Dans le cadre de l'atelier de journalisme animé au Lycée français de Madrid par lepetitjournal.com, et le directeur du cycle 3, en collaboration avec l'équipe pédagogique, dix élèves de CM2 ont interviewé fin mai un parent d'élève de l'établissement, papa de quatre enfants, expatrié à Madrid depuis 2001. Un Français de l'étranger peu ordinaire : sportif adulé des deux côtés des Pyrénées à l'époque où il portait à la fois le maillot tricolore et celui du Real Madrid, et dont la légende perdure, une décennie plus tard.
Ils ont à peine onze ans, n'étaient pas nés pour voir le doublé de Zizou en finale de la Coupe du monde de football de 1998, ni la galactique "volée de Glasgow", inscrite en finale de la ligue des champions de 2002, face au Bayer Leverkusen. Ils connaissent pourtant nombre d'anecdotes et de gestes techniques dans le détail et ont préparé avec soin leur face à face avec celui qui, en dépit des générations, reste aux yeux des plus jeunes une idole incontestée. Atelier de journalisme vs ? Zinédine Zidane : pas de but, mais un beau jeu collectif à 11... et des souvenirs pour longtemps.
Cinq enfants de CM2C et 5 autres de CM2I. Après le travail effectué au premier semestre avec 10 élèves des CM2D et CM2G, essentiellement axé sur le décryptage de la presse et la rédaction de brèves, dix nouveaux journalistes en herbe du 3e cycle du Lycée français de Madrid ont donc pris la relève. Représentants de leurs camarades de classes, ils ont d'abord bénéficié, avec le support du corps pédagogique et en collaboration avec l'ensemble des élèves des 4 classes concernées, d'une mise en commun portant sur le travail effectué par leurs prédécesseurs. Puis les séances se sont centrées sur la thématique de ce second volet de l'atelier de journalisme : l'interview. Après avoir travaillé sur les techniques d'entretien et de collecte de témoignage, un ambitieux programme de tête à tête a été élaboré. Pour cette première interview, préparée avec minutie, les élèves ont questionné Zinédine Zidane sur 5 thématiques définies au préalable : son enfance et sa scolarité, son identité nationale et son expérience en tant qu'expatrié, l'éducation et son lien avec le LFM, sa carrière footballistique bien sûr et, enfin, ses passions et projets.
Les enfants de l'atelier de journalisme : Peux-tu nous parler de l'école de ton enfance ?
Zinédine Zidane : J'ai grandi dans la banlieue nord de Marseille, dans un quartier qui s'appelle la Castelane, où j'allais dans une école beaucoup plus petite que la vôtre et dont je garde de très bons souvenirs. J'avais beaucoup de copains, j'aimais bien les maths, l'histoire... Mes professeurs étaient très sympas. Je me souviens encore de leurs noms, de leurs visages, ils étaient bienveillants avec moi.
Etais-tu bon élève ?
Comme ci, comme ça...
Est-ce que tu jouais au foot à l'école ?
Oui, on jouait au foot à la récré. D'ailleurs, quand j'étais petit, je ne jouais qu'à ça. J'étais prédestiné à faire ça, même si je ne savais pas que j'allais devenir joueur professionnel, même si je n'étais même pas le meilleur de mes camarades... Je n'étais pas le meilleur, mais j'étais très travailleur. C'est important, ça, le travail, dans tous les domaines. Moi je me suis donné les moyens : je suis parti très tôt de la maison, à 13 ans et demi. A l'époque tout le monde me disait que j'avais des possibilités de faire des choses. Alors mes parents ont accepté que je parte à condition que j'habite dans une famille d'accueil. C'est comme ça que j'ai intégré le Cercle de l'AS Cannes. C'est comme ça, aussi, que j'ai pris l'habitude de voyager, de beaucoup bouger.
En étant de nationalité franco-algérienne, à quel pays es-tu le plus attaché ?
Mes parents sont tous les deux nés en Algérie, mais ils sont venus très tôt en France pour y travailler. Je suis né en France, comme tous mes frères et s?urs, ce qui fait que nous avons la double nationalité*. Et je suis attaché aux deux pays. Je suis très fier d'être né en France, c'est quand même un beau pays! Mais je suis aussi très fier de mes racines algériennes, et des valeurs que m'ont transmis mes parents : d'abord le respect, puis le travail et le sérieux.
Et pourquoi es-tu venu en Espagne ?
Je suis venu en Espagne pour jouer dans le merveilleux club du Real Madrid.
Oui, mais pourquoi pas l'Atlético ?
Parce que c'est Florentino Pérez, le Président du Real Madrid, qui est venu me chercher. Le Real Madrid, ça ne se refuse pas... A l'époque, c'était pour moi le plus grand club du monde.
Est-ce que tu aimes bien vivre à l'étranger ?
Oui, j'adore ça. D'abord, parce que j'ai toujours beaucoup changé de lieux de vie, à cause de ma carrière. A une époque, je changeais de ville tous les 5 ans : j'ai vécu à Cannes, à Bordeaux, puis à Turin et enfin à Madrid. J'aime être dans un endroit où les gens pensent différemment. A Madrid, j'apprécie cette mixité, ce mélange des cultures. Et puis j'aime beaucoup le centre ville, me balader dans le parc du Retiro... En 2006, j'ai failli partir aux Etats-Unis, pour finir ma carrière. Je ne dirais pas que je regrette de ne pas l'avoir fait, parce qu'il ne faut jamais avoir de regrets, mais maintenant ça fait près de 15 ans qu'on habite ici, et des fois j'aimerais bien changer.
Et que penses-tu du Lycée français de Madrid ?
Mes quatre enfants sont passés par le Lycée français. Nous avons beaucoup de chance : il y a un très bon niveau, de très bons résultats et les professeurs sont très compétents. Dans ma famille, tous mes enfants jouent au foot, certains au niveau professionnel... Je suis très fier d'eux, mais ce n'est pas le plus important. Le plus important c'est que ce soient des garçons bien dans leur peau, qu'ils soient bien éduqués. Enzo, l'aîné, qui est milieu de terrain dans l'équipe 2 du Real Madrid, avait de très bons résultats scolaires. Il a eu son Baccalauréat avec les félicitations du jury. Pour nous, ses parents, sa passion était importante, mais autant que l'était son niveau scolaire. A la maison, on ne rigole pas avec ça...
Mais tous tes enfants veulent devenir footballeurs ?
Mes enfants, ce qu'ils aiment faire, c'est jouer au foot. C'est la pratique numéro 1 chez nous. Comme il fallait quelqu'un pour arrêter les tirs des autres, c'est Lucas qui s'est collé aux cages... Maintenant il est en championnat d'Europe, avec l'équipe de France des moins de 17 ans. On parle beaucoup de lui, parce qu'en demi-finale, il a arrêté 3 penalties. Mes enfants ont été inspirés par ce que j'ai fait, c'est sûr, mais je leur dis que ce sera compliqué, que tout de suite on va les comparer à leur papa, surtout ici, à Madrid, où ils sont très exposés. Je leur en parle beaucoup et en même temps, ils sont conscients de cela.
Et les plus jeunes, comment ils font pour les devoirs ?
Les devoirs c'est avant de partir au foot. Et si ce n'est pas fini, au retour de l'entrainement, aussi.
Tu n'aurais pas aimé avoir une fille ?
Si j'aurais beaucoup aimé, parce que la relation entre une petite fille et son papa, c'est quelque chose de très spécial... Mais je vous rassure, je préfère avoir eu quatre garçons que quatre filles !
Peux-tu nous raconter le plus beau moment de ta carrière de footballeur ?
Je ne vais pas être original : le plus beau moment, c'est quand j'ai soulevé la coupe du monde. Quand je l'ai prise dans mes mains et que je l'ai soulevée. On fait ce métier pour gagner des titres. En tous cas, moi, je le faisais pour ça, pour gagner. J'avais tout gagné dans ma carrière et j'ai eu la chance de gagner le titre qu'il me manquait, la coupe du monde, et dans mon pays en plus : soulever la coupe, ça a été l'apothéose.
Comment ça s'est passé la coupe du monde ?
On avait une génération formidable, une équipe constituée de joueurs qui évoluaient dans les meilleurs clubs européens de l'époque. Mais ce qui fait qu'on a gagné, c'est qu'on avait vraiment une entente très forte entre nous. Quand on est entre potes, on peut soulever des montagnes. C'est ça qui a fait la différence.
Tu peux nous raconter un moment amusant de la coupe du monde ?
Eh bien, avant la finale, on a appris que Ronaldo ne jouerait pas, parce qu'il n'était pas bien. Pour lui c'était triste, mais nous, on était tous soulagés, ça faisait notre affaire. C'était le meilleur joueur de son équipe, donc on se félicitait qu'il ne puisse pas jouer... Et finalement, il a quand même été aligné ! Mais il n'était pas bien, il n'aurait pas dû jouer.
Quel était ton joueur préféré ?
Ronaldo, justement.
Et quand tu étais petit ?
C'était un joueur uruguayen qui s'appelait Enzo Francescoli. Il a joué à l'Olympique de Marseille dans les années 90. C'était mon idole, et quand j'allais au Vélodrome, je regardais tous ses faits et gestes. Plus tard, j'ai joué contre lui en finale du championnat du monde des clubs. C'était un match contre la Juventus de Turin et River Plate et nous avons gagné. Et alors j'ai eu la chance de réaliser mon rêve : il a accepté de changer son maillot contre le mien. Mon rêve c'était de dormir avec son maillot, et je l'ai fait le soir même. Je me suis mis au lit avec le maillot, pourtant j'étais marié déjà. Vous imaginez, au lit, avec le maillot et ses publicités, et mon épouse à côté ? J'étais heureux de pouvoir réaliser ce rêve.
Aujourd'hui, quel est ton joueur préféré ?
Eden Hazard, qui joue à Chelsea.
Voudrais-tu devenir entraineur ? De quelle équipe ?
Oui, je travaille pour ça. Mon objectif c'est entrainer une équipe de première division.
Tu es l'entraîneur de ton fils Enzo, au Real Castilla. C'est difficile d'entraîner son fils ?
Oui, c'est très difficile, surtout pour lui, parce que papa ne fait pas de cadeaux.
Qu'est ce que tu aimes dans le fait d'entrainer ?
J'aime transmettre ce que j'ai appris, partager mon savoir... Même si ce n'est pas toujours facile aujourd'hui avec les jeunes. Ils veulent tout, tout de suite.
Quel projet as-tu en tête quand tu seras à la retraite ?
Quand je serai à la retraite, je souhaite m'occuper de ma fondation, la fondation Zinédine Zidane, qui œuvre contre la pauvreté en Algérie. Aujourd'hui, physiquement, je n'y fais pas grand chose, parce que je suis pris par d'autres obligations. Je délègue beaucoup. C'est mon père surtout qui s'en occupe. C'est important pour lui, il est parti très tôt pour travailler, et il est parti avec pas grand chose. Créer quelque chose là-bas, là où il a grandi, il en avait vraiment envie. Pour moi, dorénavant c'est important de faire des choses pour les autres. Le foot m'a beaucoup donné... A un moment donné, il faut savoir rendre.
*Du fait des accords d'Evian, ndlr
Propos recueillis par les élèves de l'atelier de journalisme : Selma, Clémence, Marina, Cécile, Guihem de CM2C et Eleonora, Eugenia, Ana, Tristan, Emile de CM2 I