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"En montant plus haut" un roman de Andrea Salajova

En-Montant-Plus-HautEn-Montant-Plus-Haut
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 8 février 2019, mis à jour le 8 février 2019

Après Eastern, son premier roman, paru en 2015, la cinéaste slovaque Andrea Salajova -qui vit et travaille en France et écrit en français- revisite dans son deuxième roman En montant plus haut, le passé de l´ancienne Tchécoslovaquie et la collectivisation des terres agricoles dans les années cinquante.  

La liberté mise en jeu

Si l´ancienne Tchécoslovaquie -qui, en 1993, s´est divisée en République Tchèque (ou Tchéquie) et Slovaquie- était un pays imprégné de culture allemande, étant donné son passé en tant que partie intégrante de l´empire austro-hongrois, la langue française y a néanmoins joué de tout temps un rôle important dans les milieux intellectuels et universitaires. Pour des raisons culturelles, sentimentales ou politiques qui ont souvent mené des intellectuels en exil, il y a eu nombre d´écrivains d´origine tchécoslovaque (plutôt Tchèques que Slovaques, il est vrai) qui ont choisi à un moment donné le français comme langue littéraire : Milan Kundera, Vera Linhartova, Vaclav Jamek, Petr Král, Patrik Ourednik ou plus récemment la cinéaste slovaque Andrea Salajova.

Née en 1974, Andrea Salajova vit et travaille à Paris. En 2015, elle est passée de l´écriture cinématographique à la littérature en publiant directement en français son premier roman Eastern, aux éditions Gallimard. Dans ce baptême littéraire, Andrea Salajova nous raconte l´histoire de Martin, danseur et chorégraphe à Paris. Se rendant dans son village slovaque pour revoir son grand-père mourant, accompagné de Gabriela, une amie de jeunesse qu´il présente comme sa fiancée, Martin affronte son passé, mais aussi son père et ses oncles, au bout du compte ce soi-disant "Eastern", déboussolé depuis la chute du communisme, un régime où les citoyens étaient strictement surveillés mais dont ils s´accommodaient au fil du temps.

En octobre dernier,  Andrea Salajova a publié, toujours chez Gallimard, son deuxième roman En montant plus haut, une fiction qui a une nouvelle fois pour cadre la Tchécoslovaquie. L´histoire se déroule en 1955 et nous plonge au cœur de la collectivisation des terres agricoles. Un village de montagne est rétif à cette imposition du pouvoir en place qui choisit justement deux personnes qui n´étaient pas à proprement parler des inconditionnels de la cause communiste pour vaincre la méfiance des paysans : Jolana Kohútová et son vieil ami de la résistance au nazisme, le Tzigane Olsansky. Kohútová avait commencé des études de médecine, mais elle s´était fait renvoyer, car, à l´examen de son profil, la direction de l´école et son conseiller politique ne lui avaient pas donné la permission de prendre une part active à la construction du socialisme. Olsansk, à la fin de la seconde guerre mondiale, est devenu suspect en vertu de son amitié avec des éléments non communistes. Or, lors des grandes purges qui avaient suivi, ce type de relations s´apparentait à de la collaboration avec l´ennemi. Olsanky est retourné pour un temps dans son hameau tzigane, mais ce retour à ses racines s´est soldé par un cuisant échec. Il n´était pas à même de se réadapter à la vie pitoyable d´un ghetto tzigane, imperméable, certes, à la vulgate marxiste-léniniste, mais en nette contradiction avec la vie d´un jeune homme qui avait goûté à la liberté. Se mêlant de marché noir, après avoir regagné la capitale, il a fini par écoper de cinq ans de prison, mais il s´estimait quand même heureux de ne pas avoir été jugé comme ennemi du peuple et saboteur du socialisme, mais seulement comme un petit criminel de droit commun. Malgré ce qu´il avait enduré, le Parti était, de son propre aveu, tout pour lui : "Le Parti est tout pour moi. Si le Parti décidait que je dois me jeter dans le vide, je le ferais. S´il décidait que je dois me renier, je le ferais aussi. C´est un immense honneur que le Parti s´intéresse à moi." Un discours qui, pour Kohútavá-pour laquelle Olsanski avait le béguin- frôlait le ridicule. C´est qu´elle gardait encore dans son esprit le souvenir de son père, membre du Parti communiste et marié à une juive, de ses espoirs déçus, de son monde s´écroulant après que la famille eut clandestinement franchi la frontière soviétique. En effet les «frères» soviétiques, puisque la famille venait d´un pays ennemi, n´ont pas été tendres : son père fut envoyé au goulag et sa mère lâchée dans la nature avec ses enfants. Plus tard, sa mère et son frère ont été assassinés par des Einsatzgruppen lors de l´invasion nazie en Ukraine et Kohútová a pu échapper au destin cruel de sa famille puisque quelques jours auparavant elle était partie rejoindre une unité militaire tchécoslovaque qui se formait près de la frontière méridionale de la Russie. Il faut rappeler qu´en 1939, lors de l´invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes hitlériennes, les nationalistes slovaques ont profité du dépeçage du pays pour créer  un État soi-disant indépendant, dirigé par Monseigneur Tiso et soutenu par l´Allemagne nazie…

Kohútová et Olsanski, surveillés par les commissaires politiques, essayent de convaincre tout le village du bien-fondé de la collectivisation, afin d´assurer leur réhabilitation définitive, si tant est qu´elle pût avoir un sens sous un régime pareil.  Or, leur tâche s´avère fort difficile. Ils vont rencontrer une foule de personnages dont les intentions ne sont pas toujours très claires : le gros propriétaire Septak, sa fille Eva, son fils Michal, deux instituteurs, un curé, un aubergiste et d´autres qui tissent une intrigue pleine de rebondissements. Au fur et à mesure du déroulement de l´histoire, on voit de quel bois se chauffe Jolana Kohútová, une femme intrépide qui nous réserve un dénouement assez éloquent.

Avec ce deuxième roman, Andrea Salajova revisite encore une fois le passé de son pays, un pays qui, comme tant d´autres anciennes démocraties populaires, à en juger par la situation politique actuelle en Europe de l´Est, peinent à retrouver leur véritable place dans le concert européen des nations.

Andrea Salajova, En montant plus haut, éditions Gallimard, Paris, octobre 2018.

 

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