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Jean Michel Casa: "Il existe une forme de complicité franco-ibérique"

Jean Michel CasaJean Michel Casa
© Ministère des Affaires étrangères - Frédéric de La Mure
Écrit par Vincent GARNIER
Publié le 4 juin 2019, mis à jour le 4 juin 2019

Arrivé à Madrid fin avril pour prendre la succession d'Yves Saint Geours, Jean Michel Casa devrait présenter ses lettres de créance mi-juin. L'Ambassadeur de France sera alors reconnu officiellement comme représentant légitime de la France par le Roi d'Espagne. En attendant le diplomate n'a pas chômé, avec une actualité marquée par les scrutins successifs dans le pays et sous le signe des récentes élections européennes, l'occasion de synchroniser l'alignement franco-espagnol au sein de l'UE. Avec une première allocution au cours des cérémonies d'anniversaire de l'armistice du 8 mai 1945, Jean Michel Casa a en outre initié une prise de contact avec la communauté française en Espagne, qui se prolongera avec divers déplacements prévus dans les semaines et les mois à venir, en Andalousie, en Estrémadure et au Pays Basque notamment.


lepetitjournal.com : Vous arrivez en poste en Espagne après avoir déjà tenu des fonctions au sein de cette même Ambassade, en 1982. Quel effet cela fait-il de revenir dans la maison, 37 ans après ?

Jean Michel Casa : Oui, j'ai été stagiaire de l’Ecole nationale d’administration à l’Ambassade de France en Espagne, de janvier à septembre 1982, à un moment charnière de la transition démocratique, qui s'est conclu par l'élection de Felipe González et la première alternance au pouvoir après la mort de Franco. Il s'est agit d'une période fascinante, très mobilisatrice, au cours de laquelle, au sein de cette Ambassade et sous la houlette d'un très grand Ambassadeur, Raoul Delaye, nous avons été amenés à beaucoup travailler, entre autres pour faire changer la perception que nos deux pays avaient l'un de l'autre, et relativiser les malentendus et les craintes qui pouvaient de part et d'autre exister, notamment à l’égard de l’adhésion de l’Espagne à la Communauté européenne. Du procès des auteurs du coup d'Etat de 81 aux moments les plus animés de la movida, j'ai pu assister à une page essentielle de l'Histoire du pays... Avec des journées et des nuits bien remplies ! J'arrive donc très motivé, dans un pays que je connais un peu – car l’Espagne a tellement changé depuis 1982 ! – et qui m'intéresse tout particulièrement.


Vous avez par la suite gardé un contact direct avec l'Espagne, notamment à l'occasion de son entrée au sein de la communauté européenne.

En juin 82, François Mitterand avait reconnu, lors de sa visite d'Etat dans le pays, la légitimité de deux revendications espagnoles, qui étaient autant de sujets de désaccord entre la France et l'Espagne : la coopération dans la lutte contre l'ETA et le droit d'adhésion de l'Espagne à la CEE. En stage à l'Ambassade, j'avais notamment travaillé sur la préparation de cette visite. A partir de 1984, après mon entrée au ministère des Affaires étrangères, ma première tâche a été d’être « rédacteur » au service de la coopération économique européenne, précisément en charge de l'élargissement de la CEE à l’Espagne et au Portugal. Nous étions sur la fin des négociations avec l'Espagne. Il a fallu ensuite rédiger dans un délai de 5 mois le traité d'adhésion, pour que tout soit prêt, signé, et soumis à ratification par tous les Etats membres, avant le 1er janvier 1986. Ce traité d'adhésion, j’en garde le meilleur souvenir ! D’autant que l'entrée de l'Espagne et du Portugal constitue la plus belles des « success stories » dans l'histoire des élargissements de l'UE. Et très vite, l'Espagne est devenue un partenaire privilégié de la France. 


Nous sortons tout juste des élections européennes. Quelles leçons peut-on tirer, dans le cadre de la relation franco-espagnole, de ce scrutin ?

La première leçon que l'on peut tirer de ce scrutin, c’est que toutes les Cassandres qui prédisaient une poussée eurosceptique, voire europhobe, à l'occasion de cette élection, se sont trompés. Mis à part le Rassemblement National qui se maintient stable en France, et l'émergence de la Ligue du Nord en Italie, les poussées populistes tant craintes ne se sont pas produites. Le seul groupe qui monte au sein du Parlement, c'est le groupe central, incarné en France par le mouvement Renaissance, impulsé par Emmanuel Macron. La deuxième leçon à retenir, c'est la hausse de la participation. Nous avons assisté sur tout le continent à une vraie mobilisation, avec des citoyens qui ont souhaité faire entendre leur voix en Europe, parce qu’ils croient en l’Europe et, en même temps, ils veulent pouvoir changer ce qui ne va pas. C'est un élément majeur, et c'est un élément encourageant.

 

Il n'est pas illégitime que des pays qui sont des modèles en Europe en matière d'intégration, aient un rôle majeur à jouer. A l'échelle européenne, les Espagnols ont gagné leurs lettres de noblesse, c'est évident


Et à l'échelle franco-espagnole ?

Je l'ai dit, le groupe qui émerge après ce scrutin, c'est le groupe libéral-centriste, qui devrait participer à la redistribution des équilibres au sein des instances européennes. Ce n'est pas un hasard si au lendemain de cette élection, et à la veille du conseil européen extraordinaire organisé suite au vote, au cours duquel les échanges à propos du choix des instances dirigeantes ont été engagés, Emmanuel Macron a invité Pedro Sánchez à l'Elysée [lundi 27 mai]. Je peux vous affirmer qu'il existe une vraie relation personnelle entre les deux hommes. Et ce qui est en jeu, ce sont les alliances qui peuvent être établies, mais aussi les hommes et les femmes qui peuvent être choisis, pour incarner cette Europe plus progressiste, plus sociale, plus intégrée au niveau économique et monétaire, plus impliquée dans la transition énergétique, plus souveraine aussi, que Macron et Sánchez souhaitent tous deux construire. Ce dont il est question, c'est de former une alliance d'hommes et de femmes -et j'insiste sur le mot "femmes" car je crois à la parité- qui partagent une vision d'une Europe renouvelée, notamment entre les socio-démocrates et les centristes-libéraux sociaux, et peut-être les verts. Ce qui est en jeu aussi, c'est une alternative, pour présider la Commission, à la formule du fameux "spitzenkandidat", auquel Emmanuel Macron s'est toujours opposé, et qui veut que ce soit le chef de file du parti le plus voté qui soit choisi. A l'heure où les présidences de la Commission, du Conseil, du Parlement et de la BCE vont être choisies, mais aussi les Vice-présidences des commissions portant sur les enjeux clés des défis de l'UE, il n'est pas illégitime que des pays qui sont des modèles en Europe en matière d'intégration, aient un rôle majeur à jouer. A l'échelle européenne, les Espagnols ont gagné leurs lettres de noblesse, c'est évident, et pas seulement parce que le PSOE est la délégation la plus importante au sein du groupe socio-démocrate. L'Espagne, le Portugal aussi, ont, avec nous, une vraie vision européiste, une vraie ambition d'une Europe du progrès.

 

Ce dont il est question, c'est de former une alliance d'hommes et de femmes -et j'insiste sur le mot "femmes" car je crois à la parité- qui partagent une vision d'une Europe renouvelée


Votre première allocution devant la communauté française expatriée en Espagne s'est faite lors des cérémonies du 8 mai. 

Oui, c'est à cette occasion que j'ai pu avoir mes premiers échanges avec certains représentants de la communauté française. Il s'est agi d'un acte très solennel, très particulier, auquel je tenais beaucoup. Je tenais notamment, en ce 75e anniversaire de la libération de Paris, à ce que l'on y rende hommage aux réfugiés républicains espagnols engagés dans la Résistance, et qui ont largement contribué à la libération de notre capitale. De la même façon, j'ai tenu à effectuer un geste à l'occasion des cérémonies madrilènes du 2 et du 3 mai. Une gerbe aux victimes des troupes napoléoniennes a ainsi été déposée au cimetière de la Florida, dans une chapelle où les restes de plusieurs dizaines d'Espagnols ayant péri lors des événements de 1808, sont conservés. C'est je crois la première fois que ce geste, discret et symbolique, est fait par les autorités françaises. Mais je crois qu'il était important de marquer une certaine forme d'empathie envers les victimes et nos homologues nous ont transmis leur reconnaissance pour ce geste.
Pour en revenir à la communauté française, j'ai rencontré les conseillers consulaires à Madrid fin mai, et je continue à recevoir progressivement les représentants des associations et des institutions présentes ici, mais aussi beaucoup d'entreprises. Je suis à leur écoute et à leur disposition. 

 

A Séville, la fermeture du Consulat général requiert un déplacement en priorité


Et en dehors de Madrid ?

Je rencontrerai la communauté française au fur et à mesure de mes déplacements dans le pays, ce qui devrait se concrétiser après la remise de mes lettres de créance, à la mi-juin. Je serai à la fin du mois à Séville, où la fermeture du Consulat général requiert un déplacement en priorité. Nous devrons nommer un Consul honoraire et trouver de nouveaux locaux pour l'Institut français, et si possible regrouper les deux entités en un même lieu. J'en profiterai évidemment pour rencontrer les autorités andalouses et la communauté française. Dans la foulée j'ai prévu d'être en Estrémadure, puisque c'est un opéra français qui va ouvrir le festival de Mérida. Là encore, je rencontrerai les autorités locales et la communauté. Je prévois ensuite d'être dans le Pays Basque en septembre, à Saint Sébastien, Vitoria et Bilbao, où nous travaillons dans une logique de rapprochement et un adossement entre le Consulat général et l'Institut français.
Enfin, j'ai déjà effectué un court déplacement en Catalogne début mai, à l'occasion du centenaire de Danone, au cours duquel j'ai aussi tenu à rencontrer, à titre privé, Manuel Valls, pour échanger sur la situation catalane et sur sa candidature à la Mairie de Barcelone. 


Un Français candidat à la Mairie de Barcelone, ça vous étonne ?

Je trouve au contraire que c'est un bel exemple d'européisme et que cette candidature a incarné une façon de faire de la politique en Europe qui devrait réjouir ceux qui croient en ce projet. C'est aussi une candidature qui a incarné une farouche opposition à l'indépendantisme, dénonçant le caractère inconstitutionnel du séparatisme, mais aussi l'attitude économiquement égoïste qu'il sous-tend. En cela aussi, Manuel Valls est parfaitement en ligne avec la position de la France, qui prône le respect des règles constitutionnelles, ce que le Président Emmanuel Macron a, en d'autres occasions, déjà clairement déclaré.


Quels sont les grands dossiers sur lesquels vous serez amenés à travailler dans le cadre de la relation bilatérale, au cours des mois à venir ?

Les sujets européens, justement ! Il faut notamment avancer sur l'union économique et monétaire, achever l'union bancaire et l'union des capitaux, avancer sur un budget européen capable d'accompagner la convergence des économies. La question est de savoir comment on avance sur ce qui est déjà sur la table, au niveau européen.


Y aura-t-il un sommet franco-espagnol en 2019 ?

Il y aura un sommet franco-espagnol en 2019 ou 2020, oui, qui se tiendra en France. En 2018, avec les incertitudes qui existaient au niveau gouvernemental en Espagne, le sommet n'a pas pu avoir lieu. Le pays disposera bientôt d'un gouvernement stable, ce qui va nous permettre de faire avancer les dossiers qui étaient en suspens jusque-là. Cela inclut aussi le renforcement des interconnexions, tous les enjeux culturels entre les deux pays, ou la lutte commune contre le terrorisme. 

 

Nous avons aujourd'hui une formidable opportunité d'aller encore plus loin dans la relation qui unit nos deux pays, dans le cadre d'une démarche européenne progressiste


Vous avez déclaré avant de quitter votre poste d'Ambassadeur au Portugal, qu'une "forme de concertation plus régulière à trois, entre Français, Portugais et Espagnols", constituait "une bonne piste". Qu'en est-il ?

C'est un sujet qui ne m'est pas indifférent, en effet. On a tant de choses à se dire... De fait, il existe une forme de complicité franco-ibérique. Sur de nombreux sujets, nous pouvons au sein de l'Europe consolider une position solide, comme c'est le cas pour la politique agricole commune, par exemple, mais aussi concernant les interconnexions où nous devons continuer de peser à trois, pour obtenir les financements européens associés. Cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord sur tout, mais nous sommes globalement d'accord sur presque tous les grands enjeux de la construction européenne. 
De façon générale, j'ai la chance d'arriver à un moment exceptionnel de la relation franco-espagnole. Cela fait des années qu'il est dit que cette relation est au beau fixe, mais nous avons aujourd'hui une formidable opportunité d'aller encore plus loin dans la relation qui unit nos deux pays, dans le cadre d'une démarche européenne progressiste. Il y a pratiquement tout qui nous unit, c'est le moment de mettre en place une forme de partenariat privilégié, avec un gouvernement espagnol stable, et un président français déterminé à poursuivre son quinquennat dans un engagement européen renouvelé.