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Le Fado à Porto avec Gonçalo Mendes

Lepetitjournal est allé à la rencontre du fadiste Gonçalo Mendes, fondateur du concept « Fado na Baixa » à Porto. Il nous a parlé de sa maison de fado et de ce genre musical typique du Portugal.

Gonçalo Mendes, Fado na Baixa, PortoGonçalo Mendes, Fado na Baixa, Porto
Gonçalo Mendes @MJ Sobral
Écrit par Lison Segui
Publié le 23 juillet 2025, mis à jour le 24 juillet 2025


Gonçalo Mendes est un chanteur portugais originaire de Coimbra. C'est dans cette ville universitaire qu'il a grandi et où il a suivi des études en ingénierie mécanique. Mais parallèlement à sa formation scientifique, il s'est immergé dans le monde du fado, en rejoignant la section artistique de l'association académique de l'université. Il en est devenu l'un des dirigeants, se consacrant dès l'âge de 17 ans à l'univers du Fado de Coimbra.

Ce style musical, d'abord pratiqué en amateur, a pris une place centrale dans sa vie. Après près de vingt ans passés dans l'ingénierie, la perte de son père a marqué un tournant décisif. Cette épreuve l'a poussé à reconsidérer ses priorités, à se recentrer sur sa passion, et à se consacrer pleinement à la musique. Depuis une dizaine d'années, il est artiste professionnel, porteur d'un projet innovant : « Fado na Baixa ».


Lepetitjournal : Qu'est-ce qui vous a conduit à développer le projet « Fado na Baixa » et en quoi est-il unique ?

Gonçalo Mendes : « Fado na Baixa » est un projet inédit au Portugal. L'idée était de proposer une expérience autour du fado qui sorte du cadre traditionnel des restaurants ou des maisons de fado. Nous voulions créer un espace dédié uniquement à ce genre musical, avec une exigence de qualité élevée : des artistes reconnus, une mise en scène soignée, et surtout un contexte explicatif pour le public. Beaucoup de nos spectateurs sont des touristes, alors nous avons décidé d'intégrer des éléments pédagogiques : un documentaire, des présentations sur l'histoire et les origines du fado, les instruments, les émotions. L'objectif est de faire vivre une véritable immersion culturelle. Bien que l'espace actuel ait ouvert en 2018, nous produisons des spectacles depuis 2013, avec cette même volonté de transmettre bien plus qu'un simple concert. 


Que souhaitez-vous transmettre au public avec vos spectacles ? En quoi « Fado na Baixa » renouvelle-t-il cette tradition ?

L'émotion est au cœur du Fado. Chaque artiste transmet des sentiments différents selon son style, son vécu et même l'humeur du jour. C'est pour cela que notre programmation change constamment : un jour nous avons Fernanda, une fadiste plus expérimentée, au style dramatique, le lendemain Cristina, plus jeune, avec une approche plus contemporaine. Ce renouvellement constant rend chaque concert unique. Contrairement aux maisons de fado traditionnelles, où les répertoires sont souvent fixes, nous misons sur l'authenticité du moment. De plus, nous plaçons les artistes dans une mise en scène pensée, « un set up », enrichi par un documentaire et des témoignages. Cela permet de replacer le fado dans son contexte historique et culturel, et non comme simple divertissement. Même les Portugais apprennent des choses nouvelles en venant chez nous ! On essaye vraiment de créer une connexion plus intense avec les fadistes.


Le Fado de Porto est peu évoqué comparé à ceux de Lisbonne ou Coimbra. Quelle est sa place aujourd'hui ?

Le Fado de Lisbonne est un genre à part entière, très populaire, tandis que celui de Coimbra est profondément lié à l'université et à ses traditions. Le Fado est né à Lisbonne mais s'est rapidement développé au niveau national. Cependant et selon moi, à Porto, on ne peut pas vraiment parler d'un « Fado de Porto » en tant que style distinct. Il y a bien sûr de nombreux artistes talentueux ici, mais pas de genre propre. La vraie contribution de Porto au Fado portugais réside dans la fabrication des guitares portugaises. Grâce à l'industrie du bois, la région s'est spécialisée dans la lutherie. De nombreux poètes et compositeurs viennent aussi du nord, mais musicalement, il n'existe pas de style de Fado de Porto formel comme c'est le cas pour Lisbonne ou Coimbra. 

 

Fado na Baixa, Porto
@MJ Sobral


En tant qu'interprète du Fado de Coimbra, quelles sont les spécificités de ce style ?

Le Fado de Coimbra se distingue nettement de celui de Lisbonne. Il est exclusivement chanté par des hommes, souvent étudiants ou anciens étudiants de l'université. C'est une musique plus poétique, plus noble, qui évoque la saudade de la ville, des années d'étude, de la jeunesse. C'est un genre proche de la sérénade, destiné à séduire les jeunes étudiantes ou à émouvoir. Musicalement, la guitare portugaise de Coimbra est différente, avec une forme particulière (en forme de poire), et un son plus puissant, pensé pour résonner dans les rues et que votre bien aimé vous entende depuis son balcon. L'accompagnement est aussi plus académique, souvent plus lyrique. Enfin, le Fado de Coimbra s'accompagne d'un code vestimentaire : la célèbre cape noire que l'on déchire symboliquement au fil des amours pendant nos études.


Comment choisissez-vous les musiciens et chanteurs de « Fado na Baixa » ?

Nous avons un directeur musical, Mário Henriques, une figure incontournable du Fado au nord du pays et un des plus respectés dans le milieu du Fado. Il joue la guitare portugaise presque tous les soirs. À ses côtés, nous avons des musiciens très compétents à la guitare classique.
Pour les chanteuses fadistes, c'est plus flexible : nous avons un groupe d'artistes qui alternent, ce qui enrichit le spectacle. Ce qui compte avant tout pour nous, ce n'est pas uniquement la technique vocale, ou le bagage musical traditionnel d'une école de musique, mais la capacité à transmettre l'émotion. Le Fado, c'est l'art de faire vivre un poème. Une belle voix ne suffit pas si l'artiste ne fait pas vibrer le public. Certains touristes ne comprennent pas les paroles, mais ressentent l'émotion, et c'est ce qui nous importe. Il faut que le cœur s'exprime grâce aux cordes vocales, et non l'inverse. Pour illustrer : un touriste dans une revue a qualifié une de nos fadistes de « drama queen », la reine du drame. 

 

Fado na Baixa, Porto
@MJ Sobral


Comment sélectionnez-vous les chansons interprétées ? Y a-t-il des variations selon les jours ?

Oui, le répertoire varie d'un jour à l'autre. Chaque artiste choisit les morceaux en fonction de son style, de son état d'esprit, et de l'atmosphère qu'il souhaite créer. Ce renouvellement constant rend chaque spectacle unique. Cela nous permet aussi de garder l'intérêt du public, même s'il revient plusieurs fois. Il est important pour nous de respecter la volonté de la fadiste et qu'elle chante ce qu'elle souhaite. C'est bon pour le public, pour les fadistes, et pour le Fado en général.


Comment les spectateurs étrangers réagissent-ils au Fado, remarquez-vous des différences selon les nationalités ?

Globalement, notre public est curieux et sensible à la culture. Mais certaines tendances se dessinent : les Français, par exemple, semblent très intéressés, ils posent des questions, laissent des commentaires très riches. Les Espagnols également. En revanche, pour certains publics asiatiques, comme les Chinois ou les Japonais, l'approche est plus distante : ils perçoivent souvent le Fado comme une performance artistique sans toujours en saisir la profondeur émotionnelle. Peut-être qu'il est plus facile de comprendre le Fado en tant qu'européen. Cela dit, chaque spectateur est unique.


Avez-vous des projets futurs que vous pouvez partager avec nous ?

Oui, notre ambition est de développer ce concept à l'étranger. Nous pensons à des tournées, peut-être en France, dans des salles de spectacles, d'ici 2026 ou 2027. L'idée est de faire découvrir le Fado de manière immersive et pédagogique à un public international, en exportant ce format innovant qui allie musique, émotion et transmission culturelle. 


Comment se rendre à Fado na Baixa ?

Les concerts de « Fado na Baixa » ont lieu tous les jours au cœur du centre historique de Porto, dans une salle intime, spécialement conçue pour offrir une expérience acoustique de qualité. Chaque représentation dure environ 1 heure, et comprend à la fois les performances live, une dégustation de vin et le documentaire de fado mis en scène.

Les sessions se déroulent tous les jours à 18h et/ou 19h selon la saison. Le tarif normal s'élève à  19 euros par personne, avec une réduction de 3 euros pour les étudiants et seniors, et gratuits pour les enfants de moins de 12 ans.

Pour se rendre à Fado na Baixa, rendez-vous Rua de São João, 99 à Porto.
Pour plus d'informations : Fado Na Baixa | Vivre du fado à Porto

 

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