Édition internationale

8 mai : Lola Lafon présente à Lisbonne "La petite communiste qui ne souriait jamais"

Lola Lafon s´est affirmée ces dernières années, en France, comme un des écrivains les plus intéressants de sa génération. En 2014, elle a publié "La petite communiste qui ne souriait jamais" (éditions Actes Sud) qui n´a été traduit en portugais qu´en novembre 2024 par Luís Leitão chez Antigona. Lola Lafon sera ce jeudi 8 mai à la Médiathèque de l´Institut Français du Portugal, à Lisbonne, pour une rencontre, animée par l´écrivain, journaliste et traducteur Júlio Henriques, autour de "La petite communiste qui ne souriait jamais".

Lola LafonLola Lafon


Lola Lafon vient au Portugal dans le cadre du projet Sementes da Dissidência organisé justement par son éditeur portugais Antigona.  

Les années de la guerre froide

Un des romans les plus surprenants de la rentrée littéraire de janvier 2014, en France, nous renvoie aux années de la guerre froide. Pour les plus jeunes, c´est une époque qu´ils ne connaissent que par ouï-dire ou tout au plus à travers les manuels d´histoire. Pour nous qui avons vécu cette période où le mur de Berlin divisait deux mondes qui se singularisaient par des perspectives philosophiques, économiques et politiques diamétralement opposées, la mémoire de ces temps-là n´est nullement à garder dans un quelconque tiroir aux oubliettes.

Dans le bloc soviétique, au sein des soi-disant démocraties populaires, il était une fois un régime qui aux yeux des «démocraties bourgeoises» faisait figure d´outsider en ce sens qu´il s´ingéniait de temps à autre à montrer son indépendance vis-à-vis de la toute- puissante Union Soviétique, ce qui ne pouvait manquer de susciter l´admiration de l´Europe Occidentale et des États-Unis et néanmoins ce régime était tout bonnement la dictature la plus tyrannique de l´Europe Orientale (si l´on excepte peut-être l´Albanie qui, non-alignée, ne faisait partie à vrai dire d´aucun bloc). Menée par le conducator Nicolae Ceausescu -que la France a un jour décoré de la Grand-Croix de la Légion d´honneur- et sa femme Elena, la dictature roumaine était fière de ses succès sportifs, surtout de la mince et adorable Nadia Comaneci, la fée des Carpates, en fait la petite communiste qui ne souriait jamais comme l´a surnommée Lola Lafon dans son roman homonyme, paru en janvier 2014.


Lola Lafon

Lola Lafon, née en 1972, femme de lettres (quatre romans à son actif), chanteuse et compositrice, a vécu pendant son enfance en Roumanie (où ses parents enseignaient la littérature française) et donc le pays des Carpates n´a pas de secret pour elle. La petite communiste qui ne souriait jamais n´est pourtant pas une biographie romancée de la célèbre gymnaste roumaine. Certes, les dates, les lieux et les événements ont été respectés, mais l´échange de correspondance entre la narratrice du roman et la gymnaste relève de la fiction. La fiction, au fond, n´est-elle pas souvent le moyen soit de peupler les silences de l´histoire soit de fournir les multiples versions d´un monde évanoui, comme Lola Lafon l´écrit elle-même dans son avant-propos ?


La fée des Carpates

Tout commence en 1976 aux Jeux Olympiques de Montréal quand on crie au miracle : les panneaux électroniques (ou ceux qui s´en occupaient) n´avaient pas prévu que quelqu´un pût atteindre une note de 10 sur 10, mais Nadia l´a fait ! Humiliant les gymnastes soviétiques, elle est soudain devenue une vedette, cette fille de quinze ans protégée par un «immaculé justaucorps sur lequel on ne distingue aucune trace de transpiration» ou comme écrit un journal : «Une Lolita olympique d´à peine quarante kilos, écolière de quatorze ans à la silhouette de jeune garçon qui se plie à toutes les demandes».

La réussite de Nadia est l´œuvre de l´entraîneur Béla Kàrolyi et de sa femme Márta qui, prétendant redonner vie à la gymnastique roumaine en sommeil depuis quelques années, essayent de recruter de jeunes talents du côté d´Onesti, une ville de Moldavie roumaine, au nord-est de Bucarest, ceci à la fin des années soixante ! Nadia, à l´âge de 7 ans, est une des jeunes sélectionnées pour l´école expérimentale et petit à petit elle fait parler d´elle. S´il y a d´abord une contre-performance en 1970 dans une compétition nationale, deux ans plus tard, l´équipe roumaine, Nadia en tête, décroche la deuxième place et donc une médaille d´argent à la Coupe Junior de l´amitié sur  fond de polémique, Béla, l´entraîneur, ne sachant pas, d´après la presse russe, que les autres sont de jeunes adultes. C´est que la championne d´Urss, Ludmila Tourischeva, a dix-huit ans…  

Plus surprenant encore est l´épisode de Paris en 1974. L´équipe roumaine invitée à se déplacer à la Ville Lumière n´a personne pour l´accueillir à l´aéroport. Béla, ne parlant ni français ni anglais, n´a qu´une adresse sur un bout de papier et décide de prendre avec les petites un taxi qui les dépose dans un gymnase de banlieue où on leur tend des biscuits et où l´on voit évoluer des « Françaises dont les cuisses trop grasses frottent l´une contre l´autre quand elles courent comme des canards aveugles vers le cheval d´arçons ». Trouvant finalement un interprète, Béla se rend compte que la Fédération Française a dirigé les gymnastes roumaines sur une démonstration d´amateurs et pas sur l´événement prévu. Arrivés au Palais des Sports, Béla agite les bras dans tous les sens devant les vigiles qui les empêchent d´entrer et les petites, profitant du tapage provoqué par leur entraîneur, se baissent et courent vers la salle. La prestation éblouissante de Nadia laisse les spectateurs ébahis, d´aucuns ne se rendant même pas compte de ce qui se passe au juste.

La consécration suprême, le harcèlement de la part de Nicu, le fils du dictateur, et la fuite aux Etats-Unis deux semaines avant la chute de Ceausescu (désir de liberté ou peur d´être emportée par le tourbillon révolutionnaire qui s´annonçait ?), enfin, la magie qui s´estompe quand Nadia devient femme, tout y passe sous la plume enchantée de Lola Lafon.

Avec ce très beau roman, Lola Lafon nous ramène à un temps révolu où la grisaille communiste poussait les Roumains à rêver du paradis à l´Ouest. De nos jours, s´ils ne sont pas forcément nostalgiques du vieux temps du camarade Ceausescu, ils sont plutôt déçus de la banalité démocratique. Puisque si avant les gens « avaient constamment peur, c´est vrai, peur qu´on les entende dire des choses interdites, aujourd´hui on peut tout dire(…) seulement personne ne nous entend ».  

Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais, éditions Actes-Sud, janvier 2014.  

 

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