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Les amendes de l'état d'alerte vont-elles être appliquées ?

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Tingey Injury
Écrit par Perrine Laffon
Publié le 27 mai 2020

L'Espagne a distribué plus d'un million d'amendes pour des infractions aux règles imposées par l'état d'alerte. Le doute plane quant à la gestion et à la réclamation de ces contraventions. 

 

Mi mai, près de deux mois après le début de l'état d'alerte décrété le 14 mars 2020, les forces de l'ordre espagnoles avaient déjà ratifié plus d'1 million de "propositions de sanctions" pour non-respect des règles de restriction de mobilité, et procédé à plus de 8.000 arrestations. Le nombre de sanctions quotidiennes fut plus intense début avril, lors des journées correspondant à la période de cessation d'activité et à la semaine sainte, atteignant le pic de contraventions distribuées le dimanche 12 avril. Les amendes peuvent s'élever de 600 jusqu'à 10.000 euros dans les cas les plus graves. 


Des doutes juridiques

Dans la majorité des cas, les sanctions dictées sont en cours de traitement, et devraient être notifiées aux personnes concernées lorsque les administrations réactiveront leurs services. Les processus administratifs sont en effet suspendus depuis le mois d'avril et devraient rouvrir le 1er juin, avec une avalanche de demandes et de dossiers en suspens. Outre le gel des opérations habituelles, il convient de souligner que de nombreuses amendes ont été décrétées dans un très court laps de temps, obligeant les autorités à mettre en place une nouvelle organisation pour répartir la gestion des contraventions en cours. 

Les propositions de sanctions attribuées durant l'état d'alerte suscitent de nombreux doutes juridiques, puisqu'elles retombent souvent sur des interprétations personnelles du décret, de difficile application légale. En effet, plusieurs spécialistes soulèvent un manque de cadre juridique précis pour justifier la validité des sanctions signalées durant l'état d'alerte : il s'agit d'amendes imposées pour des conduites considérées comme interdites dans une situation exceptionnelle, par un texte dont les limites peuvent être sujettes à différentes interprétations selon les différents agents des forces de l'ordre qui ont attribué ces sanctions. Les citoyens ont quinze jours pour s'opposer à leur contravention.

Pour Sergio Roman, fondateur du cabinet d'avocats madrilène Alonso Román & Asociados Abogados, on observe que "les sanctions ne stipulent pas les faits de l'infraction de façon détaillée". Dans les faits, cela génère une impossibilité de se défendre pour l'intéressé et peut déboucher sur un motif de recours de la sanction. "Le problème, c'est que l'administration est à la fois juge et partie", nuance néanmoins l'avocat. Difficile dans ce cas espérer obtenir gain de cause. "Une fois épuisée la voie administrative, il est toujours possible de recourrir judiciairement, où alors c'est un juge impartial qui tranche", complète l'avocat. "Par contre il s'agit d'un cheminement particulièrement long", avertit-il. 


Des sanctions déjà contestées

Le décret de loi qui autorise la proclamation d'un état d'alerte exceptionnel, en cas de situation d'urgence en Espagne, stipule dans son article 1.3. qu'une fois "l'état d’alerte expiré, toutes les compétences en matière de sanctions, ainsi que les mesures concrètes prises sur la base de celles-ci, à l’exception de celles consistant en des sanctions fermes, perdront leur efficacité". En s'appuyant sur ce texte, il serait donc possible de considérer qu'à la levée de l'état d'alerte, toutes les sanctions qui n'ont pas encore été notifiées et qui sont en cours de traitement ne seraient pas considérées comme des sanctions fermes, et ne pourraient pas être réclamées. 

D'autre part, il semblerait qu'une autre imprécision légale permette de contester les amendes appliquées durant l'état d'alerte pour désobéissance grave. Les forces de l'ordre pouvaient appliquer les contraventions en s'appuyant sur l'article 36.6 de la loi de sécurité citoyenne (la controversée "ley mordaza"), qui légitime les sanctions pour le non-respect des normes imposées par l'état.

Néanmoins, deux juges (de Vittoria et de Pontevedra) se sont déjà prononcés contre l'état : dans leurs jugements, ils expliquent que pour qualifier un acte de désobéissance, un individu doit être averti personnellement qu'il est en train d'enfreindre un décret d’alarme. Le gouvernement espagnol considère qu'un avertissement n'est pas nécessaire car tout le monde devait déjà connaître les mesures qui sont relayées dans tous les médias. Ce qui n'a pas empêché ces deux juges d'opter pour un acquittement de personnes accusées d'avoir enfreint les règles de l'état d'alerte. Les juges ont justifié, lançant peut être une jurisprudence, que le non-respect des restrictions du confinement ne peut pas être considéré comme un délit "s'il n'y a pas une injonction expresse préalable personnelle et individualisée adressée au citoyen par l’autorité pour qu’il respecte les limitations imposées par l’état d’alerte". L'un des accusés a été signalé comme récidiviste pour enfreindre les restrictions de mobilité à plusieurs reprises, après avoir donc été averti une première fois par les agents. Le juge a considéré que cet agissement n’est pas un motif de condamnation pénale et propose qu'il soit puni par une amende plus lourde. La décision de justice précise que "en aucun cas nous ne pouvons atteindre une condamnation pénale pour une présomption de désobéissance pour le non-respect d'une simple norme, même s'il est répété", et recommande une sanction économique plus importante à la place.

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