Menacés par la déforestation, les Mashco-Piro, la communauté isolée la plus peuplée du monde, font face à des conflits avec des envahisseurs, mettant en danger leur survie.
Pendant l'été 2024, la publication d’images des Mashco-Piro par l'ONG Survival International a scandalisé l'opinion publique.
Cette communauté indigène, la plus grande vivant en isolement volontaire, a été observée avec une cinquantaine de membres cherchant de la nourriture sur les rives de la rivière Las Piedras, dans la région de Madre de Dios, au sud-est du Pérou. Ce comportement inhabituel a attiré l’attention de plusieurs organisations de défense des droits des peuples indigènes, car cette zone est généralement visitée par d’autres communautés.
La Fédération Native de la rivière Madre de Dios et de ses Affluents (FENAMAD) a expliqué à l'agence de presse Reuters que cette apparition est due à la pression croissante des exploitations forestières, légales et illégales, sur le territoire des Mashco-Piro.
Selon le Ministère de la Culture, le Pérou abrite 25 peuples indigènes en situation d’isolement et de contact initial (PIACI). Ces peuples sont en danger constant du fait de de l’augmentation des activités minières, forestières et pétrolières, qu’elles soient légales ou non.
Survival International rapporte que le gouvernement péruvien a signé des contrats avec des entreprises pétrolières occupant plus de 70 % de l’Amazonie péruvienne, y compris des zones où ces peuples isolés vivent ou se déplacent[1].
Ces dernières années, les Mashco-Piro sont devenus un sujet central de débat en raison des nombreux conflits avec les entreprises exploitant leurs terres. En août 2022, un ouvrier a été tué par une flèche sur un site d’exploitation forestière le long de la rivière Tahuamanu.
Le 27 juillet de la même année, un autre incident violent a eu lieu dans un camp d’exploitation forestière illégale, faisant au moins un blessé par flèche. D’après Julio Cururichi, membre du Conseil d’Administration de l’Association Interethnique pour le Développement de la Jungle Péruvienne, les Mashco-Piro ont également été victimes de possibles meurtres ou massacres par des exploitants forestiers et autres envahisseurs, bien que ceci n’ait pas encore été confirmé[2].
Pourtant, ceci n'est pas du tout un sujet d'actualité, et les abus subis par les Mashco-Piro et d’autres PIACI remontent à plus d’un siècle.
La cruelle histoire de survie des Mashco-Piro
L’histoire des Mashco-Piro est peu connue en raison de leur isolement extrême, rendant le contact presque impossible et dangereux pour eux, en raison de leur vulnérabilité aux maladies. Pourtant quelques informations ont pu être recueillies par l’État, des chercheurs, ainsi que par des ONG.
Selon le Ministère de la Culture, les Mashco-Piro sont liés au peuple Yine, historiquement installé dans les bassins des rivières Manu et Urubamba. D’ailleurs, on sait que les Mashco-Piro parlent encore une variante de la langue Yine[3].
Leur histoire tragique commence dans les années 1880, lors du « Boom du caoutchouc », une période d’exploitation intensive du caoutchouc en Amazonie. Selon Survival International, les barons du caoutchouc ont envahi leur territoire, les ont réduits en esclavage et les ont dépossédés de leur foyer[4].
L’anthropologue péruvienne Beatriz Huertos Castillo explique que cette répression a poussé une partie des Mashco-Piro à s’isoler dans des régions reculées pour échapper aux violences[5].
Aujourd’hui, les vestiges du passé refont surface, alors que les Mashco-Piro voient leurs terres envahies par l’exploitation forestière, accompagnée du bruit incessant des tronçonneuses.
Une réponse frivole et apathique de l’État
Depuis leur isolement volontaire, les Mashco-Piro ont subi des persécutions répétées de la part de narcotrafiquants et de bûcherons clandestins qui occupent leur territoire.
Pour les protéger, le gouvernement péruvien a créé plusieurs réserves naturelles, comme la Réserve Indigène Mashco-Piro en 1997 et la Réserve Territoriale de Madre de Dios en 2002.
Toutefois, ces initiatives ont été critiquées par des organisations de défense des droits indigènes telles que la FENAMAD, ainsi que par des médias internationaux comme The Washington Post. En effet, ces réserves ne couvrent qu'une partie limitée du véritable territoire des Mashco-Piro, laissant une grande portion de leurs terres non protégées par l’État et concédée ensuite à l’entreprise forestière Canales Tahuamanu, qui exploite 50 000 hectares à proximité de la réserve.
En 2016, la Commission Multisectorielle de l’État péruvien a approuvé l’extension de la réserve Madre de Dios pour protéger l’intégralité du territoire des Mashco-Piro.
Cependant, cette mesure n’a pas encore été appliquée par décret en raison de conflits liés aux concessions forestières.
Pendant ce temps, selon le leader indigène Julio Cusurichi, « des routes illégales ont été construites dans la zone prévue pour l’extension de la réserve pour l’extraction du bois, causant des dommages irréversibles aux moyens de subsistance des Mashco-Piro et entraînant de graves violations de leurs droits ».
Réponse récente du Ministère de la Culture au Pérou
Suite aux récentes observations de membres des Mashco-Piro en dehors de leur territoire, le Ministère de la Culture (MinCul) du Pérou a annoncé le 26 juin 2024 avoir activé son protocole d’intervention.
Sur son compte X, il a publié : « « Suite à l'activation des protocoles d'action en cas de découverte, d'observation ou de contact avec des peuples indigènes isolés et de premier contact, le ministère de la Culture assure la protection et et garantit depuis le 26 juin le bien-être des membres du peuple indigène Mascho Piro isolé ».
L’institution a ajouté : « Le ministère de la culture a assuré [..] la mise en œuvre des actions nécessaires pour garantir la protection et les droits des familles [..] du peuple indigène Mashco Piro en situation d'isolement ».
Cette réponse a cependant été jugée insuffisante par la journaliste Daniela Valdivia Blume du portail Infobae, qui souligne que « bien que le MinCul ait réaffirmé son objectif de prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les droits et la sécurité de ces communautés vulnérables, ainsi que ceux des habitants vivant près de la Réserve Territoriale Madre de Dios (RTMDD), la protection effective reste une préoccupation ».
En effet, elle informe que « le poste de contrôle de cette réserve, qui couvre environ 800 000 hectares, ne compte qu'un seul agent chargé de cette tâche pour ces communautés », ce qui est jugé largement insuffisant[6].
Perspectives d'avenir pour les Mashco-Piro
Malgré les efforts de certaines ONG et l’établissement de dialogues entre groupes indigènes et l’État, des changements significatifs dans la situation des Mashco-Piro semblent difficiles à prévoir dans un avenir proche.
D’une part, le nouveau président du Congrès, Eduardo Salhuana du groupe politique Alianza para el Progreso, a des liens étroits avec des groupes associés à l’exploitation minière illégale et à la déforestation. Il est accusé de favoriser ces groupes à travers ses propositions de loi et a récemment admis en conférence de presse avoir défendu un homme condamné pour trafic illicite de drogue à Madre de Dios.
D’autre part, la relation entre le gouvernement et les groupes indigènes semble très compliquée. Il y a quelques mois, le Ministre de l’Éducation Morgan Quero a qualifié les agressions sexuelles à l’égard des filles de la communauté Amazonienne Awajún de « pratiques culturelles », des affirmations soutenues par la Ministre de la Femme et des Populations Vulnérables, Ángela Hernández. Ces déclarations ont été condamnés par de nombreux leaders indigènes, des ONG, ainsi que par une partie de la communauté internationale.
Le sujet des droits des peuples indigènes et leur relation avec ces groupes ne semble pas être une priorité ni un point fort du gouvernement péruvien actuel, et le pouvoir législatif ne semble pas être dans une posture différente. Le statu quo du Congrès ne laisse pas entrevoir de réels progrès dans la lutte contre l’exploitation minière et la déforestation illégale sur les territoires indigènes.
[1]Survival International. (24 février 2016). Amazonie péruvienne : des milliers de barils de pétrole se déversent dans les rivières de communautés indigènes.
[2] Cusurichi, J. (16 août 2024). Los Mashco Piro en peligro: La urgente necesidad de proteger a los pueblos aislados en la Amazonía. INFOBAE.
[3] Ministerio de Cultura. (n.d.). Base de datos de pueblos originarios indígenas: Mashco Piro. Recuperado de https://bdpi.cultura.gob.pe/pueblos/mashco-piro
[4] Survival International. Mashco Piro. Recuperado de : https://www.survivalinternational.fr/peuples/Mashco-Piro
[5] Huertas Castillo, B. (2002). Pueblos indígenas y conservación. IWGIA. ISBN 87-90730-57-7.
[6] Valdivia Blume, D. (2024, 4 de julio). Comunidades indígenas en aislamiento salen de su territorio por avance de actividades ilegales en Madre de Dios. Infobae.