Après des romans ou des recueils de nouvelles grinçants, désopilants et fantasques comme Les contes carnivores, Les assoiffées, Une collection très particulière ou Le village évanoui, Bernard Quiriny publie chez Rivages, dans un registre tout aussi particulier, Portrait du baron d´Handrax, les péripéties d´un hobereau excentrique, personnage rare et attachant. Les éditions Rivages publient en même temps Carnets secrets d´Archibald d´Handrax.
Bernard Quiriny et le baron d´Handrax
Chaque livre de Bernard Quiriny est une petite boîte à surprises. Son imagination est vive, pétillante et inépuisable. Né le 27 juin 1978 à Bastogne, en Belgique, cet écrivain, professeur universitaire et critique littéraire a un humour très particulier qui ponctue sa trajectoire dès son premier livre, L´Angoisse de la première page, jusqu´au plus récent, Portrait du baron d´Handrax, paru aux éditions Rivages en novembre dernier en même temps que Les carnets secrets d´un certain Archibald d´Handrax.
La question que le lecteur se pose en lisant Portrait du baron d´Handrax c´est de savoir si cette figure évoquée par Bernard Quiriny -ou par le narrateur du livre- a vraiment existé ou si elle n´est que le fruit du talent d´affabulateur de l´auteur. Bernard Quiriny nous dit qu´il l´a rencontré, qu´il a même épousé sa fille Corinne et que le baron était le petit-neveu du peintre mineur Henri Mouquin d´Handrax (1896-1960). Pourtant, si le baron Archibald d´Handrax n´a pas existé, qui a donc écrit Carnets secrets ? Quiriny lui-même qui en est au moins le préfacier ? Quoi qu´il en soit, ce qui compte d´abord pour les lecteurs c´est la qualité du livre et le plaisir de la lecture et là-dessus, je puis vous assurer, vous ne risquez pas d´être déçus.
"Portrait du baron d´Handrax"
Le baron est installé dans son manoir de l´Allier où il a deux familles qui cohabitent joyeusement sans complexes : si la baronne, Hortense d´Handrax, est bel et bien son épouse dont il a quatre enfants, il a aussi trois rejetons d´une autre femme, Coralie, la cuisinière, cousine du majordome Henri, engagée alors qu´elle était au chômage et donc dans la gêne. Un jour que la baronne était absente, Archibald et Coralie ont fait l´amour et la jeune cuisinière est tombée enceinte. La baronne qui n´était pas dupe l´a deviné, mais puisqu´il aurait été injuste et cruel de jeter Coralie dehors alors qu´elle était enceinte, le baron et sa femme l´ont gardée. Une aile inoccupée du manoir fut aménagée et Coralie s´y est installée.
Débordant d´idées folles, Archibald d´Handrax est collectionneur de maisons en ruines, organisateur de dîners de sosies, pourvoyeur intarissable d´anecdotes et de bons mots, spécialiste de langues inconnues, inventeur de génie, amateur de cimetières et de trains électriques. Le baron est donc un personnage époustouflant et le plus attachant des compagnons.
Au fil du récit, nous, heureux lecteurs, sommes témoins de bien des histoires on ne peut plus cocasses. Une de ces histoires, on ne peut la comprendre qu´en lisant les mots du baron lui-même : «Il ne faut jamais perdre une occasion de retomber en enfance. Séjourner dans l´enfance conserve la santé ; je m´y octroie souvent des congés, et voyez : je ne suis jamais malade, je me porte comme un charme». Ainsi, une manie témoignait-elle de son goût pour l´enfance. Il avait convaincu, figurez-vous, la direction d´un collège privé de le recevoir de temps en temps contre paiement. Aussi cinq ou six fois par an se rendait-il à un collège, religieux qui plus est, à une centaine de kilomètres d´Handrax où régnaient des règles inchangées depuis le dix-neuvième siècle et la discipline la plus stricte. Le baron arrivait généralement vers cinq heures du soir, à la fin des cours, avec sa valise. Il couchait au dortoir comme les élèves et suivait la même règle et les mêmes horaires. Habitués à lui, les élèves l´incluaient dans leurs conversations et leurs jeux, pour son plus grand plaisir.
Portrait inoubliable d´un personnage inclassable, ce livre nous surprend à chaque instant et les dernières pages sur la mort du baron sont empreintes d´une tendresse toute particulière.
Carnets secrets d´Archibald d´Handrax
Les éditions Rivages, on l´a vu, ont publié, en même temps que Portrait du baron d´Handrax, Carnets secrets attribués à Archibald d´Handrax (1946-2016), le baron lui-même. Il a pris un malin plaisir à ne jamais finir les livres -contes, romans, essais, études- qu´il a écrits. Des livres qui rapprochent le soi-disant auteur -on nous l´annonce dans la quatrième de couverture- d´Ambrose Bierce, de Jules Renard ou d´Alphonse Allais. Ces Carnets secrets constituent le seul manuscrit qui a réchappé à sa manie de l´inachèvement : un recueil de pensées, d´anecdotes et d´aphorismes où ce grand amateur de paradoxes prend avec humour les évidences à rebours et met le monde à la renverse. On vous en donne trois exemples : «Soldes. Ayant avisé en vitrine un beau manteau, je demande à l´essayer. Surprise du vendeur : «Mais Monsieur, c´est une boutique de mannequins, ici» ; «Écrivains : C´était un énorme roman moderne sans ponctuation, dont l´auteur par plaisanterie avait appelé l´héroïne Virgule» ; «La vie moderne. Cette fabrique familiale de napperons en dentelle, ruinée en cinq ans par la vogue des téléviseurs à écran plat. Car où poser les napperons, désormais ?».
En refermant ces deux livres, on ne peut penser qu´à la célèbre formule de Valery Larbaud : «ce vice impuni, la lecture».
Bernard Quiriny, Portrait du baron d´Handrax, éditions Payot & Rivages, Paris, janvier 2022.
Archibald d´Handrax, Carnets secrets, Rivages Poche, éditions Payot & Rivages, Paris, janvier 2022