Après deux livres fort remarqués –Loin du corps (2017) et Le Grand Art (2020)-, Léa Simone Allegria nous présente son troisième ouvrage intitulé "Douce menace" chez Albin Michel. Au cœur d´une captivante enquête romanesque, cette artiste, galeriste et romancière convoque l´histoire de l´art pour nous raconter le mystère de la création et de la falsification. En escapade à Rome, Alba et Nino découvrent un étrange tableau: est-il bien l´autoportrait du célèbre Caravage ou une simple copie?


Léa Simone Allegria : artiste, galeriste et romancière
Née en 1987 à Paris, Léa Simone Allegria est une artiste, galeriste et romancière, mais avant elle est passée par le milieu de la haute couture. Elle s'en inspire d´ailleurs pour construire la trame de son premier roman, Loin du Corps, publié en 2017 aux éditions du Seuil. Elle y dissèque son rapport à l'image et la figure de la muse. En 2020, elle publie son deuxième roman Le Grand Art, aux éditions Flammarion, où elle brosse le portrait de Paul Vivienne, qui, après avoir été un commissaire-priseur à qui tout réussissait, file un mauvais coton. Il ne maîtrise ni les réseaux sociaux ni les enchères en ligne. Il rejoint ses ombres. Jusqu´à ce qu´il découvre un mystérieux retable au fin fond d´une chapelle toscane. Il lui faut à tout prix identifier ce maître inconnu de la Renaissance.
Douce menace, troisième ouvrage de Léa Simone Allegria
Lors de cette rentrée littéraire, Léa Simone Allegria nous présente son troisième ouvrage, intitulé Douce menace, chez Albin Michel, où la peinture est une nouvelle fois au cœur de l´intrigue. En escapade à Rome, Alba et Nino découvrent un étrange tableau : le portrait d´un jeune homme au visage bouffi, au teint verdâtre, au visage malsain, image obsédante dont ils vont chercher à percer le mystère. Un fil invisible relie cette époque à la Renaissance où Michele Merisi (ou Michelangelo Merisi) dit Le Caravage, accablé par la misère et la maladie, achève son premier autoportrait. Le tableau découvert par Alba et Nino est-il le vrai tableau signé Le Caravage -Le Petit Bacchus malade ou Autoportrait en Bacchus- ou une simple copie ? Toujours est-il que le revers du tableau acquis à un antiquaire est estampillé Bonzi, de Pietro Paolo Bonzi, un autre peintre de la Renaissance, surnommé le bossu de Carrache.
Le tableau est généralement considéré comme un autoportrait réalisé à l'aide d'un miroir. Il représente en demi-figure un jeune garçon habillé en Bacchus, associé à des éléments de nature morte. Le teint jaunâtre du personnage, ainsi que certains éléments perceptibles sur les traits de son visage, font penser que le jeune Merisi a pu se représenter malade — peut-être de la malaria — ou convalescent : c'est en tout cas l'avis du célèbre historien de l'art Roberto Longhi (1890-1970) qui, en 1927, réattribue l'œuvre au peintre lombard et la nomme au passage Il Bacchino malato, en italien. Qu'on considère le Bacchus comme malade ou non, il existe diverses interprétations possibles du tableau et de son personnage central.
Plusieurs hypothèses sont soulevées quant au moment et à l'endroit précis de la composition de ce tableau, mais il est fort probable qu'il ait été peint dans l'atelier de Giuseppe Cesari, dit Le Cavalier d´Arpin (l´Arpino), où travaille alors Le Caravage. Cette information est connue parce que les archives montrent que Le Petit Bacchus malade fait partie d'une saisie judiciaire des biens du Cavalier en 1607 et passe alors dans la collection du cardinal Scipione Borghese.
Pour en revenir à Douce menace, le moins que l´on puisse dire c´est que Léa Simone Allegria nous livre de main de maître une captivante enquête romanesque en convoquant l´histoire de l´art pour raconter le mystère de la création et de la falsification. Le rythme est proche d´un thriller à énigme et nous tient en haleine pendant tout le roman. Avec des allers-retours temporels, les époques se mélangent à la faveur des lieux que visitent Alba et Nino, des lieux habités par les peintres, les marchands ou les cardinaux du dix-septième siècle naissant.
L´enquête menée par Alba et Nino sur le mystère du tableau s´amalgame donc avec la vie du Caravage, ses colères, ses outrances, sa vie misérable toujours sur la corde raide.
Dans les premiers chapitres, on trouve Michele Merisi à l´hospice de la Consolation où il s´est fait soigner. Peut-on en déduire que le célèbre tableau y aurait été peint ? Rien n´est moins sûr puisque à la date probable de sa conception Le Caravage -qui ne faisait jamais de dessin préparatoire et peignait donc directement sur la toile- travaillait dans l´atelier d´Arpino et ce n´est que plus tard, vers 1597, qu´il a séjourné à l´hospice de la Consolation. Quant au mystère des deux tableaux, il suscite diverses interrogations que le livre cherche à élucider. Le même peintre pourrait-il concevoir deux tableaux exactement égaux ? Or, en principe, c´est fort improbable : « Si un même peintre, le même jour, avec les mêmes pinceaux et les mêmes pigments se mettait à peindre deux toiles identiques, il ne reproduirait pas deux fois le même tableau. On constaterait des variations- légères, subtiles peut-être, mais inévitables. On ne joue pas deux fois le même morceau. On a beau répéter la même partition, les mêmes notes avec les mêmes mains sur le même piano, les sons peuvent voleter dans le même air, leur essence nous échappe. On ne danse pas deux fois la même chorégraphie, on ne joue pas deux fois la même pièce, on ne récite pas deux fois le même poème avec une seule intensité. L´art est insaisissable par nature, rien ne l´annonce ni ne la prépare, si ce n´est mille années de pratique. Mais alors…comment ? » (page 57). Le mystère persiste donc jusqu´à la fin du roman…
Douce menace est un des beaux romans de cette rentrée littéraire 2025 grâce à l´imagination de Léa Simone Allegria, une des autrices françaises les plus talentueuses de sa génération.
Lea Simone Allegria, Douce menace, éditions Albin Michel, Paris, août 2025.


















