Réalisatrice et scénariste, Maria Larrea, Française née en 1979 à Bilbao, vient de publier chez Grasset son premier roman Les gens de Bilbao naissent où ils veulent. La narratrice, alter ego de l´écrivaine, voit sa vie basculer à l´âge de vingt-sept ans quand elle découvre que ses parents, un Basque et une Galicienne, immigrés espagnols en France, lui ont menti sur ses origines. Un premier roman écrit avec maestria.
Les origines de Maria Larrea
Tout d´abord, ce roman a un titre qui attire l´attention des lecteurs: Les Gens de Bilbao naissent où ils veulent. Il est la traduction d´un dicton espagnol : «Los de Bilbao nacen donde les da la gana», une phrase que le père de l´écrivaine lui répétait souvent et qui renvoie à la fierté des Bilbayens ou de ceux qui ont leurs racines à Bilbao, même s´ils ne sont pas forcément nés dans cette ville espagnole située au Pays Basque. La subtilité d´avoir opté, dans le titre du roman, pour «Les Gens de Bilbao» au lieu de la traduction littérale qui serait plutôt «Ceux de Bilbao» aura été une sorte d´hommage, un clin d´œil, de l´aveu même de l´écrivaine, à James Joyce, un auteur qu´elle affectionne, et à la traduction française -Les Gens de Dublin- de son roman Dubliners.
Les Gens de Bilbao naissent où ils veulent est le premier roman de Maria Larrea qui a vu le jour à Bilbao en 1979. Réalisatrice et scénariste française, elle a grandi à Paris où elle a suivi des études de cinéma à la Fémis, la prestigieuse École nationale supérieure des métiers de l´image et du son.
Dans ses débuts littéraires, Maria Larrea a puisé son inspiration dans ses origines espagnoles. Les lecteurs les plus jeunes ignorent naturellement ce qu´était autrefois la vie du peuple espagnol qui, après la Guerre Civile (1936-1939), a vécu l´intolérance et la misère sous la férule d´un dictateur, Francisco Franco, qui a mis tout un pays en coupe réglée. Nombre d´Espagnols sont partis en France ou ailleurs pour échapper soit à la faim soit aux persécutions politiques.
Les Gens de Bilbao naissent où ils veulent
Dans l´histoire racontée par la narratrice tout commence en 1943 lorsqu´une prostituée obèse de Bilbao, Josefa, donne vie à un garçon, Julian, qu´elle confie aux jésuites. Plus tard, en Galice, Dolores accouche d´une fille, Victoria, qu´elle ne peut pas élever et qu´elle abandonne aux sœurs d´un couvent. Un jour, les deux orphelins, Julian et Victoria (femme d´une rare beauté), se rencontrent, se marient et partent à Paris.
Dans la ville lumière, la Galicienne devient femme de ménage et le Basque gardien du théâtre de la Michodière. Couple classique à l´époque, où le mari bat parfois sa femme pour ainsi exprimer honteusement sa virilité, Victoria et Julian sont avant tout des immigrés que les Français ne manquent pas de regarder de haut avec donc un brin de condescendance. La narratrice, rêvant de s´appeler Sophie ou Julie, tient son rôle de jeune fille modèle devant les parents des copines qui l´invitent à dîner, à dormir, tout en sachant que les commentaires élogieux qu´on lui adresse sont teintés d´hypocrisie. Quoiqu´il en soit, c´est quand même une façon de s´émanciper du labyrinthe familial : «Je jouais au singe savant. Oh, qu´elle est cultivée pour une fille de femme de ménage ! Musées, expositions, cinéma, théâtre. J´étais l´éternelle invitée. Je faisais mon effet sur les parents des autres, un mélange de pitié et d´épate quant à ses origines. J´exagérais le trait ; je les regardais comme des sauveurs et les écoutais plus que leur progéniture. Je buvais leur savoir et leurs connaissances. Nourrie et repue par leur bourgeoisie, je pouvais enfin m´éloigner de mon duo parental bruyant et angoissant. J´avais grandi comme une souris de laboratoire en captivité, j´avais enfin trouvé la sortie du labyrinthe que mes parents avaient construit autour de moi».
À l´âge de vingt-sept ans, sa vie bascule. Un tirage de tarot va renverser son existence et l´obliger à replonger dans le passé des siens. Elle apprend qu´elle est une «hija de nadie», une «fille de personne». L´aveu de Victoria est une gifle pour Maria: «Je ne t´ai jamais dit parce que j´avais peur. Que tu m´abandonnes. On m´avait dit de ne jamais te le dire parce que tu portes notre nom. Mais tu es ma fille». Dans un dernier élan, elle ajoute : «On t´a adoptée».
Pour comprendre de qui elle est la fille, Maria va enquêter et revenir là où tout a débuté, à Bilbao…
Déroutant, plein d´énergie, Les Gens de Bilbao naissent où ils veulent nous saisit dès les premières pages. Avec une maestria hors pair, Maria Larrea reconstitue le puzzle de sa mémoire familiale.
Ce premier roman est, on vous l´assure, un véritable joyau.
Maria Larrea, Les Gens de Bilbao naissent où ils veulent, éditions Grasset, Paris, août 2022.