Ces dernières années, la situation de la liberté de presse et de la liberté d'expression au Pérou a connu un déclin massif et très rapide. Harcèlement, pressions et menaces : le quotidien de journaliste.
La liberté d'expression est l'une des libertés individuelles les plus importantes, et constitue un concept central du système démocratique.
En effet, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
De cette liberté d'expression découle, selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la liberté de la presse.
Ce droit interdit de soumettre « les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations », c'est-à-dire à un contrôle a priori de l’information.
Ces libertés n'ont pas toujours été assurées. De nombreux intellectuels, tels que Platon, Thomas Hobbes ou Gustave Le Bon, les percevaient comme dangereuses, ouvrant la porte à la manipulation par le biais de l'art oratoire. Elles ont aussi reçu l’opposition des autocrates, voyant la liberté d’expression et celle de la presse comme des menaces pour leur pouvoir.
Pourtant, aujourd’hui, ces deux libertés sont reconnues dans les textes constitutionnels et dans les lois de nombreux pays, et représentent un idéal à atteindre pour d’autres. C’est en effet cette liberté à exprimer ses idées qui forme ce fameux pluralisme politique si important pour le fonctionnement du système démocratique.
Mais le débat est loin d’être clos, et la liberté d’expression n'est pas encore pleinement respectée dans le monde. Le Pérou est un pays où ce droit nécessite encore de nombreuses améliorations et une meilleure protection.
Bien que cette liberté soit explicitement reconnue par la Constitution péruvienne de 1993, les journalistes et les individus sont victimes de menaces et de censure de la part de politiques, de groupes violents antidémocratiques, ainsi que de mafias et de groupes impliqués dans l'exploitation minière illégale.
Nous examinerons ce que les différents classements élaborés par les ONG et les organisations internationales les plus reconnues au monde révèlent sur l'état de la liberté d'expression et de la liberté de la presse au Pérou.
L'indice Chapultepec de la liberté d'expression et de la liberté de la presse de l'Association interaméricaine de la presse (AIPA)
L'indice Chapultepec de la liberté d'expression et de la liberté de la presse de l'Association interaméricaine de la presse (AIPA) est un baromètre publié annuellement qui analyse la « performance institutionnelle » de 22 pays du continent américain, conformément aux principes de la Déclaration de Chapultepec et de la Déclaration de Salta.
Afin d’évaluer l’état de la liberté d’expression et de la liberté de presse dans ces pays, il prend en considération des facteurs qui influencent négativement ou positivement quatre indicateurs : « Citoyenneté informée et liberté d’expression », « Exercice du journalisme », « Violence et impunité », et « Contrôle des médias ».
Ceci permet d'établir une note sur 100, qui classe les pays évalués parmi les cinq catégories suivantes : Liberté d’expression, Faible restriction, En restriction, Forte restriction, et Sans liberté d’expression. Dans le rapport de 2023, le Pérou est globalement classé dans la catégorie « En restriction », ayant perdu une position par rapport à 2022, et se trouvant 12ᵉ, devant le Brésil et derrière l’Argentine.
La situation péruvienne est particulièrement préoccupante dans l’indicateur « Violence et impunité », où le pays est classé dans la catégorie de Forte restriction.
Cette position s'explique en partie par les nombreux harcèlements subis par des professionnels des médias, comme Rosa María Palacios, de la part de groupes violents et antidémocratiques, tels que le groupe ultraconservateur « La Resistencia ». Elle est également due aux comportements agressifs des membres du pouvoir exécutif et législatif envers les journalistes et les journaux.
Par exemple, un audio filtré par le média La Encerrona a révélé le ministre de l'Intérieur péruvien, Juan José Santivañez, demandant à un ami de « contrôler » Marco Sifuentes, journaliste principal de ce média.
Un point positif pour le Pérou est sa position dans l’indicateur « Contrôle des médias », où il se classe dans la catégorie « Liberté d’expression ». Il occupe désormais la 2ᵉ place, juste derrière le Chili et devant la République dominicaine, le pays avec la meilleure note globale.
Il est cependant important de rappeler que cette crise s’inscrit dans un contexte régional de déclin de la liberté de presse et d’expression, qui, selon l'indice, est au plus bas depuis la première édition de 2020. En effet, la région a obtenu une note de 47,84 points sur 100 possibles, pour la première fois en dessous de 50 points.
Classement mondial de la liberté de presse et de la liberté d’expression de Reporters sans frontières
Une fois par an, Reporters sans frontières (RSF) publie un rapport dans lequel il évalue l'état de la liberté de la presse et de la liberté d'expression dans 180 pays du monde.
Pour ce faire, ils prennent en compte cinq indicateurs différents : le contexte politique, le cadre légal, le contexte économique, le contexte socio-économique, et la sécurité du pays étudié.
Pour chacun de ces indicateurs, diverses questions et sous-questions permettent d'attribuer une note sur 10 et de définir cinq niveaux de liberté d'expression et de presse dans le pays, correspondant à des catégories de points spécifiques : de 85 à 100 points (bonne situation), de 70 à 85 points (situation plutôt bonne), de 55 à 70 points (situation problématique), de 40 à 55 points (situation difficile), et de 0 à 40 points (situation très grave).
Le rapport publié en 2024 positionne le Pérou au 125e rang parmi 180 pays évalués et le classe dans la catégorie « situation difficile » avec une note de 47,76/100. Il perd 15 positions par rapport au rapport de 2023 où il était classé 110e, et 48 positions par rapport à 2022, quand il était 77e. Cela témoigne d'une détérioration significative en un laps de temps extrêmement court.
RSF justifie cette aggravation de la liberté de presse principalement par l'autoritarisme marqué sous les présidences de Pedro Castillo et de Dina Boluarte. En outre, la violence policière accrue pour réprimer les civils et les journalistes lors des manifestations a également eu un impact significatif.
De même, la crise économique que traverse le Pérou a fortement affecté le secteur des médias, contraignant les journaux et les médias à réduire leurs investissements et entraînant la perte d'emplois pour de nombreux journalistes.
Enfin, le rapport souligne que certains médias traditionnels, auparavant de grande renommée, ont récemment été accusés de promouvoir des fausses informations et de la désinformation, notamment dans le contexte de la pandémie et des élections présidentielles de 2021.