Vendredi dernier, dans le cadre de la journée internationale décrétée par l'ONU, célébrée tous les 25 novembre depuis 1981, l'association d'amitié hispano-français Mujeres Avenir, en collaboration avec Oxfam Intermon, organisait à la Résidence de France une conférence en présence de l'Ambassadeur de France en Espagne, Yves Saint-Geours. L'hôte et son épouse ont ainsi une fois de plus marqué l'engagement de la France sur la question de l'élimination de la violence de genre. Cinq intervenantes issues des mondes de la francophonie et de l'hispanité, ont été conviées à partager leurs expériences et leurs points de vue. Au final, une salle comble et un public conquis, avec un message fort : "Il faut que cela change".
(Photo Mujeres Avenir) Dirigée par Maria Luisa de Contes, Présidente de l'association Mujeres Avenir, la conférence était modérée par Trinidad Jiménez, ex ministre espagnole de la Santé. C'est cependant, une fois n'est pas coutume, un homme, Yves Saint-Geours, qui a ouvert la cérémonie. Et ce n'est pas par des mots, mais par le silence, que l'Ambassadeur a inauguré l'acte, au cours d'une minute dédiée à la mémoire d'Alia, jeune-femme assassinée par son conjoint à Fuenlabrada, dans le sud de Madrid, le 24 novembre. A la veille de l'événement et de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, il s'agit cette année de la 45e victime mortelle de la violence machiste dans le pays. Toujours très nombreux, souvent mondain, vraisemblablement sensibilisé aux questions de l'égalité hommes-femmes, le public s'est immédiatement retrouvé plongé au plus profond du drame que constitue la violence à l'égard des femmes, dans une dimension qui dépasse largement les enjeux paritaires, habituellement débattus par l'association. La notion d'urgence a d'ailleurs très rapidemment été transmise par la Présidente de Mujeres Avenir, qui, introduisant les débats, a évoqué "un grave problème social" reconnu par l'ONU, autour duquel la sensibilisation de l'opinion publique reste largement insuffisante. "Il faut que cela change", a-t-elle martelé.
S'inscrivant dans une démarche visant à transcender les simples mondes espagnols et français, pour déborder vers les espaces de l'hispanité et de la francophonie, l'association avait invité à la tribune cinq intervenantes au parcours marqué par l'engagement et la lutte dans le domaine de la violence machiste, issues de Colombie, du Togo, du Burundi, et de France et d'Espagne. Elles ont apporté des éclairages complémentaires sur les mesures prises dans leurs pays contre un fléau qui sévit à différentes échelles, selon les points du globe. Elles ont aussi et surtout su transmettre leur énergie et les motifs qui les poussent à s'investir pour une cause qui chaque année concerne des millions de victimes. Les statistiques, froidement égrainées, sont à cet égard vertigineuses. Comme l'a rappelé la modératrice, l'OMS estime qu'au niveau mondial, 35% des femmes ont été, au cours de leur vie, exposées à des violences physiques ou sexuelles, de la part de leur conjoint ou d'un tiers. En Espagne, ce sont 140.000 plaintes annuelles qui sont recensées, a rappelé l'ex ministre. En France, 84.000 femmes sont chaque année victime de viols. Une toutes les 6 minutes. Seulement 10% d'entre elles portent plainte, a rappelé Stéphanie Seydoux, cheffe du Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, au ministère français des Affaires sociales et de la Santé. Des plaintes qui donnent en moyenne lieu à... 1 condamnation par an.
On retiendra de la conférence un comparatif intéressant entre les situations françaises et espagnoles. L'Espagne est précurseur en matière de luttre contre la violence machiste, contrairement aux idées reçues qui ont souvent la peau dure. La loi organique qui encadre la luttre contre la violence machiste a été approuvée "dès" 2008. Elle a permis d'apporter une définition juridique au concept de violence de genre. Elle a permis de sortir le problème de la sphère privée, familiale, et d'en faire une véritable affaire de société. Des mesures sociales, politiques et juridiques ont été mises en place pour protéger les victimes. "Il faut cependant encore faire beaucoup plus, notamment à l'égard de l'éducation", a estimé Trinidad Jiménez. Avec 122 femmes tuées par leur conjoint en 2015, la France souffre du retard de la mobilisation des autorités sur la question. Stéphanie Seydoux a pourtant défendu les actions qui ont été menées et qui devraient s'amplifier via le 5e plan interministériel, qui a été annoncé par le Gouvernement cet automne, et qui inclut une hausse des financements. "La France s'inspire des expériences qui ont fonctionné dans d'autres pays, comme par exemple en Espagne", a-t-elle précisé. Et de défendre une action menée sur "le continuum de la violence", de la prévention au traitement des conséquences, avec des mécanismes de suivi permettant d'évaluer l'impact des mesures.
La Togolaise Kafui Adjamagbo Johnson, coordonnatrice de WILDAF/FEDDAF (Femme Droit et Développement en Afrique), première femme candidate à une élection présidentielle dans son pays, et la Burundaise Soline Rubuka, Vice-présidente du Collectif des associations et ONGs féminins du Burundi (CAFOB), ont dressé un panorama assez désolant de la place de la femme dans les sociétés d'Afrique de l'est et de l'ouest. C'est la Colombienne Jineth Bedoya qui aura peut être le mieux transmis les enjeux, pour l'homme et pour la femme, que représente la question de la violence machiste. Cette journaliste, enlevée et violée par trois hommes des forces paramilitaires, est devenue un symbole de la lutte contre les violences sexuelles. Elle a notamment reçu, en 2012, le Prix international de la femme de courage. "Tandis que nous sommes réunis ici, il y a quelque part une femme qui est en train de se faire violer", a-t-elle lancé. "Je veux que sur mon visage, et dans ma voix, vous ressentiez les stigmates d'une femme qui a été violée", a-t-elle déclaré à l'assistance. "Il faut que tout le monde sache : au quotidien les hommes tuent des femmes, les violent, et le plus souvent l'endroit le plus dangereux pour celles-ci, c'est leur foyer, où elles sont à la merci de leur conjoint", a-t-elle encore ajouté. "Et je veux vous demander à tous : ´Qu'est-ce que vous comptez faire pour que cela cesse ? Qu'est ce que vous comptez faire pour contribuer à enrayer ce phénomène ?´". "Chacun d'entre vous est en mesure de sauver une femme", a-t-elle insisté. A la fin de son intervention, de forts applaudissements nourris ont longtemps résonné dans les salons de la Résidence.
VG (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mardi 29 novembre 2016
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