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"Malestroit" de Jean de Saint-Chéron : une vie atypique

Résistante décorée de la Légion d´honneur par le Général de Gaulle, Yvonne Beauvais est une héroïne inconnue. On a même voulu l´effacer de l´histoire. Religieuse, sa vie fut dédiée au service des pauvres, au couvent breton de Malestroit. Pendant la seconde guerre mondiale, elle a caché des dizaines de résistants et de parachutistes alliés et fut torturée par la Gestapo. Elle avait pourtant le défaut d´être mystique. On lui attribuait des phénomènes extraordinaires, comme dans les récits du Moyen Âge. Jean de Saint-Chéron nous restitue sa vie atypique dans son livre Malestroit aux éditions Grasset.

Malestroit de Jean de Saint-ChéronMalestroit de Jean de Saint-Chéron
©JF PAGA
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 29 juillet 2025, mis à jour le 31 juillet 2025


Jean de Saint-Chéron : une voix singulière dans le panorama littéraire français

« Jean de Saint-Chéron restaure une figure extraordinaire et controversée. Ce livre, c´est la confrontation terrible et sublime entre le mysticisme le plus ardent et l´engagement le plus héroïque». Ces paroles ont été proférées par l´écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin et elles définissent on ne peut mieux Malestroit -roman, récit, essai biographique ? - de Jean de Saint-Chéron qui, à l´âge de 38 ans, s´affirme comme une voix singulière dans le panorama littéraire français. 

Après les essais Les bons chrétiens (2021) et Blaise Pascal, voilà ce que c´est que la foi (2023), publiés tous les deux aux éditions Salvator, Jean de Saint-Chéron a écrit le récit Éloge d´une guerrière consacré à la vie de Thérèse de Lisieux, paru en 2023 aux éditions Grasset, un livre qui lui a valu le Prix François-Victor Noury de l´Institut de France, sur proposition de l´Académie Française. 


Yvonne Beauvais, une femme hors du commun

Avec Malestroit, le jeune auteur s´est penché encore une fois sur la vie d´une figure chrétienne et quelle figure ! En effet, Yvonne Beauvais, surnommée Yvonne-Aimée de Malestroit, fut une résistante héroïque. Elle fut notamment décorée de la Légion d´honneur par le Général de Gaulle après la seconde guerre mondiale pour avoir caché juifs, maquisards et parachutistes alliés dans le couvent breton de Malestroit qu´elle dirigeait. Mais elle fut aussi une figure mystique qui aurait combattu le diable physiquement. L´idée du livre est donc de raconter pour comprendre. Jean de Saint-Chéron nous prévient dans un entretien à la Radio Chrétienne (RCF) : «La tradition mystique chrétienne met en garde depuis mille ans contre la confusion du paranormal qui nous fascine et du surnaturel qui vient de Dieu». La mystique chrétienne est donc au cœur de Malestroit.  

Née le 16 juillet 1901 à Cossé-en-Champagne (Mayenne), Yvonne Beauvais -en religion, Mère Yvonne Aimée de Jésus- était la fille d´Alfred Beauvais, négociant en vin, et de Lucie Beauvais, née Brulé, institutrice. Elle avait une sœur aînée, Suzanne. À la mort de son père, en 1904, Yvonne Beauvais fut confiée à ses grands-parents qui lui ont enseigné la générosité envers les pauvres. Pourtant, à l´âge de 6 ans, elle a rejoint sa mère. À partir de cette époque -comme l´auteur nous l´explique dans son livre-, Yvonne, sa sœur Suzanne et leur mère ont entamé une période marquée par les déménagements, au gré des postes de direction que Lucie Beauvais a occupés dans des pensionnats : Argentan, Toul, puis Paris. Les deux filles ont donc fait l´essentiel de leur scolarité dans des établissements dirigés ou gérés par leur mère. 

À 9 ans, Yvonne a fait sa première communion tant désirée et le sentiment religieux s´intensifiait jour après jour chez cette jeune fille qui voulait dévouer sa vie à Jésus et aux pauvres. Adolescente, elle a passé deux années scolaires en Angleterre qui lui ont permis de développer toute sa sensibilité artistique. Revenue en France, elle a achevé ses études et s´est consacrée au service des pauvres en se rendant quotidiennement dans les quartiers les plus dangereux de Paris pour venir en aide à des familles en détresse. Néanmoins, la vie religieuse ne fut pas une option indiscutable. Si elle a repoussé bien des prétendants que sa mère lui a présentés, après la rencontre avec Robert, un jeune futur médecin,  son cœur a balancé entre le dévouement à Dieu et la vie conjugale. 

Entre-temps, ses dons mystiques ont retardé un peu l´épanouissement de sa vocation religieuse. Devant les manifestations surnaturelles d´Yvonne Beauvais, le père Trégard, jésuite, recteur du Collège de la rue Franklin, reconnu comme un expert en discernement, fut catégorique : « Tu es faite pour le mariage » Cependant, un autre jésuite, le père Crété, recteur du Collège de Vannes, l’a, au contraire, encouragée à suivre la voie religieuse. En 1923, Mgr Gouraud, l’évêque, lui a interdit toute relation avec le monastère de Malestroit : on la prenait pour une hystérique voire une faussaire. On a eu alors recours à l’exorciste de Paris, le père Joseph de Tonguédec. 

Finalement, Yvonne Beauvais est devenue novice au couvent breton de Malestroit et rapidement elle en a pris la direction. Elle en a fait une clinique moderne pour soulager la souffrance d´autrui. Pendant la seconde guerre mondiale, elle a caché, au couvent, juifs, maquisards et parachutistes alliés. Un des résistants arrêtés au couvent par les Allemands fut le général Louis-Alexandre Audibert, dissimulé sous le nom de Monsieur Chevalier, seul survivant en 1945 des neuf généraux déportés à Buchenwald. En 1949, il était de la cérémonie qui a accordé la croix de guerre à toute la clinique de Malestroit. 

Torturée par la Gestapo, Yvonne Aimée de Jésus a pu échapper aux sbires nazis grâce à son don de bilocation, un phénomène supposé, consistant pour une personne à être présente simultanément en deux lieux distincts, une situation qui a contribué à la méfiance des autorités ecclésiales vis-à-vis de sa figure. Peu après sa mort, le 3 février 1951, à l´âge de 49 ans, son dossier de canonisation fut déposé au Vatican, mais en 1960, on l´a refermé sur trois mots cinglants : « Trop de miracles ». 

Aujourd´hui encore, Yvonne Beauvais est tenue pour une figure mystérieuse. Affabulatrice ? Folle ? Sainte incomprise ? Jean de Saint-Chéron a mené l´enquête et il nous brosse avec ce livre atypique le portrait d´une femme hors du commun.


Jean de Saint-Chéron, Malestroit, éditions Grasset, Paris, janvier 2025.

 

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