Le déclin du débat politique en Espagne a atteint des sommets -ou plutôt des abîmes- vendredi dernier, lors du débat organisé par la chaîne radiophonique CadenaSER. Le coup de théâtre qui s’est joué en fin de semaine dernière pourrait bien bouleverser la donne et changer la répartition des votes des Madrilènes, le 4 mai.
Coup dur pour les médias. laSexta et RTVE annoncaient vendredi que les débats prévus la semaine prochaine seront annulés. laSexta a justifié sa décision en évoquant le fiasco lors du débat sur la radio CadenaSER, durant lequel Pablo Iglesias, Mónica García et Ángel Gabilondo, candidats de Gauche, ont refusé de débattre avec Rocío Monasterio, la candidate de VOX. La Radiotélévision espagnole a, quant-à-elle, affirmé dans son communiqué annuler le débat afin "de ne pas nuire au devoir de proportionnalité et de neutralité de la RTVE" suite au refus de plusieurs candidats à débattre.
La pré-campagne et le début de la campagne électorale avaient, de toutes façons, annoncé la couleur. S’il est vrai qu’en Espagne les élections ont toujours une saveur particulière, rares sont les fois où une période électorale avait respiré un tel climat de tension. Après le fameux slogan "Communisme ou Liberté" d’Isabel Díaz Ayuso et l’attaque des militants dits "antifascistes" lors du meeting de VOX à Vallecas, d’autres événements ont continué à cristalliser les tensions.
Le premier débat sur Telemadrid, le seul réunissant les six candidats, fut notamment marqué par la stratégie du "tous contre tous". Logiquement, l’actuelle présidente de la région, Isabel Díaz Ayuso (PP), était en première ligne, cible des trois partis de Gauche, épinglée pour sa gestion de la crise sanitaire. Alors que Ciudadanos a défendu son rôle au gouvernement régional lors des deux dernières années, tendant une nouvelle fois la main au Parti Populaire, VOX, à sa manière, s’est attaqué à tous les partis -excepté le PP-, promettant d’empêcher la Gauche d’entrer au gouvernement.
Et tandis qu’au lendemain du lancement de la campagne, la station de métro de la Puerta del Sol était ainsi placardée d’affiches de VOX stigmatisant les "MENA" (mineurs sans papiers non accompagnés), le ton de la campagne s’est, si possible, encore durcit.
Está en tu mano.#VOXenSol
— VOX Luxemburgo (@LuxemburgoVox) April 20, 2021
Los 4.700€/mes corresponden al coste medio de la última licitación de las plazas para Menas en la Comunidad de Madrid. pic.twitter.com/TCL2RqCRc0
Pablo Iglesias Turrión (…), tes parents ton épouse et toi-même êtes condamnés à la peine capitale
La polémique a éclaté en fin de semaine dernière, lorsque Pablo Iglesias, candidat d’Unidas Podemos (UP) -mais aussi le ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska et la directrice générale de la Guardia Civil, María Gámez- recevait un courrier de menaces de morts, accompagné de quatre balles de calibre 7,62. "Pablo Iglesias Turrión (…), tes parents, ton épouse et toi-même êtes condamnés à la peine capitale", pouvaient-on lire dans la lettre. Lors d’une intervention sur la radio publique vendredi matin, la candidate de VOX Rocio Monasterio a mis en doute ces menaces de mort, alléguant qu’on ne pouvait pas faire confiance en la Moncloa : "Je ne crois pas grand-chose de ce que dit [Pablo] Iglesias, et rien de ce que dit ce Gouvernement", a-t-elle déclaré ("De Iglesias me creo poco y del Gobierno no nos creemos nada").
Débat sur la CadenaSER : fiasco ou stratégie politique ?
Le débat diffusé vendredi dans la foulée sur la chaîne de radio CadenaSER restera sûrement dans les annales de la politique espagnole. L’absence de la candidate du Parti Populaire a été éclipsée par le refus des candidats de Gauche à continuer de débattre avec Rocío Monasterio, tête de liste de VOX.
Appelée par Pablo Iglesias à rectifier ses propos, Rocio Monasterio a en effet persisté dans ses positions et a refusé de reconnaître et de condamner explicitement les menaces de mort proférées à l’encontre de Pablo Iglesias et de sa famille. Le candidat d’extrême-Gauche a quitté le débat, suivi quelques minutes après par Mónica García (Más Madrid) et Ángel Gabilondo (PSOE). "C’en est assez de blanchir l’extrême-Droite", déclarait la tête de liste d’UP avant de se lever de sa chaise. Mónica García et Pablo Iglesias ont d’ores et déjà annoncé qu’ils refuseraient d’effectuer de nouveaux débats face à Rocío Monasterio.
Le boycott de Más Madrid et d’UP à VOX pourrait bien polariser plus encore la campagne, provoquant un transfert de voix de la Droite à l’extrême-Droite. Mais l’attitude coordonnée de la plupart des partis de Gauche pourrait aussi, quant-à-elle, donner la sensation d’un semblant d’union, condition sinequanone à la reprise de la région à la Droite.
Le futur nous dira qui bénéficie de ce coup de théâtre. Néanmoins, entre la Gauche et la Droite, les blocs se resserrent. La dernière étude du CIS (Centre de Recherche Sociologique) donne toujours Díaz Ayuso vainqueur, mais ses possibilités de gouverner dépendraient fortement du résultat de VOX. Les deux formations pourraient obtenir conjointement entre 65 et 69 sièges. À Gauche, le rêve reste possible : les trois partis pourraient obtenir entre 67 et 73 sièges... Incertitude, quand tu nous tiens.