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Ambassadeur de France au Portugal:"Des années portugaises fructueuses"

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Écrit par Custódia Domingues
Publié le 26 avril 2019

Nommé ambassadeur de France en Espagne, M. Jean-Michel Casa quitte ce jour même Lisbonne pour Madrid. Il a accordé avant son départ une interview au Lepetitjournal/Lisbonne où il revient sur ces "très bonnes années" passées au Portugal alors qu´il arrivait en 2016 d´Argentine et auparavant de la Jordanie et d´Israël où il avait également exercé les fonctions d´Ambassadeur au service de la France. Il est aussi à souligner, entre autres, les fonctions exercées pendant quatre ans comme directeur de la Direction de l’Union européenne au Ministère des Affaires étrangères qui font de lui un expert des questions européennes. Cet interview permet, tout particulièrement, de revenir sur ces deux années et demi passées au Portugal et d´aborder des questions liées aux enjeux diplomatiques européens.


Lepetitjournal/Lisbonne ; Lors de notre précédente interview, en janvier 2017, vous nous disiez "qu’exercer le métier de diplomate hors de l’Union européenne donne une autre vision". Après deux ans et demi en tant qu’ambassadeur dans l’UE, au Portugal, portez-vous un autre regard sur l´exercice de vos fonctions ?
M. Jean-Michel Casa : C’est fondamentalement le même métier, mais dans une optique totalement différente. En dehors de l’UE, nous sommes plus sensibles à ce qu’elle représente en tant que puissance souveraine. Mon expérience portugaise était la première dans un pays de l’UE. Par le passé, j’ai exercé des fonctions dans l’UE ou en relation avec l’UE, mais je n’avais jamais eu de poste bilatéral en Europe.

Le travail d’ambassadeur en Europe est différent car nous ne voulons pas «doublonner » les négociations qui ont lieu à Bruxelles, ou les négociations directes entre chefs d’État ou Premier ministre. Notre rôle est d’expliquer : expliquer quels sont les déterminants et les facteurs de politique intérieure. Le cœur du métier en Europe, c’est d’apporter cet élément d’explication que Paris n’a pas forcément de la même façon. Dans une négociation, il est très important de connaître les limites de notre partenaire et de comprendre pourquoi il défendra une position ou une autre. Et donc d’informer la France des marges de manœuvre potentielles.
Au Portugal par exemple, le Premier ministre a imposé dès 2015 à sa coalition la solidarité absolue sur le budget, le respect des objectifs européens et du pacte de stabilité. Pour tout le reste, il peut y avoir des dissonances, nous les expliquons à Paris.

L’autre élément essentiel sur les questions européennes est qu’ici, à l’intérieur de l’UE peut-être plus qu’ailleurs, on est amené à mettre en place une relation bilatérale plus fine. Depuis le début, je travaille de façon extrêmement étroite avec le Premier ministre et son cabinet, le Ministre des Affaires étrangères, la Secrétaire d’État aux Affaires européennes. Nous sommes dans une relation de confiance. Tout le travail que nous faisons au quotidien ne peut se fonder que sur une relation de confiance très forte.

Enfin, il y a des aspects bilatéraux très traditionnels : promotion des exportations françaises, attractivité de la France, par exemple. Tout cela fonctionne aujourd’hui très bien, le Portugal et l’Espagne, ma future destination, sont encore aujourd’hui les plus gros succès d’élargissement de l’UE, à l’inverse du Brexit…

 

Puisque nous abordons la question du Brexit, risque-t-on une sortie du Royaume-Uni non négociée ?
Plus le temps passe, plus je suis perplexe… J’étais certain que le résultat du référendum serait un non. J’étais également sûr que la négociation serait extrêmement difficile car les Britanniques sont sortis sur une équivoque fondamentale qui était de penser qu’en votant non, ils obtiendraient la même chose qu’en votant oui : l’essentiel des bénéfices de l’UE, surtout le libre marché, sans avoir les contraintes.
Nous sommes dans une situation où il n’y a pas d’autre choix que le vote sur l’accord négocié, et d’amender à la marge la déclaration sur les relations futures. Nous sommes dans cette situation car les Britanniques ont fait des choix : le choix de rester en dehors du marché unique. Si les Britanniques veulent retrouver leur souveraineté commerciale, ils ne peuvent plus être liés par les règles et les avantages du marché unique. Le parlement britannique ne raisonne plus rationnellement. Ce modèle de parlementarisme organisé, le symbole de la démocratie britannique, s’est transformé en une logique irrationnelle. La seule chose dont le parlement britannique ne veut pas, c’est une sortie sans accord qui serait une calamité pour le peuple. Pour le reste, les députés sont incapables de se mettre d’accord… Cela peut durer longtemps.
J’assume totalement la logique du Président Emmanuel Macron qui dit qu’on doit continuer de maintenir la pression sur les Britanniques. A un moment donné, il faut que le jeu cesse. Cela empêche tout progrès de la construction européenne.

Un second référendum ne donnerait pas forcément un résultat différent. Les Britanniques souffrent d’une certaine frustration dans cette affaire. Ils se sentent lésés mais se sont lésés eux-mêmes : ils ne veulent pas voir la réalité du choix. Si les Britanniques ne veulent plus être reliés par aucune des règles européennes, ils doivent en payer les conséquences : ils perdent tous les avantages, c´est ainsi.

La position des Portugais sur le Brexit est surdéterminée par les flux humains : l’importance des touristes ici et le demi-million de Portugais qui travaille au Royaume-Uni.

 

Entre le Portugal que vous avez découvert en 2016 et celui que vous quittez aujourd’hui que pouvez-vous en dire ? Le pays semble aller mieux mais beaucoup de fragilités sont là…
Quand je suis arrivé, nous étions au moment de l’affirmation au pouvoir de la coalition, au départ considérée comme improbable, et qui finalement montrait qu’elle pouvait tout à fait dérouler son programme : redonner une respiration à l’économie après des années d’hyper-austérité, tout en respectant les obligations européennes du pays.
Mes années ici ont été de très bonnes années. Des années portugaises fructueuses. Notamment après l’élection du Président Emmanuel Macron, puisque nous étions auparavant en période électorale en France ce qui complique toujours un peu les choses. Les points de vue du Président sur les questions européennes et vis-à-vis du Portugal ont créé un climat extrêmement serein.
Mais il est évident que les années à venir seront un peu plus compliquées car la croissance mondiale ralentit, et cela a des conséquences sur l´économie portugaise. Les choses seront plus compliquées même si les sondages donnent aujourd’hui une possibilité de reconduction de cette majorité aux élections d’octobre. Des échéances électorales européennes sont également à venir auparavant.
La situation économique et politique peut évoluer dans les mois à venir. Au sein de la majorité, les désaccords restent fondamentaux sur les questions européennes.

La période la plus heureuse vient de passer : celle de sortie de crise avec un gouvernement qui a su de manière très talentueuse respecter ses obligations européennes, c’est l’élève modèle en Europe, mais en même temps en utilisant toutes les marges de manœuvre pour fortifier la croissance.

Il est évident qu’il faudra contrôler de près la spéculation immobilière. Au-delà de ce qui a été fait et qui est plus ancien, notamment le fait qu’une partie du centre-ville ait été transformée en Airbnb. Des réformes structurelles devront être faites. La réforme du Code du Travail est en cours. Mais surtout, il faudra penser à comment adapter le pays à l’évolution démographique, comment vont être pris en charge les futurs retraités. La pyramide des âges s’inverse avec de moins en moins d’actifs et une population vieillissante.

Le sujet de la décentralisation avec plus de pouvoir pour les communes et un éventuel retour à une régionalisation sont des sujets qui seront à l’ordre du jour car ce sont des défis structurels. Mais le Portugal va bien, cela n’a rien à voir avec la période pendant laquelle j’étais directeur général des Affaires européennes et que le pays était en crise. C’était un autre Portugal.

Il est évident qu’il va falloir inventer d’autres choses pour la législature suivante. Antonio Costa a tout le talent pour ça, c’est un homme d’État, il a une vraie vision stratégique pour son pays. Même si nous sommes parfois en désaccord, notamment sur les investissements chinois dans des infrastructures stratégiques.
En face de nous, nous avons un empire dirigé par un État extrêmement puissant et avec une vision stratégique. La Chine ne s´en cache pas : le plan de conquête économique du monde est écrit noir sur blanc.

 

En janvier 2017 vous nous disiez "Dans le développement des relations économiques, la France est parmi les plus importants investisseurs au Portugal en terme de valeur ajoutée créée". Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les investissements français sont des investissements structurants : il y a des éléments de montée en gamme des infrastructures au Portugal. La concession à Vinci des aéroports va dans cet axe-là. Les entreprises françaises, comptabilisées ensemble, sont les premiers employeurs du Portugal notamment dans le secteur automobile et bancaire. Mon rôle est de faire en sorte qu’on soit dans une logique d’équilibre. C’est bien que les entreprises françaises créent de l’emploi au Portugal, mais il ne faut pas que cela soit au détriment de l’emploi en France… C’est une situation qui existe aussi : encore plus dans l’UE car nous sommes dans un marché totalement intégré.

Il est aussi important que les entreprises pensent à long terme. Le modèle fondé sur des coûts moindres ne va pas atteindre tout de suite ses limites, mais dans certains secteurs il va être de moins en moins vrai. Mais il faut soutenir les écosystèmes notamment de start-up qui peuvent exister dans le domaine de l’innovation.

 

Des investissements français importants sont-ils annoncés pour 2019 ?
Pas d’investissements, mais dans certains secteurs comme le lithium, des appels d’offres vont être lancés. Des entreprises françaises peuvent être intéressées. Des énergéticiens français renforcent également leur coopération avec EDP, qui existe déjà, mais qui pourrait connaître un nouveau palier. Ce sont des secteurs dans lesquels une coopération gagnant-gagnant pourrait être imaginée.

 

Lors de l´interview fait en 2017, nous avions évoqué la situation de l’Alliance française, or celle-ci  a également évolué avec la vente récente du bâtiment situé rue Luis Bívar…
Oui, il a été vendu en octobre 2018. Il a très bien été vendu, bien haut delà de son estimation. L’immeuble deviendra un appart-hôtel financé avec des capitaux européens. La question est apaisée aujourd’hui.

 

Alors, finalement et au moment où vous partez vers un poste important à Madrid, où vous occuperez les fonctions d´ambassadeur avant la fin de ce mois, quel regard portez-vous sur ces deux années au Portugal ?
Il y a peut-être un aspect de frustration car mon mandat au Portugal a été court, je pars plus tôt que ce que j’aurais souhaité, mais je suis également content d’aller à Madrid. Je pense d’ailleurs que mon expérience au Portugal sera utile pour ma mission future en Espagne. Il y a une histoire particulière entre les deux pays, mais il y a aussi une forme de vision européenne commune et de relation privilégiée avec la France.

Je pars avec la satisfaction de voir les relations franco-portugaises dans une forme particulièrement bonne, avec énormément de visites officielles. L’intimité franco-portugaise, notamment sur les sujets mondiaux, m’a beaucoup marqué.
Enfin, le Sommet sur les interconnexions franco-ibériques et avec la Commission européenne m’a marqué. D’autres choses ont été lancées qui restent à aboutir, notamment l’adhésion de la France à la CPLP et du Portugal comme observateur à l’OIF. C’est la satisfaction de voir que les choses ont été très positives. J’ai été ravi de voir que le pays allait bien et se portait bien par lui-même.
Nos relations ont eu lieu dans un climat porteur.

 

Les Portugais et les Espagnols partagent aujourd´hui un destin commun avec une appartenance à l´UE…
En effet, ce qui est frappant, c’est que par rapport à une forme d’hostilité séculaire entre le Portugal et l’Espagne liée à l’histoire, aujourd’hui les deux marchés sont très intégrés. Le Portugal a perdu son Empire en 1975, et il ne pouvait pas être une enclave au sein de l’Europe.

Je suis marqué de voir comment certaines personnes passéistes ont une vision de l’Espagne comme le pays rival, c’est une conception dépassée et très peu européenne. Il n’y a rien de comparable à ce qui a opposé la France à l’Allemagne. Mais en adhérant ensemble à l’UE, les Portugais et les Espagnols ont dépassé cet héritage du passé.

Le Premier ministre portugais rappelle qu’il est extrêmement important d’avoir un marché intérieur ibérique. Je pense que mon expérience ici est un atout pour aller à Madrid.

Ce que j’emporte en partant d’ici, c’est la satisfaction du travail accompli dans une période heureuse et prometteuse et la détermination de profiter et d’approfondir une coopération franco-espagnole qui est fondamentalement bonne.

Avoir une forme de concertation plus régulière à trois entre Portugais, Espagnols et Français est une bonne piste et une bonne perspective d’avenir. Travailler avec les pays qui conservent de vraies intentions européennes, cela compte aujourd’hui.

C’était un vrai bonheur d’être diplomate au Portugal, encore plus un diplomate européen. Concernant les relations européennes, nous parlions le même langage avec les Portugais. Nous avons des langues différentes mais une même perception des valeurs européennes.

Les réactions européennes à l’incendie de Notre-Dame de Paris ont été impressionnantes.  Elles disaient : "on a perdu un monument du patrimoine commun, du patrimoine européen". C’était impressionnant de constater ça dans tout le spectre des journaux européens, peu importent leurs connivences politiques. Cet emblème gothique forme une unité culturelle, qui va bien au-delà du religieux. Même les plus laïcs en France ont été des défenseurs de ce symbole, il n’y a pas eu de clivage idéologique. L’Europe est d’abord une réalité humaine très profonde.

 

Avec la collaboration de Guillaume Bermond

 

Publié le 26 avril 2019, mis à jour le 26 avril 2019

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