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LITTERATURE - La beauté selon André Suarès

André Suarès - Temples Grecs, Maisons des DieuxAndré Suarès - Temples Grecs, Maisons des Dieux
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 16 juillet 2019, mis à jour le 17 juillet 2019

Eveilleur, maison d´édition bordelaise, réédite Temples Grecs, Maisons des Dieux, un très bel ouvrage publié pour la première fois en 1937 et écrit par André Suarès, un grand écrivain français auquel la postérité n´a pas accordé la place qu´il méritait dans le panthéon des auteurs classiques.       

 

André Suarès

"Aristocrate de nature, rebelle à la société mais enflammé par la justice, pitoyable aux faibles, aux humbles et plus démocrate, après tout, que quiconque, suspect aux esprits partisans, provocant à force de repliement, d´ironie, d´indépendance, et ne rêvant qu´à concilier ce qu´il y a de mieux et de bienfaisant dans les extrêmes de la pensée et de l´action, passionné en tout, mais, plus que tout, haïssant la mort quand il parvient à y croire, ne souhaitant pas d´être lu si ce n´est avec amour, l´homme enfin le plus sensible sous une enveloppe misanthrope". Il ne pourrait y avoir meilleur portrait d´André Suarès que celui que vous venez de lire, brossé par Maurice Martin du Gard –futur prix Nobel de Littérature- et paru le 30 juillet 1932 dans Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques. Ce texte fut récemment repris dans la réédition d´un bel ouvrage d´André Suarès (1868-1948) intitulé Temples Grecs, Maisons des Dieux. La première édition a vu le jour en 1937, publiée par l´imprimerie de A. Datan. Cette nouvelle édition, parue chez L´Eveilleur, remarquable éditeur bordelais, est la première depuis presque quarante ans, la dernière remontant à 1980, publiée chez Granit.

Lucide et visionnaire, André Suarès fut assurément un des meilleurs écrivains français de la première moitié du vingtième siècle, excellant dans plusieurs genres dont l´essai, le théâtre, la poésie et la biographie, mais la tyrannie du roman -il n´en a écrit aucun- l´a empêché d´occuper la place qui devrait logiquement lui revenir dans le panthéon des auteurs classiques de la littérature française. Animateur de La Nouvelle Revue Française dès 1912 avec André Gide, Paul Valéry et Paul Claudel, André Suarès (de son vrai nom, Félix-Isaac Suarès) fut l´auteur d´une œuvre vaste dont l´ouvrage majeur est sans doute Le Voyage du Condottière, le récit en quelque sorte de ses voyages en Italie, divisé en trois volets : Vers Venise, Fiorenza et Sienne, la bien-aimée. Cet ouvrage est en ce moment disponible en un seul volume chez Le Livre de Poche.

 

Temples Grecs, Maisons des Dieux

L´Italie était donc l´une des grandes passions d´André Suarès et l´ouvrage maintenant réédité -Temples Grecs, Maisons des Dieux-  lui fut inspiré par son périple en Sicile. André Suarès y arpente, encore une fois  en flâneur, Agrigente, Ségeste, Sélinonte, avec un détour par Paestum, au sud de Naples. La Sicile est, on le sait, une île italienne très particulière où sont fort visibles les traces de la civilisation grecque : de beaux temples et des ruines majestueuses.  
Dans cet opus d´une rare beauté -comme tous les ouvrages de l´auteur-, André Suarès allie la contemplation à la méditation profonde, l´intelligence à l´émotion.

À Agrigente où, de son propre aveu, André Suarès a l´intuition, entre le tumulte de la ville et l´emplacement des  temples, que jamais il n´avait mieux senti combien l´antique était noble et le moderne vulgaire, il s´extasie devant les colonnes doriques et leur chapiteau, exemples du sommet atteint par la forme chez les Grecs. Il rappelle d´ailleurs une phrase d´Empédocle, philosophe, poète, ingénieur et médecin grec de Sicile, honorable citoyen d´Agrigente, banni dans le Péloponnèse où il a fini ses jours au Vème siècle  avant J-C : "N´oublie pas que style veut dire colonne, dans la langue des dieux".

À Agrigente,  d´après Suarès : "L´accord entre le chef d´œuvre et la contrée, entre les temples, la terre, les traits du paysage et toutes les heures du ciel, cet accord est d´une perfection incomparable. On l´écoute autant que l´on contemple. Il enlève celui qui l´entend à tout le reste, le berce au-dessus de l´éphémère et l´élève à la conscience même de la sérénité".

Ségeste, on ne le visite pas, on le découvre. Ainsi, débute la partie du livre consacrée à cette contrée, un lieu sublime qui échappe à la plupart des passants puisqu´on y va comme au désert, un pays punique, arabe, africain mais où, dès qu´on s´élève sur la hauteur, la mère grecque est là, éclatante, étincelante avec en plus, écrit Suarès, le sourire et la présence d´Hélène. Par-dessus le marché, on y trouve ce qu´il y a de plus beau : le temple d´Eschyle, "grand, terrible, sublime". Un temple qui, plus que solitaire, crée la solitude, une solitude dont il n´y a pas lieu de se plaindre : "La terrible solitude de Ségeste est l´accord nécessaire et parfait de toutes les dissonances. Pareil au vertige où l´on cesse d´être soi pour soi-même, un tel accord exalte toute notre part immortelle. À cette splendeur muette, le désert ajoute la beauté du silence et de l´abandon. Et rien ne peut être plus beau".    

Sélinonte est le temple du premier et dernier dieu, le Chaos. Aussi est-il un lieu de ruines. Les gens sont le miroir de la misère de cette contrée. Ils sont extrêmes et ignorent l´entre-deux, selon Suarès : "Ils passent en un instant de la haine mortelle à la bonhomie, d´un silence cadavérique aux cris de joie(…) Ils sont aussi bien capables de vous planter un coup de couteau dans le dos, ou de vous donner leur lit, leur dernier verre de vin et une hospitalité sans réserve".
Enfin, à Paestum il faut venir, écrit Suarès, pour se consoler de Sélinonte et ne pas quitter les dieux sur l´horreur de leurs ruines. On y découvre trois temples. Le plus ancien est le temple de Neptune ou Poseïdôn en grec puisque la magie hellénique y reste intacte : "Silencieuse entre Naples et la Sicile, l´Italie à Paestum n´a pas consommé la mort de la beauté grecque ; elle n´a pas fait de l´Olympe un étage de l´aqueduc ni une porte de la prison. Elle n´a pas substitué le nombre à la valeur, ni la force brutale à l´harmonie".

Ce livre d´André Suarès est un petit joyau. Comme l´a un jour écrit François Bott dans le quotidien Le Monde : "Tout nous retient dans ce livre. Il séduit le cœur autant que l´esprit".

André Suarès, Temples Grecs, Maisons des Dieux, illustrations de Pierre Matossy, postface par Maurice Martin du Gard, L´Eveilleur, Bordeaux, avril 2019.

 

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