

Ils sont 3.000, peut-être 4.000. Les Français de Birmingham sont tout l'opposé des Français de Londres. Ils n'ont pas d'Alliance Française, pas de lycée français, ne vivent pas vraiment en communauté ou dans un quartier spécifique. Pourtant, ils sont là, un peu partout. A travers les portraits dressés par Elise Comarteau, journaliste française installée à "Brum", des parcours de vie se dévoilent
On dit souvent que ce sont les cordonniers qui sont les plus mal chaussés? L'adage ne fonctionne pas avec Benoît. La première chose que l'on remarque chez lui, ce sont ses lunettes. Ça tombe bien, Monsieur est opticien. Ne vous fiez pas à son costume classique, hors boulot, il porte souvent des pantalons de couleurs et des chemises bariolées. L'homme parle très fort un franglais truffé d'humour, et il est LE Français qui a réussi à Birmingham. C'est d'ailleurs difficile de lui voler quelques minutes pour l'interviewer dans son magasin?
Le choix de l'épicentre
"En juillet 2003, un chasseur de têtes français qui m'a entendu parler anglais au Luxembourg, m'appelle et me dit ?On a besoin de quelqu'un comme toi pour relancer la boîte en Angleterre. Tu es un peu ?bubbly', original et surtout tu comprends le sens du ?customer service'."
L'opticien n'hésite pas une seconde et décide de rencontrer le recruteur. "Il me donne une map, une carte quoi, et il me dit ?Ben tu choisis? tu pointes du doigt et je te laisse y aller'. Je ne connaissais pas très bien la géographie anglaise, j'ai pris l'épicentre ! A Londres, j'avais peur de me retrouver qu'avec des Français, un parmi les autres ? Je me suis dit ?Allez ! J'essaye autre chose !' et Birmingham why not ?"
"Evidemment aujourd'hui je regrette un temps plus sec, plus agréable à vivre, comme le sud de Londres par exemple? mais bon c'est fait, c'est fait. Et niveau boulot, ça marche."
Les premiers pas
On lui propose de partir pendant trois jours sur place pour prendre ses marques et trouver où s'installer. "On a loué une voiture avec mon Regional Manager, on a fait le tour de Birmingham du matin jusqu'au soir ? Et je ne trouvais rien. Tout était horrible, moche. Mais VRAIMENT moche hein. Surtout à l'époque? ça faisait très industriel, rien n'était élégant."
Benoit se reprend quand même. "OK, on passait vite. J'étais en voiture, tu ne vois pas bien. Même Harborne ou Moseley, ça faisait sale alors que c'est pas si mal. Et puis, c'est très français, je n'ai vu QUE ce qui était moche. Si on te donne un joli cadre avec une tache noire, tu ne vois que la tache noire !"
Le tour de la ville se termine par la banlieue sud et le très chic Solihull. "Là je me suis dit ?Hop', c'est là où je veux aller. C'est marrant, dans mes souvenirs Solihull clashait, était aux antipodes de Birmingham, tout joli, presque immaculé?" Deux mois après le premier coup de téléphone du chasseur de têtes, Benoît s'installe là, avec sa femme et ses trois enfants.
Difficile intégration
De ses premiers moments dans les West Midlands, il ne retient que des mauvais souvenirs. "Tout a été compliqué. On n'arrivait pas à ouvrir un compte en banque, à nous inscrire pour le gaz et l'électricité. Ma femme, dont le diplôme n'était pas reconnu ici, travaillait dans une sandwicherie où elle ne comprenait rien. Surtout avec l'accent des gens du coin. C'était une catastrophe, des horaires de fou, payées rien du tout. Tous les soirs, elle rentrait en pleurs à la maison. Mes enfants, c'était pareil. Notre dernière avait trois ans, elle ne savait pas comment s'exprimer. On ne savait où les mettre à l'école. On n'avait aucun contact de Français, on n'a trouvé aucune association pour nous aider. Franchement, c'était l'horreur."
Coté boulot, le nouveau manager doit assurer l'ouverture du magasin Vision Express dans le tout nouveau centre commercial du centre ville, le Bullring. "Je n'avais pas de collègues pour m'aider à m'intégrer puisque je devais recruter tout le monde. En plus, par rapport à la France, il y a des médecins dans les boutiques ici. Je devais les embaucher. Mais qui j'étais pour m'imposer ? Au début, j'étais trop tendre avec eux. C'était très compliqué en terme de management."
Et puis, les choses finissent par se faire. Et dans ce tableau très sombre, Benoit tient à souligner le soutien sans faille des écoles anglaises. "Elles ont tout de suite mis à disposition des professeurs pour aider mes enfants. L'Angleterre c'est un pays fabuleux pour ça. C'est difficile au début mais dans l'éducation, on t'aide sans compter."
Expat' or not
Au bout d'un certain temps, la petite famille fini par faire son trou. "Au début, on sympathise plus facilement avec des Français. Et puis, on se rend compte qu'en général ce sont des expatriés. Résultat, ils restent deux ou trois ans, et ensuite ils repartent. On a eu quelques couples qui nous ont brisé le c?ur? Alors, on s'est dit, on arrête la casse et on essaye de trouver des amis anglais."
L'opticien n'en est pas à sa première expérience à l'étranger. "Avant j'ai travaillé en Belgique, au Luxembourg, et un petit peu en Suisse. Mais je faisais les allers-retours et je vivais en France. Donc, je n'ai jamais eu le statut d'expatrié. Ici, je vis à plein temps en Angleterre. Je ne suis pas en mission, je ne suis donc toujours pas ?expat' !"
La femme de Benoît travaille maintenant dans un centre médical de la ville. Tous les deux, ils sont donc dans un univers complètement anglais. "On a nos collègues, mais aussi nos amis britanniques. Et puis, bien sûr, on n'y échappe pas, tous les ans, il y a des nouveaux couples français super sympas qui débarquent, et on devient potes quand même ! On garde une bande de frenchies, qui partent et qui reviennent, mais on a les deux. Franchement c'est un peu compliqué à gérer, on n'a pas un week-end de libre. Vendredi, samedi, dimanche, on est pris tout le temps !"
Trois enfants très différents
Les deux dernières de la famille sont, selon leur papa : ?Devenues de purs produits anglais'. "Elles s'habillent comme des anglaises, elles parlent anglais toutes les deux? Elles n'ont par exemple plus du tout d'amis en France ! C'est trop loin. Elles ont même un accent anglais quand elles parlent français? On leur donne des cours avec des profs privés, parce que leur oral n'est pas mauvais, mais l'écrit c'est catastrophique, et pour les trois?"
Parfois, Benoît trouve ça même épineux. "La grosse difficulté, c'est surtout notre dernière. Elle fait du mixte. Genre, ?Daddy je vais au bed, tu me call si t'as besoin de quelque chose'. Continuellement, il faut la reprendre. Mon fils, l'aîné, lui crie dessus en disant ?à table, on parle français !' On vit un vrai conflit interculturel dans la famille."
Success story
L'opticien ne s'en cache pas, avec le recul il ne regrette absolument pas d'être venu travailler à Birmingham. "Niveau carrière, très vite, j'explose. Je reste trois ans au Bullring, ça marchait très très bien. Ensuite, je choisi le magasin de Solihull à deux minutes de chez moi. Au bout de 6 ans, on me dit ?écoute Benoît, il y a un magasin à vendre sur Harborne, ça se casse la gueule, on le fait en franchise maintenant, est-ce que tu veux l'acheter ?' Wahou ! Là je me dis ?Banco'. Je n'aurai jamais le cash pour aller à la banque et faire ma propre boîte. En franchise, c'est la boite qui t'avance. Je me suis dit que c'était le moment ou jamais, et je me suis lancé".
Ce que Benoît fait à Birmingham, il n'aurait pas pu le faire dans l'hexagone. "En France, je n'ai pas le diplôme d'opticien lunetier. J'ai fait CAP BEP BP et donc je n'ai pas le droit d'ouvrir un magasin. Ici je peux, donc Bingo."
Aujourd'hui, le chef d'entreprise en est fier, son magasin est une mine d'or. "Je ne trouverai jamais un business qui me donnera autant, et sur tous les niveaux, aussi bien financier qu'accomplissement personnel. Ici je gère des médecins, c'est super intéressant. Je comprends les pathologies"
Ad vitam aeternam en Angleterre ?
Il est persuadé que dans dix ou quinze ans, il rentrera en France. Ou tout du moins, il l'espère. "Déjà, il y a une chose importante et je pense que tous les Français à l'étranger peuvent le dire. Tu ne t'exprimeras jamais avec tes sentiments les plus profonds dans une langue différente que la tienne. Le moindre message que je veux faire passer, sentiment ou professionnel, il est automatiquement plus simple, moins élaboré. Et ça, c'est toujours frustrant."
"Et puis surtout, je me sens complètement Français. Je n'ai qu'une nationalité, alors que je pourrai demander la deuxième. Je ne deviendrai Anglais que si la France durci les impôts sur les expatriés ou qu'on décide de partir dans un pays du Commonwealth ! Sinon, je vote évidemment pour les élections françaises. J'ai même tenu le bureau ici aux dernières élections."
Tous les matins, Benoît ajoute qu'il va sur internet et ne regarde que les journaux français. "Je ne suis pas du tout l'actualité du pays. J'aime lire des livres en anglais mais c'est tout. Je ne vote pas pour les élections locales par exemple."
Et Birmingham?
Comme d'habitude, Monsieur n'y va pas par quatre chemins. "Au bout de toutes ces années ici, je maintiens que Birmingham n'est pas une ville intéressante. Les restaurants, la nourriture, c'est horrible. Faut être franc, c'est pas beau comme endroit ! Et puis culturellement, il y a un ou deux musées point barre. Et dire que le Council voulait obtenir le titre de ?Ville culturelle du monde' en 2014. Ils sont à des années lumières je pense !"
Petit bémol dans le tableau : les habitants. "Attention, une chose quand même. J'aime bien les gens. Ils sont même supers. Contrairement à la France où on a un problème avec les étrangers, ici le rapport entre différentes couleurs de peau ne se fait pas sentir. Regarde dans mon magasin, j'ai noir, indien et blanc, et il n'y a jamais aucun conflit. C'est la même chose dans toute la ville. A la limite, ça serait même avec les blancs qu'il pourrait y avoir des problèmes!"
Pour ses enfants, le papa s'en rend bien compte. "Mon fils qui a plus grandi en France, est beaucoup plus fermé que mes deux filles. Elles ont des amies de toutes les couleurs sans jamais se poser une seule question sur l'origine. C'est une approche différente, vraie pour toute l'Angleterre mais à Birmingham encore plus. On a passé la barre des 51% d'indiens ici."
La French Touche
Pendant tout l'entretien, la boutique ne désemplit pas. Et Benoît adresse des petits signes de la main à chaque client qui passe le pas de la porte. "L'année dernière j'ai obtenu le prix du meilleur magasin Vision express dans tout l'United Kingdom. J'ai fini numéro 1 sur 380 ! Même face à des très très gros. Mon travail c'est d'accueillir. Les dames de quarante-cinquante ans, elles adorent. ?Oh your accent is sooo nice'. J'en joue, je cultive. Je l'accentue. Même les hommes me disent ?Oh le français, c'est tellement sympa'. Mon business s'est monté là-dessus. Tout bêtement. Je suis différent, j'ai un look différent et les gens adorent ça. C'est génial."
"En France, j'ai essayé de monter le cas dans ma tête, je me casserai peut-être la gueule, je serai comme les autres, pas meilleur dans tous les cas. J'aurai rien de plus. Je ne suis pas plus intelligent, plus beau? Ici, j'apporte des produits. Mes lunettes par exemple, je les ai ramenées de France. Elles sont différentes de la mode anglaise. Et je me mets en avant comme ça, genre avant-gardiste, et les gens adorent ça ! Ajouté à ma voix, ça cartonne." Benoît se retourne, prend un petit verre d'eau et l'apporte à une mamie qui attend un conseiller. "Hello Mademoiselle, how are you today ?" La vieille dame sourit. Business is business.
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Présentation de l'auteure :
Oh rien de très original, j'ai suivi mon mari pour son travail. Après Sciences Po à Lille et un Mastère Médias à l'ESCP, j'ai travaillé à Public Sénat, LCI et France Bleu. En France, j'ai laissé mes piges, ma famille, mes amis? mais pas mon besoin d'interviews, de rencontres, de contacts avec les gens. Touchée et émue par mes compatriotes en manque de reconnaissance dans cette ville, j'ai décidé de les présenter pour les faire "un peu" exister. C'est ainsi qu'est né le projet "French in Brum" Retrouvez en intégralité mes entretiens sur le blog http://frenchinbrum.wordpress.com Pour quelques quelques photos insolites de la ville RDV aussi sur http://birmstreet.wordpress.com/ N'hésitez pas à me contacter, et bonne lecture à tous ! |























