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LE CORPS DES FEMMES – On ne nait pas objet on le devient

Les clichés de Berlusconi avec ses escorts belles, jeunes et sexy ont fait le tour du monde. Mais dans la Botte, l'ex-premier n'est pas le seul à profiter du corps féminin. Femmes nues ou occupées aux tâches ménagères, les médias inondent les Italiens d'une une vision ouvertement sexiste bien ancrée dans la société.

Ceci n'est pas une femme

Une poitrine en gros plan, le visage d'une actrice recouvert de lait ou la simulation d'une fellation sont autant d'images à caractère sexuel que les communicants italiens ne se privent plus d'utiliser pour promouvoir leurs produits. Scandalisée par ces pratiques, Laura Boldrini a affirmé dimanche 5 mai : ?Il est nécessaire de mettre des limites à l'usage du corps des femmes par la communication.? Pavé dans une marre de spots publicitaires plus sexistes les uns que les autres, les déclarations de la présidente de la Camera dei deputati ont pourtant déclenché la polémique. Ses détracteurs l'accusent de vouloir contrôler le web tandis que ses supporters se félicitent que quelqu'un s'attaque enfin au problème de la ?femme-objet?.

Comme l'a remarqué Laura Boldrini, l'Italie a depuis longtemps dépassé le stade du déodorant pour homme attisant le désir féminin ou de l'aspirateur qui facilite la vie de maman. Contrairement à la majorité des pays européens, l'anatomie féminine ? les lèvres, seins et flancs ? y est désormais utilisée pour vendre tout et surtout n'importe quoi. Laura Grimaldi qui avec ses compères du blog Un'altro genere di communicazione traque les stéréotypes, a des centaines d'exemples en tête. ?La publicité de la femme-suppositoire qui vient soigner la constipation d'une autre femme, celle-ci est incroyable? s'exclame-t-elle dans un sourire jaune. Passé l'absurde, le message qui reste est celui d'une femme réduite au statut d'objet dont chacun peut faire ce qu'il veut, avait analysé la présidente de la chambre des députés, le mois dernier.

La boite à stéréotypes

Pourtant, ?il y a trente ans, la communication était très inventive et respectueuse?, note Massimo Guastini, publicitaire milanais. Le président de l'Art Director Club Italiano, qui chaque année récompense les réclames les plus vertueuses,  explique que la publicité n'a fait que suivre l'évolution de la télévision italienne. ?Dans n'importe quel jeu télévisé, lorsqu'une candidate est présentée, la caméra fait un mouvement de bas en haut, en s'arrêtant un instant au niveau du bassin, et on ne lui donne pas la parole?, décrit Massimo. ?Pour un candidat, la caméra fait directement un gros plan sur son visage et lui laisse l'opportunité de dire quelques mots?, poursuit-il.

La femme n'a pas besoin d'être spirituelle, son apparence suffit. En témoigne les chiffres recueillis en 2009 par l'association Corrente Rosa. Le beau sexe est convié sur un plateau à 31, 4% pour discuter de mode contre seulement 4,8% pour la politique et 2% pour le monde professionnel. Ces protagonistes-type au champ de compétences limité, sont de plus rarement ridées puisque seules 4,8% d'entre elles sont âgées.


Non ma fille tu ne vieilliras pas

La télévision étant la principale source d'information dans la péninsule, ces clichés prennent des allures de réalité. Les annonceurs n'hésitent plus à écrire ?recherche personne, max. 29 ans, belle présence?. Or d'après les bloggeuses d'Un'altro genere di communicazione, ces exigences ne sont destinées qu'à la gente féminine. Il suffit de jeter un ?il dans les rayons de pharmacie qui proposent soins antivieillissement, pilules régénératrices et crèmes raffermissantes, pour s'assurer que la dictature de la jeune veline* a gagné.

Ce culte de la personne désirable commence dès le plus jeune âge. En ce moment le web italien s'affole en effet de la dernière campagne Sisley enfant. Des petites filles y posent comme des mannequins parfois de façon provocante. ?Pendant les shootings, les photographes n'hésitent pas à demander un ?regard de sexe? aux modèles, je ne veux pas savoir ce qu'on a demandé à ces fillettes?, commente éc?urée Laura Grimaldi. Quel que soit la réponse, le résultat est là : à 10 ans leur apparence respecte déjà les canons médiatiques.

Silence radio

Alors que les médias vont toujours plus loin, la classe dirigeante ne réagit pas. Massimo Guastini par le biais de l'Art Director Club Italiano a de fait adressé à la ministre de l'égalité des chances, Josefa Idem, une pétition pour arrêter la publicité sexiste. Réaliste, ce dernier n'attend pas de mesures concrètes  ?mais au moins qu'on en parle?, car à ce sujet même la population reste muette.

?Lorsque je dis que je suis féministe on me regarde comme quelque chose qui tient de l'objet vintage et de l'hystérique?, constate Laura Grimaldi dont les moqueries ne font que renforcer l'engagement. Cela peut sembler paradoxal, mais peu de femmes italiennes ressentent le besoin de s'insurger. Giulia, interrompue dans son shopping dominical, affirme par exemple : ?ce n'est pas parce que tel programme ou spot me dit d'être belle, bête et docile que ça deviendra mon objectif. J'ai d'autres armes pour réussir?. Si le poids de l'apparence ne pèse pas sur les épaules de cette jolie brune, le futur s'annonce moins rose pour ses compatriotes au physique plus ingrat. ?La femme idéale c'est une belle blonde?, affirme Mimmo interrogé dans la rue, tandis que pour Vito sa place est à la maison. Femme au foyer ou femme-objet, une autre voie est-elle possible ? En Italie la question est plus que jamais d'actualité.

Hélène PILLON (www.lepetitjournal.com/rome) ? Jeudi 20 juin 2013

* Inventée dans les années 1980 pour l'émission  Striscia la notizia (canale 5), la veline est une jeune fille légèrement vêtue et aguicheuse qui agrémente les shows télévisés populaires en Italie. 

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