Édition internationale

"La nef de Géricault" un roman de Patrick Grainville

Élu à l´Académie Française en 2018, Patrick Grainville est un écrivain très particulier. Son style baroque et son œuvre dense tiennent une place à part dans le paysage romanesque français. Passionné d´art, la peinture est souvent au cœur de ses romans. Cette fois-ci, il retrace dans "La nef de Géricault" (éditions Julliard) la vie et l´œuvre du peintre Théodore Géricault (1791- 1824) et l´histoire de son tableau "Le Radeau de la Méduse" -exposé au Louvre- qui représente un épisode tragique de la marine coloniale française.

Patrick GrainvillePatrick Grainville
©Charlotte Krebs/Julliard
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 2 juillet 2025, mis à jour le 3 juillet 2025


Patrick Grainville, un passionné de peinture

Élu à l´Académie Française en 2018 au fauteuil d´Alain Decaux, Patrick Grainville, né à Villers-sur-Mer (Normandie) le 1er juin 1947, est un écrivain très particulier qui s´est toujours singularisé par son style baroque, son érotisme -de beaux corps féminins peuplent l´écrasante majorité de ses romans- et sa passion pour la peinture. Son œuvre foisonnante fut couronnée de quelques prix littéraires dont le Goncourt en 1976, à l´âge de 29 ans, pour son roman Les Flamboyants qui raconte l´épopée d´un roi fou africain imaginaire, Tokor.

Son roman le plus récent, La nef de Géricault, paru début janvier aux éditions Julliard, retrace la vie et l´œuvre du peintre, dessinateur, sculpteur et lithographe français Théodore Géricault (1791-1824) et l´histoire de son tableau Le Radeau de la Méduse, exposé au Louvre, qui représente un épisode tragique de la marine coloniale française. 


La nef de Géricault : la vie et l´œuvre du peintre français Théodore Géricault

À mi-chemin entre biographie et roman, La nef de Géricault dépeint dans les premières pages, la passion du jeune peintre pour Alexandrine, sa tante par alliance, à peine plus âgée que lui (six ans d´écart). Mariée à Jean-Baptiste Caruel de Saint-Martin, de vingt-huit ans son aîné, oncle maternel de Théodore Géricault, Alexandrine est lassée de ce vieux fatigué, mais torturée par le remords. Géricault détestait tromper son oncle, pourtant leur faute, quoique les accablant, les unissait plus violemment encore : « Œdipe et Jocaste étaient plus effroyablement complices, certes sans le savoir. Alexandrine et Théodore n´avaient du Sphinx qu´une image composite, de lion, de serpent, de bouc, d´oiseau. Envoûtante. Le monstre posait la question de leur amour. Et ils savaient, ils répondaient à l´énigme par un redoublement de caresses et de passion dévorante. Ils aimaient cette angoisse et cette exaltation de la dévoration, emportés par l´ouragan, comme sur le radeau de leur désir. L´océan de leurs pulsions lâchées merveilleusement grondait sous le râle du vent ». De cette liaison -qui a duré plusieurs années et qui a été, cela va sans dire,  finalement découverte- est né en 1818 un fils, Georges-Hippolyte, déclaré à sa naissance comme le fils de la bonne Suzanne et de père inconnu. À la mort de Géricault, en 1824, l´enfant fut reconnu par le père de l´artiste, Georges-Nicolas.    


Le Radeau de la Méduse

À l´âge de 26 ans, Géricault veut créer une œuvre immense et spectaculaire, susceptible de l´immortaliser. Cherchant son inspiration dans les journaux, il découvre « l´affaire de la Méduse », catastrophe maritime que la monarchie restaurée avait tenté d´étouffer. Il s´agit du naufrage d´une frégate, la Méduse, en 1816, au large des côtes du Sénégal. Le moment choisi par Géricault pour sa toile est celui où quelques naufragés survivants, après avoir dérivé pendant treize jours sur un radeau de fortune, ont aperçu au loin le navire venu les sauver, le brick Argus. Géricault a peint l´instant dramatique où les hommes encore valides -qui ont pratiqué le cannibalisme afin de survivre- se sont levés pour faire signe au navire. Le peintre a pris connaissance du récit des deux survivants : Alexandre Corréard, l´ingénieur géographe de la Méduse, et Henri Savigny, le chirurgien de bord. 
Il a fait construire une réplique du radeau dans son atelier et a demandé aux rescapés de venir poser pour lui. Il est allé jusqu'à exposer dans son atelier des restes humains. Grâce à un ami médecin à l'ancien hôpital Beaujon, proche de son atelier, Géricault a pu obtenir des bras et des pieds amputés afin de les étudier. De même, il a dessiné plusieurs fois une tête coupée obtenue à Bicêtre, une institution tout à la fois hospice, prison et asile d'aliénés. Selon Charles Clément, son biographe, une puanteur étouffante régnait parfois dans son atelier de la rue du Faubourg-du-Roule. Aussi Michel Schneider a-t-il écrit que cette œuvre était une leçon d´architecture autant qu´une leçon d´anatomie. 

Le tableau immense -cinq mètres de haut et sept de large- est exposé au Musée du Louvre, à Paris et c´est l´œuvre qui a immortalisé Géricault. Néanmoins, la figure du peintre est également immortalisée par le portrait qu´a fait de lui Horace Vernet (1789-1863), 


Portrait de Géricault par Horace Vernet

Horace Vernet était un nom controversé de la peinture, bonapartiste fidèle, admiré par Théophile Gautier ou le peintre anglais Edwin Henry Landseer, mais vitupéré par Charles Baudelaire qui dans sa critique du Salon de 1846 a écrit sur la peinture de Horace Vernet ce qui suit : « M. Horace Vernet est un militaire qui fait de la peinture. Je hais cet art improvisé au roulement du tambour, ces toiles badigeonnées au galop, cette peinture fabriquée à coups de pistolet, comme je hais l'armée, la force armée, et tout ce qui traîne des armes bruyantes dans un lieu pacifique ». Néanmoins,  vers 1822-1823, Horace Vernet avait fait un portrait de Géricault qui suscite encore de l´admiration. Patrick Grainville écrit : « Par ce geste, Horace est sauvé. Géricault est coiffé d´un bonnet ou turban noir et gris. Veste brun-noir, pointes du col de chemise très blanches. Sur fond gris-vert. Discrètement auréolé de jaune. Visage tourné un peu de côté, grands yeux sombres, une grande fronce verticale d´effort, de douleur monte vers le crâne. Le chef d´œuvre d´Horace Vernet n´est pas l´Empereur bouffi, mais le visage de souffrance de Géricault. L´amitié la plus fidèle et la compassion ont dépouillé Vernet de ses codes, de ses canons néoclassiques, antiquailleries déclamatoires. Il peint Géricault sans fard, avec une extrême sensibilité, une rigueur presque janséniste. Géricault beau comme les Pensées de Pascal.»

Jubilatoire, chatoyant, vibrant, La nef de Géricault est un des plus beaux romans de l´œuvre riche et vaste de Patrick Grainville.      

Patrick Grainville, La nef de Géricault, éditions Julliard, Paris, janvier 2025.

 

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