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Tout sur la loi d'amnistie votée en Espagne

Cela fait bientôt un an que l'amnistie monopolise les Unes des journaux. Outre la polémique qui l'entoure, que signifie la loi d'amnistie qui vient d'être approuvée et quelles sont les conséquences immédiates?

Congres des deputes en espagneCongres des deputes en espagne
Congres des deputes espagnol
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 1 juin 2024, mis à jour le 3 juin 2024

L'amnistie était la condition sine qua non imposée par Carles Puigdemont, l'ancien président de la Generalitat de Catalunya réfugié en Belgique, pour voter l'investiture de Pedro Sanchez, après les élections du 23 juillet 2023. "Soit on arrive à un accord avec Junts, soit on refait les élections" avait déclaré Puigdemont, fort de ses 7 députés, dès le 24 juillet. Après plusieurs mois de controverses autour du bienfondé et de la constitutionnalité de cette amnistie, le Congrès a approuvé le 30 mai dernier la loi d'amnistie par 177 voix contre 172, au cours d'une séance pleine de tensions.

 

negociations PSOE-Junts a bruxelles
Négociations PSOE-Junts à bruxelles en vue de l'investiture de Pedro Sanchez après les élections du 23 juillet 2023/CC

 

En quoi consiste la loi?

À la différence de la grâce, qui pardonne un délit commis pour lequel l'auteur a été puni, l'amnistie pardonne ou, plutôt efface le délit et dispense l'auteur d'être jugé pour ce délit. Ce dernier point est particulièrement important pour Carles Puigdemont qui a toujours refusé d'accepter une éventuelle grâce, car cela signifierait qu'il devrait d'abord être jugé en Espagne devant la Cour suprême. D'ailleurs, le juge de la Cour suprême Pablo Llarena a tenté à plusieurs reprises de l'extrader vers l'Espagne par le biais de trois euro-ordres, qui ont tous échoué. 

Que signifie pour l'Espagne l'amnistie demandée par les indépendantistes catalans?

Concrètement, la loi d'amnistie laisse sans effet les condamnations des indépendantistes qui ont participé aux "procés" de 2017, le processus d'indépendance de la Catalogne, et les procédures judiciaires en cours. Mais elle va bien au-delà, puisqu'elle efface tous les délits commis entre le 1er novembre 2011 et le 13 novembre 2023 liés au procés. Il s'agit notamment de l'organisation et de la tenue des deux consultations indépendantistes déclarées inconstitutionnelles par la justice espagnole - le référendum du 1er octobre 2017 et la consultation populaire du 9 novembre 2014 - ainsi que tous les actes liés au processus indépendantiste.

Qui peut en bénéficier?

Le nombre exact de personnes n'est pas connu ou, tout du moins, il y a des divergences entre ce que déclarent le gouvernement et la Generalitat. Pour l'exécutif, l'amnistie concernera près de 400 personnes, alors que pour les organisations indépendantistes, comme Òmnium Cultural, le chiffre est supérieur a  1.400 personnes.

 

gouvernement regional de catalogne en 2017
Gouvernement regional de Catalogne en 2017 / Generalitat Catalunya

 

Parmi eux, bien sûr, l'ancien président du gouvernement autonome de Catalogne, Carles Puigdemont, qui avait fui l'Espagne dans le coffre d'une voiture, quelques semaines après la tenue du référendum sur l'indépendance en octobre 2017. Cette consultation avait conduit à une déclaration unilatérale d'indépendance de la Catalogne par le gouvernement autonome et à l'ouverture de nombreuses procédures judiciaires contre ses promoteurs. L'amnistie signifierait donc le retour en Espagne de Puigdemont, libre, après un labyrinthe judiciaire de plus de six ans. Cela concerne également l'ancien vice-président du gouvernement autonome Oriol Junqueras (ERC) qui, lui, avait été condamné puis gracié en 2021 ou encore le leader de l'ERC au Parlement, Josep Maria Jové ou la fugitive Marta Rovira (ERC).

Il en va de même pour les maires, les conseillers municipaux ou les fonctionnaires liés à l'organisation du référendum, ainsi que pour les anciens directeurs de la télévision et de la radio publiques catalanes, qui font l'objet d'une enquête pour un éventuel détournement de fonds. Figureraient également ceux qui appartiennent au groupe Tsunami Democratic qui ont déclenché les graves troubles en 2019 à la suite de la sentence de la Cour suprême qui condamnait pour sédition les dirigeants indépendantistes ayant organisé le référendum du 1er octobre.

Comment la loi d'amnistie sera-t-elle mise en œuvre?

La loi elle-même prévoit un traitement préférentiel et urgent dans son application. Plus précisément, elle établit qu'une fois la loi publiée au Journal officiel de l'État, (probablement après les élections européennes du 9 juin), les tribunaux auront deux mois pour la mettre en œuvre "sans préjudice des recours ultérieurs". Avec son entrée en vigueur, les juges devront lever toutes les mesures de précaution en vigueur, y compris les mandats d'arrêt, comme celui de Carles Puigdemont.

 

Carles puigdemont vote au referendum illegal du 1er octobre 2017
Carles Puigdemont, lors du vote au referendum illégal du 1er octobre 2017 / Generalitat Catalunya

 

Les premiers écueils de la loi d'amnistie

Voilà la théorie, car dans la pratique, tout ne sera pas aussi simple. Les tribunaux - la Cour suprême dans le cas de l'ancien président catalan - devront appliquer la loi au cas par cas, ce qui donnera lieu à une multitude de situations disparates.

 

En outre, une fois la loi promulguée, il n'est pas non plus exclu qu'au moins trois organes judiciaires - la Cour suprême, l'Audience nationale et les juges catalans fassent appel à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), ce qui pourrait paralyser son application jusqu'à ce qu'elle se prononce. Les aspects les plus controversés de l'amnistie sont ceux qui font référence aux délits de détournement de fonds et de terrorisme, deux matières réglementées par le droit européen. Les procureurs du "procés" ont d'ailleurs déjà déclaré qu'ils ne considéraient pas les délits de détournement de fonds comme "amnistiables".

 

Carles Puigdemont pendant la campagne electorale du 12M depuis la france
Carles Puigdemont pendant la campagne electorale du 12M depuis la France /Junts per Catalunya

 

De plus, la loi va également être contestée devant le Tribunal Constitutionnel (TC) par plusieurs communautés autonomes gouvernées par le PP… mais aussi par le PSOE. Le président régional de Castilla-La Mancha, le socialiste Emiliano García-Page, très critique envers Pedro Sanchez, vient d'annoncer que son gouvernement régional allait présenter un recours devant le TC, avertissant que "l'amnistie ne se marchande pas: elle se donne ou ne se donne pas, mais elle ne se donne pas en échange de quoi que ce soit, et encore moins en échange de chantage"

Si Puigdemont rentre en Espagne, pourrait-il être arrêté ?

La principale conséquence de l'entrée en vigueur de la loi d'amnistie est qu'elle oblige à lever les mesures de précaution qui pèsent sur la personne poursuivie. Puigdemont n'est pas actuellement sous le coup d'un mandat d'arrêt européen actif, mais il est sous le coup d'un mandat d'arrêt national qui doit être levé. Pour que Puigdemont soit présent aux séances d'investiture, il faudra attendre de voir ce que fera le magistrat de la cour Suprême Pablo Llarena, qui dispose en principe d'une marge de deux mois pour appliquer l'amnistie à Puigdemont. Le leader de Junts a assuré qu'il rentrerait en Espagne dès que la loi d'amnistie serait approuvée et, surtout, en vigueur. Il est entendu que son retour attendra le moment où il ne pourra pas être arrêté.

Élections en Catalogne : Que risque Carles Puigdemont en cas de retour en Espagne?

Et avec l'amnistie reviendra la "paix" en Catalogne?

Le gouvernement central affirme que l'amnistie met fin à toutes les affaires judiciaires liées au "procès" ce qui permettra d'entamer un "nouveau cycle de concertation avec la Catalogne", en "remettant les compteurs à zéro" en ce qui concerne les désaccords qui ont existé. Du reste, le nom juridique de la nouvelle loi est "loi d'amnistie pour la normalisation institutionnelle, politique et sociale en Catalogne". Rien n'est pourtant moins sûr au dire des propres leaders indépendantistes.

 

Gabriel Rufian, porte parole ERC
Gabriel Rufian, porte parole ERC/Congres des députés

 

Depuis le début des négociations entre Junts et le PSOE en vue de l'amnistie, les choses ont toujours été très claires pour les indépendantistes catalans et ils n'ont jamais caché leurs intentions: l'amnistie est seulement "le point de départ d'un chemin qui a une fin: que les citoyens de Catalogne votent sur leur indépendance". Après l'approbation de la loi, Junts et ERC ont réitéré que leurs exigences se poursuivaient: "prochaine étape: le référendum", a déclaré Gabriel Rufián, porte-parole de l'ERC, quelques minutes après le vote de la loi au congrès.

 

Miriam Nogueras porte parole Junts
Miriam Nogueras, porte parole de Junts/Congrès des députés

L'union retrouvée des frères ennemis ERC et Junts

De son côté, la porte-parole de Junts, Míriam Nogueras, a été tout aussi claire en soulignant que cette loi "n'est pas un pardon ou une clémence, c'est une victoire" sur l'Espagne démocratique. "Il ne s'agit pas d'une loi de pacification comme certains voudraient la présenter. C'est une réparation pour certaines injustices commises (…) Ils nous ont dit qu'il n'y aurait jamais d'indépendance, et aujourd'hui il est plus clair que jamais que cela dépend de vous, cela dépend du peuple de Catalogne". En définitive et comme l'a rappelé Junts: "Le combat continue". Enfin, l'amnistie a une conséquence fondamentale pour le futur de l'Espagne, que n'avait pas prévu le gouvernement: les images de l'unité retrouvée entre les deux frères ennemis Junts et ERC sont révélatrices. Prochaine étape: la présidence de la Generalitat pour Puigdemont.

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