"Amnistie" est le mot qui sort en boucle dans les médias espagnols depuis le résultat des élections générales du 23 juillet dernier. Décryptage sur la principale exigence de Junts pour soutenir l'investiture de Pedro Sánchez et ses enjeux.
Pourquoi tant d'histoires pour une amnistie?
Quels sont les enjeux de cette mesure qui fait couler tant d'encre et travailler H24 ceux qui négocient avec l'indépendantisme catalan? Les conditions posées par Carles Puigdemont pour négocier l'investiture de Pedro Sánchez sont claires et précises, même pendant la campagne des élections du 23 juillet dernier. L'ancien président de la Generalitat, réfugié en Belgique, exige qu'une loi d'amnistie soit votée pour négocier l'investiture : "Soit on arrive à un accord avec Junts, soit on refait les élections". Autrement dit, si Pedro Sanchez veut être à nouveau président du gouvernement, il doit trouver un moyen de mettre en place cette amnistie.
Et si cela ne suffisait pas, les indépendantistes catalans rappellent également que l'amnistie est seulement "le point de départ d'un chemin qui a une fin: que les citoyens de Catalogne votent sur leur indépendance" (déclarations du président de la Generalitat au Sénat). On l'a compris, les enjeux sont importants et la situation critique pour l'Espagne.
La Constitution prévoit-elle une amnistie?
Cette mesure est contraire à la Carta Magna car la Constitution attribue au pouvoir judiciaire la compétence de juger et l'amnistie, dans la pratique, effacerait cette action des tribunaux. Cependant, des experts en droit constitutionnel tentent actuellement de trouver un moyen pour que l'amnistie soit légale et trouve sa place dans la Constitution. C'est la clé de l'investiture qui permettrait à Pedro Sanchez de recevoir les 7 votes de Junts qui lui manquent pour continuer à La Moncloa.
Y a-t-il des précédents?
Après la fin de la dictature, il y a eu la loi d'amnistie de 1977, un pardon qui a permis une transition exemplaire vers la démocratie. Mais, attention, cette loi d'amnistie a eu lieu un an avant l'approbation de l'actuelle Constitution de 1978.
L'amnistie est seulement le point de départ d'un chemin qui a une fin: que les citoyens de Catalogne votent sur leur indépendance
Quels seraient les délits amnistiés?
Les indépendantistes catalans négocient le fait que l'amnistie concerne tous les actes d'intentionnalité politique depuis le 1er janvier 2013, quel que soit leur résultat, qu'ils soient "qualifiés de délits ou de conduites administrativement punissables". Cela inclut donc les crimes de rébellion et de sédition, ainsi que le reste des troubles contre l'ordre public et les délits de prévarication, de fausse déclaration, de détournement de fonds publics, de désobéissance ou de divulgation de secrets.
Est-ce la même chose que la grâce?
Justement non. La grâce et l'amnistie sont deux mesures de grâce accordées à des personnes condamnées ou accusées de crimes. Bien qu'elles puissent sembler similaires, elles diffèrent en ce sens que la grâce dispense la personne de purger sa peine, alors que dans le cas de l'amnistie, c'est le crime commis qui est pardonné. La grâce nécessite donc une condamnation et les personnes sont toujours considérées comme coupables, alors que l'amnistie ne nécessite pas de condamnation. En outre, la grâce n'éteint pas la responsabilité civile pour le crime pour lequel la personne a été condamnée, alors que l'amnistie éteint cette responsabilité civile, en plus de l'éventuelle responsabilité pénale. Par conséquent, la grâce n'efface pas nécessairement le casier judiciaire, alors que l'amnistie le fait.
Pourquoi Puigdemont demande-t-il l'amnistie et non la grâce?
On l'a compris, l'ancien président catalan Carles Puigdemont a toujours refusé d'accepter une éventuelle grâce, car cela signifierait qu'il devrait d'abord être jugé en Espagne devant la Cour suprême. Or, les exilés n'ont jamais été jugés, bien que le juge de la Cour suprême Pablo Llarena ait tenté à plusieurs reprises de les extrader vers l'Espagne par le biais de trois euro-ordres, qui ont tous échoué jusqu'à présent. L'amnistie signifierait donc le retour en Espagne de Puigdemont, libre, après un labyrinthe judiciaire de plus de six ans.
Cela profiterait-il seulement à Carles Puigdemont?
L'amnistie ne bénéficierait pas seulement à l'ancien président catalan, mais aussi d'autres dirigeants condamnés et à quelque 3.000 autres personnes qui font l'objet de poursuites judiciaires en raison des conséquences du 1-0 (1er octobre 2017).
Les élections catalanes en seraient-elles affectées?
Une fois amnistiés, les leaders indépendantistes bénéficiaires de cette mesure pourraient donc se présenter aux élections catalanes qui, à moins qu'elles ne soient avancées, se tiendront en 2025, à condition que la loi approuvant l'amnistie le permette, de sorte que nous pourrions voir Carles Puigdemont à nouveau candidat à la Generalitat. Mais pas seulement lui. Il faut rappeler que tous les anciens dirigeants de la generalitat lors du 1-0 - à l'exception de Carles Puigdemont qui avait fui l'Espagne, caché dans le coffre d'une voiture-, ont été emprisonnés pendant quatre ans avant d'être grâciés en juin 2021. On l'a vu, leur grâce annulait la peine de prison mais maintient la déchéance, les empêchant de se présenter à des élections. L'amnistie représenterait donc un grand pas en avant pour les indépendantistes.