

Ces 10 dernières années, les chiens dangereux, appelés weapon dogs, ont envahi les rues des grandes villes du Royaume. Utilisés comme armes dans la lutte entre gangs, ils ont détrôné les armes classiques blanches et à feu. Les victimes d'attaque ont doublé en 10 ans et face à cette tragique augmentation, le gouvernement travaille sur une réforme de la loi anti-chiens dangereux. Un reportage de notre journaliste Elisabeth Blanchet
(Crédits : Elisabeth Blanchet)
?Je vous présente Simba, mon pit bull?, s'exclame Will*, en retenant la bête qui bondit vers moi, toutes dents dehors. Ce Simba-là n'a rien du gentil Roi Lion, et le décor n'est pas une contrée grandiose du continent africain. Nous sommes dans une ruelle obscure, du côté de King's Cross et mon jeune interlocuteur a le visage caché par un hoodie. ?Ne vous inquiétez pas, poursuit le garçon, j'en fais ce que je veux de mon pit bull. Il m'obéit car c'est moi qui lui donne à manger?. Message reçu, j'ai donc tout intérêt à être dans ses petits papiers. J'ose quand même la question : ?Pourquoi un pit bull et pas un autre chien, plus... affectueux?? Tout en retenant l'animal déchaîné mais Dieu merci, toujours en laisse, il répond : ?C'est mieux qu'un couteau ou un flingue !?. Et oui, dans le milieu des gangs et des frappes en tout genre, les pit bulls, ou plus exactement des chiens savamment croisé entre pit bulls et autres races, ont depuis quelques années remplacé couteaux et pistolets. Depuis le Dangerous Dog Act de 1991, une loi mise en place suite à la terrible agression au visage d'une petite fille de 6 ans, les pit bulls sont en effet illégaux en Grande-Bretagne.
Pire que des armes classiques
?Un pit bull peut causer plus de dégats qu'un couteau ou qu'une arme à feu, car il perce la peau et broye les os, explique Will méthodiquement en entrant dans des détails sordides, et si votre chien est amené à tuer quelqu'un, les peines de prison ne sont pas si élevées?. Pas étonnant que les weapon dogs soient devenues les armes préférées des gangsters. De plus, alors que le port d'une arme blanche ou à feu coûte entre 4 et 6 ans de prison, la peine encourrue pour possession de chien illégal ne dépasse pas les 6 mois d'emprisonnement, une peine qui est d'ailleurs rarement imposée.
Une unité de police spéciale contre les pit bulls et leurs maîtres
C'est ainsi que de plus en plus de toutous agressifs à forte dominante pit bull se sont emparées des rues des grandes villes du Royaume-Uni et particulièrement de Londres. En 10 ans, le nombre de personnes et surtout d'enfants attaqués par des chiens et hospitalisés a pratiquement doublé (plus de 5 200 victimes en 2010). Une augmentation inquiétante qui a conduit la police londonienne à lancer en 2009 une brigade spéciale et unique dans le genre, the Status Dog Unit, dont la mission est d'arrêter les propriétaires de chiens illégaux et de saisir ces derniers. La nouvelle unité, constituée de 6 officiers, ne chôme pas. ?Il arrive que nous ayons près de 15 raids par jour, la plupart du temps dans des HLM, les pit bulls sont élevés dans des appartements où les conditions sont épouvantables. En général, ils vivent dans une pièce, la femelle et les chiots sont dans une cage, il y a de l'urine et des excréments partout?, explique le sergent McParland. ?Au début des années 90, on saisissait une quarantaine de chiens illégaux par an, en 2010, on est passé à plus de 1200!?, poursuit-il.
Les chenils de la police de Sa Majesté se remplissent donc chaque année de manière exponentielle de ces chiens illégaux, qui souvent, ont souffert de maltraitance. La RSPCA (Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals), équivalent de la SPA, est sollicitée 2 à 3 fois par jour ? il y a 6 ans, elle ne l'était que 2 fois par mois - pour venir à la rescousse d'animaux blessés lors de combats de chiens ou torturés par leurs maîtres pour les rendre plus agressifs : frappés à coups de bâtons ou brûlés par des cigarettes, ils sont ainsi forcés à attaquer et mordre. Ensuite on les récompense en les nourrissant. ?90% des problèmes viennent des maîtres et pas des chiens. La plupart d'entre eux aiment leurs chiens mais ne les comprennent pas assez pour bien s'occuper d'eux, constate le sergent McParland. Les pit bulls peuvent tout à fait vivre en société comme n'importe quelle autre race?.
(Crédits : Elisabeth Blanchet)
Des rues aux parcs ...
Simba, lui, n'a pas l'air maltraîté, mais quand je le retrouve en plein jour cette fois dans un parc en plein centre ville, il est clair que son maître l'entraîne à se faire les crocs. Alors que des enfants jouent à quelques dizaines de mètres, Will a délaissé Simba et lance à répétition un bâton sur lequel l'animal s'acharne. ?Vous voyez, un pit bull, ça ne lâche pas. C'est pour ça que ça fait tant de dégats. S'il s'attaque à votre bras, il vaut mieux le couper car il ne le lâchera pas !?, explique Will en ricanant. Très vite, le bâton ou ce qu'il en reste ne suffit plus, Simba s'attaque directement aux branches des arbres, le but du jeu étant de mutiler l'arbre ! Dans certains parcs de Londres, 80% des arbres ont déjà souffert de ce type d'agression. Will encourage son chien et personne ne dit rien. Les pit bulls et leurs maîtres en hoodie font désormais partie du paysage des parcs londoniens... et ce n'est que la partie visible de l'iceberg.
? en passant par un monde underground peu fréquentable
(Crédits : Elisabeth Blanchet)
C'est au pub du coin que je vais en apprendre plus sur la face cachée. Will ramène Simba à la maison et je ne suis pas conviée. ?J'ai une chienne et des petits dans mon appart, c'est un peu le bazar?, dit-il. Je n'insiste pas. Il me rejoint avec son boss, Pat*, il aura fallu des mois avant d'en arriver à ce que ce quarantenaire tout droit sorti d'un film de Guy Ritchie accepte de bien vouloir parler du business des pit bulls. ?Tout ce que vous voyez dans les rues ou dans les parcs, c'est rien, commence-t-il, les pit bulls, c'est un vrai business. Le marché a explosé ces dernières années. Il y a plein de petits malins qui font de l'élevage et qui savent comment mélanger les races. Un chiot peut valoir jusqu'à ?500?. C'est donc peu surprenant que certains appartements soient reconvertis en véritables chenils. Et puis il y a l'aspect gangs, Pat explique comment chacun d'entre eux utilise les chiens, notamment pour garder les appartements où on cache la drogue ou encore comment un gang exhibe ses animaux pour dissuader un autre gang d'empiéter sur son territoire. ?Souvent, les chiens sont enfermés dans une sorte de sas d'entrée. Ils tournent en rond toute la journée, remontés à bloc. Si quelqu'un essaye de rentrer par intrusion, il est foutu, le pit bull lui saute au cou?, explique Pat. ?Et il ne lâche pas !?, conclut le protégé de Pat, en enchaînant sur les infâmes combats de chien. ?Tenez, regardez?, me dit-il en braquant l'écran de son téléphone portable devant mes yeux. Je détourne le regard et ne veux pas en voir plus : une photo de chiens en sang et d'une foule affamée de violence suffit. Les deux hommes ricanent puis Pat redevient sérieux. ?Les combats de chien c'est une autre histoire, les chiens sont dressés pour tuer. C'est horrible mais ça rapporte?, avoue-t-il avec une pointe de dégoût dans la voix. Que pense-t-il de la loi actuelle envers les pit bulls ? ?Tant que les chiens ne sont pas de ?vrais? pit bulls, la police ne peut rien faire contre ceux qui ont des chiens. Je ne vois pas comment une unité de 6 personnes pourrait résoudre le problème?. Un avis que partage la RSPCA. ?Les chiens dangereux ne sont pas nés dangereux, ils le deviennent, quelle que soit la race?, déclare un des porte-paroles de l'association avant de conclure que la législation sur la race de l'animal ne marche pas.
C'est en s'inspirant d'une loi américaine basée sur l'attitude de l'animal et non pas sur sa race que la RSCPA est en train de rédiger une proposition de loi. Le nouveau gouvernement de coalition avait fait de la révision du Dangerous Dog Act une de ses priorités pré-électorales et devrait proposer ses nouveaux plans dans les mois à venir. Pour les 14 personnes hospitalisées chaque jour pour morsures de chiens, les changements n'arriveront jamais assez tôt.
Elisabeth Blanchet (www.lepetitjournal.com/londres) mercredi 3 aout 2011
* les noms ont été volontairement changés
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