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« Proust, prix Goncourt-une émeute littéraire » de Thierry Laget

« Proust, prix Goncourt-une émeute littéraire » de Thierry Laget« Proust, prix Goncourt-une émeute littéraire » de Thierry Laget
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 20 juin 2019, mis à jour le 19 juin 2019

L´année du centenaire de l´attribution du prix Goncourt à Marcel Proust pour À l´ombre des jeunes filles en fleurs, Thierry Laget a écrit un bel essai -Proust, prix Goncourt-une émeute littéraire- sur la polémique suscitée à l´époque, surtout dans la presse qui penchait plutôt pour Les Croix de Bois de Roland Dorgelès.  

 

Le prix Goncourt

Le prix Goncourt suscite quasiment toujours une vive polémique. Considéré comme le prix littéraire annuel le plus important de la littérature française (ou, à vrai dire, de langue française), il ne fait jamais, cela va sans dire, l´unanimité. Certains lui reprochent le poids excessif des éditeurs, d´autres déplorent l´absence, le plus souvent, sur la liste des livres récompensés, de fictions vraiment novatrices.

Le prix fut créé pour couronner chaque année le meilleur ouvrage d´imagination en prose (donc, en principe, un roman). Il est le fruit de l´héritage des frères Jules et Edmond de Goncourt qui ont écrit à quatre mains plusieurs ouvrages jusqu´à la mort du cadet Jules en 1870. L´aîné Edmond a continué à écrire jusqu´en 1896, l´année de son décès.

L´Académie Goncourt fut fondée au début du siècle dernier et le premier prix du roman fut attribué en 1903. Il est échu à John-Antoine Nau, pour son roman Force Ennemie, publié par l´éditeur La Plume. Il ne peut être décerné qu´une seule fois au même écrivain, mais ce statut n´a pas été respecté -certes involontairement- en 1975, l´année où le livre élu fut La vie devant soi d´Emile Ajar qui n´était autre que Romain Gary, lauréat en 1956 pour Les Racines du ciel, ce que tout le monde -y compris les membres du jury- ignorait. Une mystification qui s´est révélée payante. Aujourd´hui, l´Académie Goncourt décerne outre le Prix Goncourt tout court -qui récompense donc un roman-, le Goncourt de la poésie Robert Sabatier, le Goncourt du premier Roman, le Goncourt de la nouvelle et le Goncourt de la biographie Edmonde de Charles-Roux. Organisé par le Ministère de l´Education Nationale et la FNAC, le Prix Goncourt des lycéens est décerné à l´un des quinze romans de la première sélection du Prix Goncourt qu´annoncent les Académiciens début septembre. Depuis quelques années, treize pays décernent eux aussi leur Choix Goncourt.  

 

Proust, prix Goncourt 1919.

En 1919, le prix fut décerné à Marcel Proust pour À l´ombre des jeunes filles en fleurs (deuxième volet de À la recherche du temps perdu) et il a fait jaser. Le livre est paru en avril et le prix fut annoncé le 10 décembre -cela fait bientôt un siècle- et le moins que l´on puisse dire c´est qu´il a provoqué un tollé. On le rappelle ici parce que ce tollé est justement le sujet du bel essai paru en avril sous la plume de Thierry Laget intitulé Proust, Prix Goncourt-une émeute littéraire.

Romancier, essayiste, critique littéraire et traducteur né en 1959, couronné du prix Fénéon (pour Iris, en 2002) et du prix Maurice Genevoix de l´Académie Française (pour La lanterne d´Aristote, en 2012), Thierry Laget retrace l´histoire du prix et les manœuvres en vue de son attribution à Proust, s´appuyant sur des documents inédits dont il dévoile nombre d´extraits savoureux.

Le roman À l´ombre des jeunes filles en fleurs, paru chez Gallimard, était donc en lice pour le Goncourt en 1919, mais il avait un concurrent de poids, selon les canons de l´époque : Les Croix de Bois, publié par Albin Michel, une sorte de roman –témoignage sur la Grande Guerre (14-18), un sujet très à la mode en un temps où les plaies terribles de ce grand conflit -dans lequel nombre de jeunes avaient laissé leur peau, surtout dans les tranchées- ne s´étaient pas encore refermées. En plus, Marcel Proust était desservi par une autre caractéristique : son âge. En effet, né en 1871, il était déjà près de la cinquantaine alors que Roland Dorgelès, l´auteur des Croix de Bois, avait vu le jour en 1885 et était donc son cadet de quatorze ans, un fait qui n´était pas aussi anodin qu´on eût pu le penser de prime abord puisque parmi les préceptes du prix Goncourt il en figurait un selon lequel le prix devrait distinguer un auteur plutôt jeune. Or, avec l´attribution du prix, de façon un tant soit peu surprenante, au roman Á l´ombre des jeunes filles en fleurs, ce n´est pas seulement un livre que découvre le public, c´est d´abord un écrivain, comme nous le rappelle Thierry Laget. Proust a la coquetterie de se présenter en jeune homme pour paraître moins âgé que Dorgelès, mais son image n´est pas particulièrement séduisante : «en 1919, ses vêtements paraissent d´une coupe démodée, comme ceux d´un mort qu´on a enterré dans son meilleur costume ; voulant se rajeunir, il se vieillit, et les portraits de lui qu´il donne aux journaux semblent accrochés dans une galerie d´écrivains du XIXème siècle, où ils voisinent avec les daguerréotypes de Balzac par Bisson, les photoglypties de Baudelaire ou Rimbaud par Carjat, les tirages au collodion de Hugo par Nadar».  

Nombre de critiques se sont indignés que le prix n´eût pas été décerné à Roland Dorgelès pour Les Croix de Bois. Un journaliste du Petit Havre résume une opinion très partagée : les dix Académiciens avaient préféré à l´écrivain «sobre et nerveux» qu´était Dorgelès «le littérateur tarabiscoté et prétentieux» qu´était Proust qui s´appliquait «à déformer les sensations et à truquer les tableaux». Cette polémique autour du prix Goncourt a même eu droit à un procès en justice puisque Gallimard a assigné Albin Michel devant le tribunal du commerce. La raison en était que l´éditeur des Croix de Bois avait imprimé en gros caractères sur les bandes entourant le roman «Prix Goncourt» et seulement en dessous, en petits caractères presque illisibles, les mots «4 voix sur 10». L´éditeur Albin Michel fut condamné à supprimer l´indication portée sur la bande enveloppant le roman et à verser deux mille francs à la librairie Gallimard.

Bref, ce Proust, prix Goncourt-une émeute littéraire est un essai délicieux sur les manœuvres de l´attribution du prix en 1919 et la polémique qui s´est ensuivie. Une polémique assez ironique quand on sait que Proust est reconnu de nos jours comme un des plus grands écrivains de tous les temps…

 

Thierry Laget, Proust, prix Goncourt-une émeute littéraire, éditions Gallimard, Paris, avril 2019.        

 

Publié le 19 juin 2019, mis à jour le 19 juin 2019

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