Habitant Madrid depuis 2009, Anne Derenne est une étoile qui monte dans le monde de l’illustration. Dessinatrice de presse et d’albums pour enfants, ces illustrations imaginatives et colorées font passer des messages poignants.
Dans le monde du dessin de presse, les illustratrices sont encore une minorité. Cela n’a pas pour autant arrêté Anne Derenne, dont le talent pour le dessin et la passion pour l'actualité l’ont poussée à se lancer. Depuis plusieurs années, en quelques coups de crayons, elle trace un monde coloré et chaleureux, à son image, pour faire passer les messages qui lui tiennent a cœur.
C’est en 2009, après plusieurs années de vie professionnelle en France, et une année sabbatique en Australie, que cette dessinatrice française vient s’installer à Madrid. Economiste de formation, elle trouve un emploi dans ce secteur, mais elle n’a pas oublié le dessin. Elle décide donc de profiter de la bouillonnante offre culturelle madrilène pour s’inscrire à un cours et recommencer à créer, tout en douceur.
"Dessiner a toujours fait partie de ma vie, même si l'économie et la géopolitique me passionnaient aussi. Je me suis dirigée vers des études d'économie, en me disant qu’il serait difficile de vivre de mes illustrations. Mais en arrivant en Espagne, je me suis rendue compte à quel point dessiner était une activité qui m'épanouissait. J’ai voulu combiner mes deux passions, et utiliser le dessin pour faire passer des messages sur l'actualité. C’est comme cela que je suis tombée dans le dessin de presse", raconte Derenne.
La presse étant en crise, il est d’abord difficile de se faire connaître et de publier ses dessins. Mais elle persévère. Tout en continuant à travailler en entreprise, Derenne, toujours accompagnée d’un petit carnet, croque le monde dans son temps libre, avec humour et tendresse.
En 2011, un premier dessin est publié via la plateforme d’appel d’offres pour illustrateurs, Cartoon Movement. Puis dès 2015, les choses s'accélèrent. Quelques unes de ses illustrations sont reprises dans des magazines ou dans les campagnes des ONGs. Elles font réagir et réfléchir, Derenne commence à gagner des prix pour son travail. En 2016, le concours international Niels Bugg récompense son dessin The Iceberg Utopia.
Premier prix parmi 3.000 autres illustrations, une consécration. "Ce fut un moment important pour ma carrière de dessinatrice, d’autant que je suis la première femme à avoir remporté ce prix international", précise-t-elle.
Derenne se consacre désormais à l’illustration à temps plein, et est régulièrement invitée sur des événements internationaux pour rencontrer d’autres illustrateurs, et pour parler de son travail. "Le fait d'être une femme dans un monde où ces dernières sont peu représentées (il y a encore moins de femmes dans le dessin de presse que dans l'armée !) me permet d'être visible. Cela me permet de parler de mes illustrations, et de continuer à dessiner sur les sujets qui me tiennent à cœur, comme l'écologie et les droits de l’Homme", dit-elle.
Un langage universel
A première vue, les dessins de Derenne sont plein de couleurs, avec des traits légers et enfantins. "Mais quand ils regardent de plus près, les gens sont souvent surpris. Ils sont attirés par l’image assez sympathique et étonnés de voir que derrière cela, il y a un petit détail qui va plus loin, qui fait réfléchir, un côté plus provocateur", explique la dessinatrice.
Si Derenne se plaît en Espagne et imagine y vivre sur le long terme, ses dessins sont principalement publiés par des clients en France, sous son pseudo Adene. La situation des médias en Espagne n’offre en effet que peu de débouchés aux dessinateurs de presse.
Derrière ses illustrations, c’est un vrai travail de recherche documentaire que Derenne s’efforce de réaliser, pour bien comprendre le sujet et ne pas le dessiner de manière trop naïve. Après plusieurs années dans le secteur, elle a maintenant une idée plus nette de ce que ses clients recherchent, mais aussi une vraie culture du dessin de presse en France et en Espagne, dont elle discute avec passion.
"Le dessin peut être un langage universel, qui peut être compris par tout le monde, surtout quand il s’agit d’un message de paix. C’est très fort. Mais en vivant à l'étranger, on se rend aussi compte que chaque culture a ses propres codes et son propre humour. Cela se ressent dans les dessins qui sont publiés d’un pays à l’autre, et dans la compréhension que l’on peut en avoir", souligne-t-elle.
L’humour des dessins de presse francais, plus "trash", n’est d’ailleurs pas toujours compris en dehors de l’Hexagone. En revanche, les dessinateurs en France jouissent d’une bien plus grande liberté à l’heure de choisir leurs sujets et de publier leurs illustrations. "En Espagne, il est plus difficile de dessiner sur certains sujet. Des illustrateurs ont été condamnés à payer des amendes après avoir dessiné sur la monarchie", rappelle Derenne.
Et dans le pays, la crise catalane est aussi passée par là. "C’est une crise politique qui a divisé les dessinateurs. Certains illustrateurs sont tombés dans un schéma un peu trop simpliste par moment, ils dessinent les bons d’un côté, et les méchants de l’autre", déplore-t-elle.
Illustration jeunesse
Pour se diversifier, Derenne a récemment pris la décision de se tourner aussi vers l’illustration jeunesse. "L'actualité peut être un peu lourde, démoralisante. C’est agréable de pouvoir également travailler sur des illustrations pour les albums jeunesse, plus axés sur la fantaisie et l’imagination", souligne-t-elle.
Ses deux premiers livres devraient sortir au printemps. Le premier est une collaboration avec une auteure, pour raconter aux enfants la communication entre les arbres. "C’est une jolie histoire sur les racines des arbres, centrée sur l’imagination avec beaucoup de métaphores, accompagné d’une partie plus documentaire", explique-t-elle. Derenne a écrit le second, un livre très visuel et plein d’illustrations pour les tout petits, en pensant à son fils de deux ans.
Et elle ne compte s'arrêter là. D’autres projets, d’autres voyages et d’autres dessins devraient voir le jour en 2019, toujours nourris par sa créativité, son goût pour l'actualité et son expérience de la vie madrilène.