Adrien Frier : « Je veux incarner un consulat moderne et accessible »

 

Samedi 25 octobre, Adrien Frier célébrait sa première année à la tête du Consulat général de France à Los Angeles. Pour le diplomate, arrivé à 41 ans en Californie avec sa femme et ses deux jeunes enfants, un an de découverte, d’adaptation et d’action dans une gigantesque circonscription, qui s’étend de la Californie du Sud au Nouveau-Mexique, en passant par l’Arizona, le Colorado et le Sud du Nevada. « Ça a été une année de découverte de la Côte Ouest, et aussi la découverte du métier de Consul général » confie-t-il, en nous recevant dans son bureau feutré du consulat, qui surplombe le Santa Monica Boulevard, à quelques jours de cet anniversaire. Ancien conseiller au cabinet de Catherine Colonna, alors ministre des Affaires étrangères, il est passé sans transition d’un poste de l’ombre au devant de la scène, au cœur de la capitale de l’entertainment. 

« J’exerçais une mission où vous vous effacez derrière l’autorité. Là, je suis passé de l’autre côté du miroir » compare Adrien Frier, qui dit avoir découvert la « dimension de représentation constante » qu’implique la fonction. Plus de soixante discours prononcés depuis janvier - la plupart en anglais -, une présence accrue sur les réseaux sociaux, des dizaines de réceptions à la Résidence de France de Beverly Hills, des tournées dans la circonscription… « Je me suis retrouvé dans le grand bain. Après un an, je peux dire que j’aime tout ça. C’est une grande satisfaction. J’aime la responsabilité de représenter la France, l’équipe, cette circonscription. Et j’ai conscience de la chance unique que j’ai » reconnaît le diplomate au style accessible et décontracté, en évoquant « une forme d’humilité » vis-à-vis de ses prédécesseurs.

 

Une année bousculée par l’actualité américaine

 

Cette première année n’a pourtant pas été de tout repos. Le 7 janvier 2025, les terribles incendies qui s’abattent sur Los Angeles l’obligent à rentrer précipitamment du Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, au chevet de la communauté française, durement touchée à Pacific Palisades, Malibu et Altadena. Début juin, de violentes manifestations secouent Downtown LA, en réaction aux raids de l’ICE, la police de l’immigration de Donald Trump, qui traumatisent la communauté latino-américaine de la ville, ciblée, et impressionnent les expatriés français : « On ne s’attend pas à gérer des crises de sécurité ou des manifestations aussi dures que celles de juin dernier. Ce sont des choses que l’on n’avait pas anticipées et qui ont impacté ce qu’on a voulu faire » reconnaît le Consul. Par-dessus tout, depuis le 20 janvier, le retour au pouvoir autoritaire de Donald Trump à la Maison Blanche fait souffler un vent d’inquiétude sur les expatriés français aux États-Unis, comme l’a révélé une enquête de Roland Lescure, alors député des Français d’Amérique du Nord, en mars dernier.

 

 

Face à ces craintes sur les valeurs démocratiques, la liberté d’expression, les raids de l’ICE, l’instauration de nouvelles barrières douanières entre l’Europe et les États-Unis, ou l’obtention des visas, Adrien Frier se veut rassurant : « On continue à avoir des visas, et des ESTA. Il y a eu quelques cas isolés de refoulements à la frontière, mais il ne faut pas surinterpréter la contrainte. Que les Français aient moins envie de venir, c’est un fait. Les chiffres du tourisme aux États-Unis depuis la France et l’Europe ne sont pas bons. Mais le Français qui veut venir en tant que touriste ou qui souhaite s’installer dans le cadre d’un projet professionnel aux États-Unis, a encore les moyens de le faire. Mais il y a effectivement des critères qui sont en train d’évoluer » dit-il en évoquant le cas du visa H1-B ou le processus de “vetting” mis en place pour les visas étudiants, qui implique que leurs réseaux sociaux peuvent être vérifiés.

Alors que les Etats-Unis fêteront le 250ᵉ anniversaire de leur indépendance le 4 juillet 2026, « un événement qui a eu un impact direct sur le déclenchement de la Révolution française et donc l’avènement de la démocratie en France », il insiste sur l’importance de se souvenir de cette histoire partagée. « Je vois un vrai parallèle depuis deux siècles et demi entre ce qui se passe en France et aux États-Unis, souligne-t-il. C’est une alliance et une proximité de valeurs entre nos deux pays : démocratie, ouverture, tolérance, respect des droits humains…Je pense que nos deux pays doivent continuer à être fidèles à ces valeurs sinon ils se perdront. »

 

Rassembler la communauté française

 

Ces turbulences n’ont toutefois pas entamé sa volonté « d’imposer une marque, des idées, des priorités ». « Ma volonté était de dépasser le cliché carte postale d’une ville qui ne vit que pour et par le cinéma » explique-t-il, afin de mettre en avant les autres talents de la France, « même si le cinéma reste un atout fort ». Adrien Frier a ainsi cherché à élargir l’action du consulat vers les industries culturelles et créatives, le jeu vidéo, la tech, l’aérospatial ou la défense. Objectif : renforcer les liens avec les acteurs de ces secteurs, parfois éloignés du Consulat. À côté des événements « professionnels », il a aussi développé les rendez-vous « communautaires », en ouvrant davantage la Résidence de France de Beverly Hills aux Français, que la géographie de Los Angeles a tendance à disperser.

 

 

Le premier concert de Bastille Day, le 15 juillet à Downtown LA (une idée inspirée par son homologue Cédrik Fouriscot à New York), organisé avec l’aide de son épouse Camille et de toute l’équipe du Consulat, « a été un gros succès » se félicite le Consul, qui projette de le rééditer. C’est dans le même esprit qu’il a inauguré un Forum des associations francophones, le 20 septembre à la Résidence de France, ou qu’il a accueilli « l’After Foot » de RMC Sport en présence de la communauté française, le 27 juin dernier… Et pour la suite de sa mission, les idées ne manquent pas. « J’aimerais faire un spectacle autour d’histoires pour les enfants, et quelque chose autour de la gastronomie » dévoile Adrien Frier, qui veut donner du consulat une image moderne et accessible.

 

Plus de créneaux pour renouveler son passeport au consulat

 

Cette accessibilité est aussi concrète : le chantier des créneaux de rendez-vous pour les renouvellements de passeports, longtemps saturés, a été revu de fond en comble : « C’était une frustration forte, je l’ai entendue partout. Nous avons réduit la durée des rendez-vous de 30 à 20 minutes, réorganisé les plannings, afin de doubler le nombre de créneaux disponibles », explique-t-il. Plus de 10 000 rendez-vous devraient être proposés cette année. En parallèle, les tournées consulaires vont être renforcées pour le renouvellement des papiers d’identité dans les grandes villes de la circonscription, avec des créneaux prioritaires pour les personnes âgées, les familles nombreuses ou les personnes en situation de handicap.

Adrien Frier rappelle aussi l’importance, pour ses compatriotes, de s’inscrire au Registre des Français de l’étranger. Un outil qui permet au consulat de « savoir où sont les Français, quelle est leur évolution, et quand il y a des crises, de savoir où ils sont. » « Plus on a un registre fiable, plus on peut contribuer à leur mise en sûreté. Et le ministère répartit ses moyens en fonction de la communauté que l’on sert. On n’alloue pas la même chose s’il y a 26 000 Français inscrits (ndlr comme c’est le cas aujourd’hui) ou si on pense qu’il y en a 70 000 », soit l’estimation de leur nombre réel dans la circonscription, auquel il faut ajouter les 500 000 touristes français qui visitent chaque année les parcs nationaux de l’Ouest américain.

 

Éducation et influence française

 

Pour « combler les lacunes de cet outil », Adrien Frier scrute les « signaux faibles » de la présence de la communauté française, comme « la santé des écoles françaises, l’ouverture de preschool ou de crèches, ou l’ouverture de lignes aériennes directes » avec la France. « Ce que je perçois, c’est que Denver et Phoenix ont pas mal augmenté depuis le Covid. » Dans ces deux villes, une ligne d’avion directe avec Paris a ouvert ces dernières années. La ligne Paris-Phoenix, ouverte en 2024, est passée de deux à cinq vols par semaine sur un Airbus A350 et Air France ouvrira en avril 2026 une nouvelle liaison entre Paris-CDG et Las Vegas. « Cela traduit aussi un dynamisme plus général de ces villes » souligne le Consul.

 

 

Interrogé sur le coût des lycées français et des établissements bilingues privés homologués par le Ministère de l’éducation française - trop chers pour de nombreux expatriés - le Consul reconnaît les limites de son pouvoir en la matière : « Ce sont des établissements privés. On a un droit de regard qui n’est pas absolu, on ne va pas déterminer les frais de scolarité. » Il insiste néanmoins sur l’engagement de la France pour soutenir l’accès des Français à ces écoles, via un budget « massif » de 2 millions de dollars par an pour les bourses scolaires dans la circonscription. Il rappelle aussi que la France mène une stratégie de soutien aux programmes d’immersion français-anglais dans les écoles publiques américaines. Des cursus gratuits, qui profitent à la fois à la communauté française et à des élèves américains ayant un profil socio-économique différent de ceux qui fréquentent les établissements privés, que le Consul ambitionne de développer dans la circonscription.

 

Les Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028, une chance pour la France

 

Pour la suite de son mandat, l’horizon est tourné vers deux échéances majeures : la Coupe du monde de football, qui aura lieu pour la première fois aux États-Unis, au Canada et au Mexique à l’été 2026 (on vous dit ici comment acheter vos billets) et les Jeux olympiques de 2028 à Los Angeles (lire notre article ici). Pour Adrien Frier, les JO, qui vont remodeler l’aménagement de LA, comme cela avait déjà été le cas en 1984, avec des milliards de dollars d’investissements, représentent « une chance unique » pour la France. Une chance de voir briller des champions français à LA, comme Léon Marchand ou Teddy Riner, mais aussi de « construire des axes de coopération forts entre sport et culture, sport et innovation, sport et science, sport et économie.» 

 

 

« On a un atout fort dans notre manche, c’est l’aura qu’on a eue grâce aux JO de Paris, considérés comme un succès par les Américains. Il faut qu’on capitalise dessus (...). On va voir se multiplier les délégations d’entreprises qui veulent s’implanter et vendre leurs solutions. Il faut être lucide, le calendrier s’accélère, et nous ne sommes pas les seuls à être intéressés. Mon enjeu est de faire en sorte que nous soyons bien positionnés » martèle Adrien Frier, prêt à entamer une deuxième année aussi intense que la première.