dans cet ouvrage, quel message avez-vous voulu transmettre aux lecteurs ?

Un message humaniste avant tout, un peu comme celui de Saint-Exupéry dans ses livres, notamment dans Terre des Hommes. Je voulais montrer qu’il faut s’intéresser à tout le monde, quels que soient la condition, la nationalité, l’âge ou la religion. C’est aussi ça Saint-Exupéry. Ce n’est pas par hasard que son livre le plus connu, Le Petit Prince, est l’ouvrage le plus vendu et le plus traduit au monde. Ces valeurs touchent le cœur de bien des gens.


Quel âge aviez-vous quand vous avez lu Le Petit Prince pour la première fois ?

Je pense que j’avais 7 ans. Et j’ai eu de la chance : c’est Consuelo de Saint-Exupéry, l’épouse de l’auteur, qui me l’avait offert. Elle m’appelait le “Petit Prince”.

 

saint exupery le cartable aux souvenirs ppda


Pourquoi avoir choisi la littérature pour vous exprimer ?

J’ai naturellement commencé par cela. J’ai débuté l’écriture de mon premier livre, Les Enfants de l’Aube, lorsque j’avais un peu moins de 17 ans, même s’il a été publié un peu plus tard. Après en avoir écrit un autre dans la foulée, j’ai mis l’écriture en pause. Je me suis rendu compte que pendant cette période, je me sentais asséché. J’ai donc repris, puis je suis devenu journaliste. Par la suite, mon métier m’a beaucoup absorbé mais j’avais besoin en parallèle de continuer à écrire, surtout la nuit.


Avez-vous un rituel d’écriture ?

Pas vraiment, j’écris un peu tout le temps. Cela dit, j’apprécie d’écrire lorsque je suis dans les transports, car ce sont des moments où je suis tranquille. Par exemple, j’ai écrit dans l’avion qui m’emmenait à Madrid hier. Et, effectivement, j’écris beaucoup la nuit parce-que mes journées sont occupées autrement. Je suis sur Radio Classique tous les jours, de 19 heures à 20 heures dans une émission télévisée sur CNews sur le thème des livres, une émission sur France 5 intitulée “Une maison, un artiste”, en plus d’un certain nombre de récital lecture.


Que ressentez-vous lorsque vous publiez un livre ?

Mon premier sentiment est le soulagement. Je suis toujours pris par l’urgence et j’ai souvent le sentiment que les choses ne verront pas le jour. Après la publication, je suis rassuré en me disant “au moins, ça restera”.  Il est possible qu’un seul exemplaire sera lu dans cinquante ans, il n’en reste pas moins que quelqu’un lira mon œuvre. C’est une trace que je laisse sur Terre.


Quelle est votre relation à l’Espagne ?

J’entretiens une relation forte avec ce pays, j’y suis toujours heureux. Pour moi les Espagnols, les Français et les Italiens, constituent un joli trio de peuples cousins. Il y a quelques mois, j’étais aussi en Espagne lorsque j’ai effectué un voyage en train, Al-Andalus, pour faire une conférence avec Béatrice Uria-Monzon et une pianiste, Claire-Marie Le Guay.


Une destination espagnole favorite ?

Il n’y a pas de lieu en particulier, j’aime découvrir de nouveaux endroits. Par exemple, pendant le voyage en train dont je parlais, j’ai pu faire escale dans la ville d’Avila, en Castille-et-Leon, et j’étais très heureux de ce que je ressentais autour de moi. J’ai pu découvrir cet endroit en allant courir et en explorant les petites ruelles.


Quelles affinités entretenez-vous avec la culture espagnole ?

En arrivant à Madrid, je suis allé visiter deux expositions. L’une mettait en comparaison le célèbre Picasso avec Toulouse-Lautrec et l’autre était sur un peintre espagnol que je connaissais beaucoup moins bien, et c’était très intéressant du point de vue artistique. Le pan de cette culture que j’affectionne particulièrement est le cinéma espagnol. C’est fou ce que des réalisateurs comme Carlos Saura ont pu nous apporter. Leur regard unique m’ont fait apprendre et aimer l’Espagne.


Quelle votre vision de l’actualité espagnole, notamment de la situation en Catalogne ?

Je suis moi-même Breton par mon père, je comprends toutes les revendications autonomistes. Il est vrai qu’un certain nombre de régions possèdent un particularisme comme la langue pour la Catalogne et le Pays Basque, alors que d’autres régions sont moins singulières. Je constate cependant deux écueils. Le premier, qu’a connu le Pays Basque pendant longtemps, est l’écueil de la violence armée. Pour moi, peu importe les revendications, il faut essayer de les mener d’une manière pacifique. Ensuite il y a l'écueil politicien, comme en Catalogne aujourd’hui. Je suis persuadé qu’il y a des inspirations sincères de la part d’une partie du peuple catalan. Il est également vrai qu’une autre partie, qu’il faut respecter, a envie de rester espagnole. Personnellement, je me sens Breton, Français et Européen. Je pense que les Catalans peuvent se sentir Catalans, Espagnols et Européens, et dans l’ordre qu’ils désirent. Cependant, il ne faut pas imposer les choses d’une manière artificielle. Les gens s’expriment par les urnes, et il faut respecter la réponse donnée, à condition que le processus soit fait d’une manière légale et incontestable : c’est la démocratie.


Vous considérez- vous comme un ambassadeur de la France et de la francophonie dans le monde ?

C’est un grand mot, mais j’aime cette idée de défendre la langue française. Hier, à la conférence, on m’a posé des questions sur les mots qui m’irritent : le franglais par exemple, que tout le monde adopte à toute vitesse sans savoir s’il y a un équivalent en français. Franchement, sur les réseaux sociaux, à quoi ça sert de “follower” quand on peut suivre, ou de “liker” quand on peut aimer ? On n’y gagne même pas une syllabe. Plus institutionnellement, je suis ambassadeur à l’UNICEF pour les pays francophones.


Quelles valeurs françaises défendez-vous ?

D’abord, la langue française est un patrimoine, c’est incontestable. La valeur des droits de l’Homme me semble également primordiale. Même si la France n’a pas toujours été exemplaire sur ce point, ce que nous avons créé en 1789 a été énormément repris, un peu partout en Europe, et même de l’autre côté de l’Atlantique avec Lafayette et Jefferson. Je crois qu’il y a des valeurs communes européennes. Le Vieux Continent a certes été le théâtre de bien des affrontements, surtout au XXe siècle. Néanmoins, cela fait maintenant 70 ans que la paix y règne, malgré la parenthèse des Balkans. Honnêtement, je ne connais pas un seul Espagnol qui voudrait revenir à la situation de 1936 avec cette horrible guerre civile. Je ne connais pas un Français qui souhaiterait revivre cette haine contre les Allemands, qui nous a valu tant de destructions et de meurtrissures au cours de deux guerres.


Quelle est votre regard sur l’Europe ?

L’Europe est facteur de paix. Je suis conscient que les jeunes générations ne peuvent pas se souvenir, mais il suffit d’interroger nos parents, grand-parents ou arrières grand-parents pour comprendre la France de l’occupation ou la boucherie de 14-18. Il faut arrêter de présenter l’Europe uniquement comme cette puissance occulte, qui édicte des règlements auxquels on ne comprend rien. Il est vrai qu’en discutant à 28, on arrive souvent à des compromis plutôt qu’à des décisions intéressantes. Il faudrait que l’ensemble soit plus incarné par un noyau dur, dans lequel il y aurait évidemment l’Espagne. Selon moi, il faut qu’un jour elle devienne une véritable entité pour faire face à la Russie ou les Etats-Unis, qui font preuves de comportements un peu erratiques, ainsi qu’à la Chine, qui est très puissante aujourd’hui.


Que pensez-vous de la dynamique mondiale actuelle ?

Je pense qu’elle peut être favorable à l’Europe justement. Lorsque je vois un Brexit qui est mauvais coup pour le Royaume-Uni, plus que pour l’Union européenne, et un Président américain qui s’exprime en 140… ou plutôt 280 caractères désormais, je me dis que l’Europe a sa carte à jouer.


Qu’est-ce qui vous a marqué en 2017 ?

Je retiens une réaction assez digne des peuples qui ont été touchés par le terrorisme, qui est non seulement aveugle, mais aussi anonyme et surtout très lâche.


Comment concevez-vous le métier de journaliste et son évolution ?

Le journalisme est un très beau métier. Je ne regrette vraiment pas de l’avoir embrassé, c’est lui qui m’a permis de connaître tant de choses, de situations, de personnes et j’en suis reconnaissant. Il est certes plus difficile d’être journaliste aujourd’hui, en ce qui concerne notamment les conditions économiques. Il faut pourtant continuer à se battre, et en particulier pour intervenir dans les réseaux sociaux, comme régulateur et pas uniquement comme modérateur, pour éviter les “fake news”. Il ne faut pas oublier qu’une information se vérifie, se recoupe : c’est la meilleure façon d’éviter la théorie du complot. Il y a un bel avenir pour les journalistes selon moi.


Un conseil pour les futurs journalistes ?

L’enthousiasme et la générosité sont les clés du métier. Il s’agit de s’intéresser vraiment à l’autre, d’avoir une vraie empathie et en même temps une distance en étant rigoureux.


Et pour les écrivains en devenir ?

Il faut écrire, de quelque façon qui soit : un journal, une nouvelle ou un récit, ce qui compte c’est d’écrire pour mettre les choses à distance de soi. Après ça, on peut voir si le produit final mérite d’être publié.


Enfin, que peut-on attendre de PPDA en 2018 ?

Je remonte sur les planches dans un spectacle intitulé Patrick et ses fantômes, au Casino de Paris de la mi-avril à la mi-mai. J’y incarne un personnage qui rencontre dans ses rêves successivement Bach, Mozart, Beethoven et Erik Satie, avec un orchestre sur scène. Et… un roman finira par sortir.
 

 

* La MAFE remercie le Proviseur du Lycée français, Iris et Emma, élèves de Terminale, et leurs professeurs, pour cette formidable collaboration.

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