L’exposition "Notre Feu" d’Isabelle Ferreira s’installe au MAAT pour inviter le spectateur dans un voyage entre mémoire intime et mémoire collective. Dans cette exposition, l´artiste revisite l’histoire des émigrés portugais des années 60 et questionne notre rapport à la terre, à la couleur et à l’identité. L’exposition est organisée en partenariat avec l’Institut français du Portugal dans le cadre du programme MaisFRANÇA et est à découvrir jusqu'au 2 mars 2026. Lepetitjournal a rencontré l’artiste à l’occasion de son passage à Lisbonne pour présenter son travail.


Artiste formée aux Beaux-Arts de Paris, Isabelle Ferreira, fille d´émigrés portugais en France, explore depuis plusieurs années les questions d’héritage, de migration et de transmission à travers des œuvres mêlant photographie, peinture, bois et fibres. L’œuvre centrale L’Invention du courage (o salto) réinterprète le rituel des émigrants qui remettaient une photo au passeur, celui-ci donnait une moitié de la photo à la famille et l´autre moitié était envoyée pour prouver l´arrivée. L’exposition s’appuie sur une collaboration avec des photographes et des techniques artisanales, donnant vie à des œuvres où les gestes de l’artiste se voient et se ressentent, mêlant silence, sons, textures et couleurs. Avec Notre Feu, l´artiste transforme les récits de migration et les héritages familiaux en matière artistique vivante.

Lepetitjournal : Comment cette histoire collective est-elle devenue une matière artistique pour vous ?
Isabelle Ferreira : Alors, avant tout, il y avait trois types d'immigration, celle qui fuyait le régime salazariste, celle qui cherchait à échapper aux guerres coloniales et celle qui cherchait une vie meilleure pour des raisons économiques. Avec Joana Neves, nous avons travaillé sur l'exposition pendant presque deux ans. C'est une exposition qui aborde beaucoup de thèmes tel que le salto, cette immigration portugaise des années 60, mais aussi ma réflexion personnelle sur ce que je prends en charge, sur les silences et les éléments manquants dans cette histoire. L'exposition explore finalement des questions d'héritage, de culture et de langage, en mêlant fragments, couches de narration, récits historiques et strates matériels politiques ou linguistiques.
Le titre Notre Feu évoque à la fois chaleur, foyer et transmission. Que représente ce feu pour vous, personnellement et symboliquement ?
Oui, "notre feu", c'est évidemment le foyer en français, la famille. C'est aussi le feu intérieur, ce qui nous porte, ce qui nous rassemble, ce qui nous permet d'avancer fort ensemble et de vibrer ensemble. Donc c'était une sacrée décision de prendre un titre français dans un endroit où on ne m'attend pas, et en plus de réécrire l'histoire avec des mots en français. Mais c'était très important pour parler de ce rapport au langage et de ce rapport au passage. Le foyer, il y a quelque chose de l'ordre de la chaleur, mais c'est surtout le vivre ensemble et le vibrer ensemble.

Par rapport à la mémoire intime et la mémoire collective, comment trouvez-vous l'équilibre dans votre œuvre ?
Je pense que ce sont les pièces qui peuvent se répondre les unes, les autres. Je ne suis pas en train de raconter tellement l'histoire de mon père, mais je prends très fort ce prétexte pour continuer mon travail. Et c'est vrai que depuis quatre à cinq ans, je travaille beaucoup autour de ces questions-là, autour des contrats, non seulement le salto, (nom donné aux émigrés qui franchissaient à pied les frontières terrestres pour aller travailler ou s'installer la plupart du temps en France) mais aussi d'autres contrats. Et voilà, j'ai plusieurs réponses avec tous ces corpus d'œuvres. Il y a aussi l'histoire de ces portraits qui présentent une relation presque intimiste, effectivement, parce qu'ils sont de petite taille aussi, et puis des sujets beaucoup plus grands, des corpus beaucoup plus grandes, où il est question du paysage, question de la traversée, question de la mobilité du paysage, de sa géographie, des gestes, beaucoup de choses en fait, des gestes à échelle humaine, agrafer un fragment en bois, déchirer une couleur sur un mur...
Vous utilisez beaucoup de matériaux. Quelle place occupe la matière dans votre démarche ?
La matière, elle est très importante. Je travaille beaucoup avec le papier qui me sert à faire les transferts, le papier pour faire mes peintures. Mais le papier, c'est aussi le bois, et j'en utilise aussi beaucoup. Dans cette pièce, les déracinés vasculums (nouvelles pièces) utilisent un peu plus de charbon, parce que je travaille avec du métal, ce qui, je crois, n'est jamais arrivé. Donc oui, la matière est très importante car c'est elle qui me permet de souligner tous mes gestes.
Comment s'est faite la genèse de Notre Feu ?
J´ai été invité, par le MAAT, il y a deux ans et demi à faire cette exposition. J'ai moi-même invité Joana Neves, curatrice de l´exposition, à échanger avec moi pendant tous ces longs mois pour qu'on puisse produire cette exposition. Ça s'est fait plutôt dans ce sens-là. On a travaillé main dans la main avec Joana pour mettre en place la thématique de la migration, la question de la deuxième, troisième génération qui ne parle pratiquement plus portugais quand elle est en France, ce qui est vraiment triste.
Si vous deviez résumer Notre Feu en un mot ?
C'est précisément « Notre Feu ».
















