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Yann Martres "L'AFD contribue à l'engagement de la France en faveur du développement"

Yann Martres Directeur de l'AFD en Indonésie Yann Martres Directeur de l'AFD en Indonésie
Yann Martres Directeur de l'AFD en Indonésie
Écrit par Valerie Pivon & Marie Pinot Liebert
Publié le 1 mai 2023, mis à jour le 15 juin 2023

Installée en Indonésie depuis 15 ans, l’Agence Française du Développement est un établissement public, actif dans 115 pays, qui contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. Nous avons rencontré Yann Martres, son nouveau directeur, qui nous éclaire sur le rôle de l’agence dans l’archipel indonésien et sur son fonctionnement. 

 

En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?

Je suis un pur produit de l’AFD. J’ai commencé ma carrière, comme beaucoup, par le service civil que j’ai réalisé en Guyane il y a 30 ans. Puis j’ai occupé différents postes, par rotation entre Paris et le réseau international, principalement dans les opérations. J’ai été affecté en outre-mer, en Martinique, à la Réunion et en Polynésie, mais aussi à l’étranger, à Madagascar, au Vietnam et en Chine. Je suis arrivé en Indonésie en septembre dernier.

Le rôle principal de l‘Agence Française du Développement ?

L’AFD a pour rôle de monter et financer des projets de développement et d’investissement pour accompagner des politiques publiques favorisant les biens communs (climat, environnement, etc.) et les objectifs de développement durable, constitutifs de la politique française d’aide au développement. Nous sommes un des acteurs de ce changement, en accompagnant par exemple le développement des énergies renouvelables, la réforme des outils industriels et la transformation du système économique vers un modèle moins carboné.

 

Nous incarnons sur le terrain des projets réels en lien avec les politiques qui sont défendues par la France sur le plan international comme la lutte contre le changement climatique, le développement urbain résilient, ou la promotion de systèmes financiers sains qui soutiennent la transition énergétique. Quand la France défend des positions dans une conférence internationale, une COP par exemple, nous sommes dans la continuité de ces engagements. L’AFD est l’un des acteurs qui contribue à incarner concrètement ces positions. 

Lors du G20 à Bali, le programme « Just Energy Transition Partnership, » a été lancé afin d’aider l'Indonésie à planifier et à mettre en œuvre sa transition pour réduire ses émissions de carbone. Pouvez-vous nous en dire plus ?

L'Indonésie est engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique depuis la COP21 de Paris et ses engagements sont de plus en plus forts. En prenant la présidence du G20 en 2022 et de l’ASEAN cette année, le pays est mis en lumière ce qui implique aussi de nouvelles responsabilités. Toutefois, l’Indonésie est dans un contexte très particulier en tant que producteur et exportateur de charbon. Des efforts sont évidemment à faire sur ce sujet pour avoir une empreinte sur le climat qui soit moins forte. Le processus sera long mais cet accord marque le début d'une dynamique positive, qui sollicite tout l'écosystème, institutions, entreprises et consommateurs, à poursuivre sa croissance en utilisant moins d’énergies fossiles. Ce G20 a été particulièrement important car il donne de l'exposition à l’archipel et, on l'espère, va permettre d'accélérer les décisions et les investissements. 

 

L’objectif annoncé est de produire 25% de la production du pays en énergies renouvelables en 2025. La production actuelle est de 14 %. Que pensez-vous du timing annoncé ? 

Il est toujours préférable d’avoir des ambitions élevées. Cela permet d'enclencher le mouvement, de l'accélérer, voire de l'amplifier. A l’AFD, nous sommes dans l'encouragement, le soutien, nous sommes là pour apporter des financements et des supports en termes d’innovations et d’assistance technique. Nous apportons formation et support avec les financements.

 

Dans notre métier, la notion de temporalité est importante, il faut être patient.

Il faut certes une dynamique politique et que les gouvernants soient convaincus du bien-fondé de ces changements. Il ne faut pas oublier le consommateur et le citoyen, ce que nous proposons doit être compatible avec la vie réelle. Il y a des souhaits qui peuvent être idéalistes mais il faut aussi prendre en compte la réalité des choses. Un point important également pour atteindre les objectifs de développement durable est de développer un secteur bancaire vert c’est-à-dire qui investit dans des projets soutenables pour l’environnement et le climat. 

Quels sont les principaux enjeux rencontrés en Indonésie ?

L'Indonésie est le plus grand archipel au monde. En tant que français, nous avons une affinité avec le monde océanique, la France avec les régions d’outre-mer dispose d’un territoire marin allant du Pacifique à l’Atlantique, avec des écosystèmes comparables et des problématiques identiques, comme la préservation de ces ressources fragiles, la navigation, la pêche, l’accès à l’eau, l'assainissement, la pollution plastique… L’intérêt pour ces sujets est croissant dans le pays. 

De nombreuses actions sont entreprises, j’ai notamment été frappé par les nombreuses initiatives prises, par exemple à Bali, pour lutter contre la pollution plastique, comme l’installation de balises pour surveiller les courants marins et les mouvements de masse de plastiques. Les bateaux dépollueurs viennent aussi de commencer leur action. Nous assistons à une prise de conscience et au début de réels changements sur ce sujet préoccupant. 

 

L’Indonésie est le troisième pays au monde qui a le plus de trait de côte au monde, on peut espérer qu'un jour il devienne leader sur ce sujet et partage ses pratiques avec le monde entier.


Quels sont les projets actuels en Indonésie ?

Nous avons des projets dans les énergies renouvelables, essentiellement avec la société nationale PLN (Perusahaan Listrik Negara), dans le développement de l'éolien, de l'hydroélectrique et dans l'amélioration du réseau électrique. Parallèlement aux financements des infrastructures elles-mêmes, notre rôle est également d’appuyer des réformes du cadre juridique, plus favorable au développement des investissements dans ces secteurs.

 

Le second sujet est le maintien des ressources marines, la protection et le développement des mangroves et le financement d'infrastructures portuaires pour faciliter une activité de pêche durable. Il y a six millions de pêcheurs en Indonésie, il est nécessaire de coordonner la croissance, le maintien et le développement des ressources naturelles tout en s’assurant que ce modèle soit soutenable pour l'environnement. 

 

Le développement urbain et l'accès au transport collectif notamment à Java, car il reste insuffisant, est un chantier sur lequel nous travaillons. Nous avons notamment un projet de transport collectif, le BRT, Bus Rapid Transit, à Medan et à Bandung. Nous aimerions pouvoir travailler aussi sur le transport collectif à Jakarta. L’idée serait de contribuer à la diffusion  de ces projets dans d'autres villes, notamment à Java, qui est très densément peuplée, car l’amélioration du transport a un réel impact sur le développement urbain et la qualité de l’air.

 

Enfin, nous travaillons sur la modernisation du système bancaire et financier avec l’apport de nouvelles réformes pour développer un système bancaire plus vert. Nous sommes ainsi en contact avec la banque centrale et le régulateur bancaire, pour contribuer à cette évolution verte.

Comment choisissez-vous les projets et comment les financez-vous ?

L'activité de l'AFD se décline différemment selon les pays. Il y a les “pays moins avancés” qui bénéficient surtout de subventions, et les “pays émergents”, dont l’Indonésie fait partie, à qui nous faisons des prêts. Ces prêts ne coûtent pas d’argent aux contribuables. L’AFD est un établissement bancaire qui s'autofinance et qui assume ses charges avec ses revenus. Nous allons chercher de l’argent en émettant des obligations sur le marché des capitaux et des acteurs internationaux viennent les acheter. En résumé, nous ne fonctionnons pas sur le budget de l’Etat. Nous ne devons pas perdre d’argent mais nous n’avons pas un modèle lucratif, tout est question d’équilibre, et à l’échelle mondiale nous y arrivons.

 

Notre capacité financière en Indonésie représente 300 millions d'euros de nouveaux crédits par an et plus de 3 milliards ont été engagés depuis 2008 pour le pays.

Nous sommes un bailleur significatif bien que nous restions plus petits que nos voisins allemands ou japonais.

Peut-il y avoir une préférence pour les entreprises françaises pour la mise en œuvre des projets que vous financez ? 

La France a souscrit un engagement international que l’on appelle le “déliement de l’aide”. Il est suivi par le comité d’aide au développement de l'OCDE, qui supervise, à l'échelle internationale, l'activité d'aide publique au développement. En d’autres termes, tous les appels d'offres des marchés de nos emprunteurs financés avec nos prêts doivent être ouverts et compétitifs, sans favoriser, ni défavoriser, telles ou telles entreprises, qu’elles soient françaises, indonésiennes ou autres. Notre priorité est de financer des opérations d’aide publique au développement qui correspondent à notre cahier des charges et en faisant attention que les choix soient durables. Bien entendu nous connaissons bien les entreprises françaises, et beaucoup d'entre elles sont aussi intéressées par le caractère durable des investissements financés en Indonésie.

Comment vérifie-t-on que l'argent est bien utilisé ?

Les procédures sont les mêmes dans le monde entier et visent à vérifier la bonne affectation des flux financiers. Il est évidemment très important pour nous d'être vigilants et un mauvais choix représenterait un risque pour notre réputation.

Nos processus de décisions sont longs car nous avons un système de vérification pointilleux, nous travaillons en lien très étroit avec le ministère des finances. 

En 2019, vous avez mis en place des projets pour sensibiliser la jeunesse indonésienne à la pollution plastique, à travers un concours de BD. Prévoyez-vous d’autres actions similaires ?

En plus de l’activité de financement de projets d’infrastructures et d’investissements de grande ampleur, nous participons ponctuellement à des actions culturelles, modestes, mais importantes pour contribuer à sensibiliser, éveiller les consciences, former, donner à réfléchir et faire connaître notre action et nos thèmes de préoccupation. C’était le cas du concours de BD sur la pollution plastique, mené avec plusieurs partenaires français et indonésiens, et qui a bien fonctionné.  

Dans le même esprit s’est déroulée il y a quelques mois l’initiative Think City à laquelle nous avons participé. Ce projet a pour but de soutenir les communautés du nord de Jakarta vulnérables à la montée des eaux à travers l’art. Une dizaine d'artistes de rue ont réalisé des fresques mettant en lumière les enjeux sociaux et environnementaux au nord de la ville. Cet évènement a été l’occasion d’aller à la rencontre des populations locales et de créer un moment de partage avec les artistes et les ONG sur place pour comprendre leurs besoins et leur réalité quotidienne.