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Mario Vargas Llosa: "Flaubert m’a convaincu que la littérature était un métier idéal

MARIO VARGAS LLOSA Y MARIE-MADELEINE RIGOPOULOS:institut français de madridMARIO VARGAS LLOSA Y MARIE-MADELEINE RIGOPOULOS:institut français de madrid
Institut français de Madrid
Écrit par Marion Lantin
Publié le 19 décembre 2022, mis à jour le 1 janvier 2023

L’écrivain et Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa a participé à la rencontre littéraire "Paris, Flaubert et l’écrivain" organisée par l’Institut français. Il a conversé avec la journaliste Marie-Madeleine Rigopoulos, ex-chroniqueuse littéraire à France Inter et Europe 1, actuellement Directrice artistique du Festival du livre de Paris.

 

 

Le public était venu nombreux à l’Institut Français pour écouter Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature et membre depuis presque un an de l’Académie Française. Et pendant presqu’une heure, ce public francophone, hispanophone mais toujours francophile, a pu se régaler des anecdotes de l’écrivain concernant son immense culture de la littérature française, mais aussi de son humour et de son autodérision désarmante. Humour et malice d’un jeune péruvien amoureux d’Emma Bovary et persuadé que l’on pouvait changer la société en écrivant des romans, aujourd’hui Prix Nobel de littérature et membre de l’Académie Française. Après toutes ces années en France, Mario Vargas Llosa, se sent toujours profondément péruvien, préoccupé par l’actualité de son pays d’origine, et continue d’écrire en mettant en scène des personnages péruviens.

Le public a pu se régaler des anecdotes de l’écrivain concernant son immense culture de la littérature française, mais aussi de son humour et de son autodérision désarmante

Marie-Madeleine Rigopoulos a tout d'abord interrogé l’écrivain sur l’origine de son amour pour la littérature, et sur ce qui l’unissait à la France. Mario Vargas Llosa s’est ainsi souvenu de sa découverte dès l’adolescence du pouvoir de la littérature et tout d’abord du pouvoir de la lecture. Il a partagé avec le public les souvenirs de ses cours à l’Alliance française de Lima, au Pérou ; ses visites à la seule librairie française de la ville à l’époque, puis son voyage vers l’Europe à l’âge de 22 ans, son arrivée à Madrid tout d’abord et son installation à Paris. La journaliste a d'ailleurs déclaré que sans conteste personne mieux que Mario Vargas Llosa n’a mérité "le titre de citoyen du monde. Permettez-moi de dire que vous êtes un écrivain français par alliance".

 

salle comble avec Mario Vargas Llosa sur la scène
La salle du théâtre de l'Institut français était comble pour écouter Mario Vargas Llosa/IF

 

Dès son arrivée à Paris, l’académicien a raconté qu'il s’était rendu dans une librairie du quartier latin pour se procurer un exemplaire de Madame Bovary. Il se rappelle avoir passé une bonne partie de la nuit à dévorer le roman. "Ma rencontre avec Flaubert a vraiment été extraordinaire. Il m’a convaincu que la littérature était le métier idéal pour un jeune comme j’étais à l’époque et puis qu’à travers la littérature on pouvait changer la vie. Il m’a convaincu que la littérature était un métier responsable".

 

Marie-Madeleine Rigopoulos a fait alors le parallèle entre les difficultés que Flaubert a rencontrées pour devenir écrivain, avec son père, médecin, qui jugeait que la littérature n’était pas un métier, et Mario Vargas Llosa dont les parents souhaitaient également un destin professionnel différent pour leur fils. Envoyé à l’Académie militaire de Lima, c’est là que le jeune homme fait l’expérience du mélange des classes sociales (venant lui d’une classe aisée). Dans cet établissement militaire se côtoient fils de bonne famille, fils de militaires et fils originaires de classes sociales plus modestes voir défavorisées ayant obtenu des bourses. Ces années de lycée seront les premières expériences de Vargas Llosa avec l’écriture. Il se souvient, en riant franchement, avoir commencé comme scribe de ses camarades de classe, pour répondre au courrier du cœur des uns et des autres, où il a vite acquis une renommée pour le style de sa plume.

 

Mario vargas llosa
Photo: Institut français

 

Tout comme Flaubert qui, d’après certains spécialistes, se serait inventé une maladie pour que son père se résigne à le laisser écrire et suivre sa vocation d’écrivain, Vargas Llosa a suivi son instinct. Et son choix pour l’écriture a eu un goût de liberté et de rébellion. Instinct qui l’a amené à étudier d’abord à Madrid où il avait obtenu une bourse, puis dès la fin de la première année l’a conduit à Paris, qui était pour lui le chef-lieu des intellectuels et de la littérature. Il se souvient qu’à l’époque de sa jeunesse il n’y avait pas de maison d’Edition au Pérou, et qu’il n'envisageait pas d’écrire comme auteur péruvien. A cette époque, la littérature venait de l’international, la "grande" littérature comme cela se disait venait d’Europe et des Etats-Unis. Llosa choisit la France: Jules Vernes, Dumas, Hugo, Balzac… Une passion qui ne le quittera jamais.

 

 

Mario vargas llosa
Photo: Institut français

 

Pour Mario Vargas LLosa, Flaubert a révolutionné l’écriture et quand il parle d’Emma Bovary, c’est comme s’il évoquait un être cher, proche et intime. Aux yeux de l’écrivain, Flaubert a inventé le narrateur "qui n’existe pas", celui qui laisse toute la place aux descriptions magnifiques des paysages mais surtout à ses personnages, sans interférer, sans jamais permettre de connaître son point de vue sur le récit, les faits et gestes des personnages. L’écrivain nous raconte comment il s’est passionné à l’époque pour la manière d’écrire de Flaubert, allant jusqu’à se rendre au Château où Flaubert avait séjourné cinq années, pendant lesquelles il travaillait dix heures par jour à l’écriture de Madame Bovary. Ayant consulté les manuscrits de l’auteur, il souligne son remarquable travail de correction, allant jusqu’à réécrire certains chapitres phrase par phrase pour trouver les mots parfaits.

 

L’écrivain raconte avoir lu dans sa vie des dizaines de fois le roman, Flaubert ayant été toute sa carrière plus qu’un maître, un modèle. Pourtant, il explique ne pas avoir la même méthode de travail, étant plus intuitif et spontané dans l’écriture, laissant l’inspiration décider. "Au début j’ai des idées très confuses, mais l’influence de Flaubert est toujours là dans la manière que j’ai d’introduire les personnages".

 

Durant cette conversation littéraire, Vargas Llosa fera aussi la comparaison passionnante entre le narrateur effacé et "invisible" de Flaubert, et celui au contraire qui prend presque tout la place de Victor Hugo. Pour l’académicien, le narrateur dans les Misérables est à lui-même un personnage presqu’aussi important que Jean Valjean ou Cosette.

 

L'ambassadeur de France Jean-Michel Casa, qui était également présent, a déclaré: "Votre présence nous honore. Depuis François Mauriac, vous êtes le premier Prix Nobel à l’Académie Française et le premier écrivain étranger publié de son vivant aux prestigieuses Éditions de La Pléiade. Vous avez reçu les plus grands prix littéraires hispaniques internationaux, le Prix Nobel bien sûr, le prix Princesas de Asturias, le Prix Cervantes, le Prix André Malraux, pour en citer quelques-uns, sans oublier votre appartenance à la RAE. Grâce à votre talent et votre originalité, vous êtes devenu un des auteurs qui a fait partie du boom des auteurs latinoaméricains, et qui avez participé à donner à ce continent une reconnaissance bien méritée".

 

 

marion lantin
Publié le 19 décembre 2022, mis à jour le 1 janvier 2023