Le groupe de lecture de la section française de l’IHS (Indonesian Heritage Society) s’est plongé ce mois-ci dans le livre de Johann David Wyss : « Le Robinson Suisse, Journal d’un père de famille naufragé avec ses enfants », publié pour la première fois en 1812. Cette fiction raconte l’histoire d’un couple et de ses quatre enfants qui échouent sur une île indonésienne déserte.


Un témoignage sur le rapport à la nature et les valeurs de la fin du XVIIIe siècle
« Le Robinson Suisse, Journal d’un père de famille naufragé avec ses enfants » a été publié pour la première fois en 1812. Johann David Wyss (1743-1818), pasteur bernois, écrit cette fiction entre 1794 et 1798 pour ses quatre garçons, dans un but éducatif. Il y raconte l’histoire d’un couple (sa femme est de l’aventure contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre !) et de ses quatre enfants qui échouent sur une île indonésienne déserte.
Le projet de J.D Wyss en écrivant cette fiction est avant tout didactique et s’inscrit dans les valeurs du protestantisme que sont le travail, l’autonomie morale, l’entraide et la persévérance. Il souhaite instruire ses enfants sur la manière de bien mener leur vie, leur donner des repères et leur apprendre à faire des choix éclairés. Loin du héros solitaire vivant une expérience initiatique de retour à la nature et de quête de sens, la famille Robinson débarque sur une île providentielle, à l’abri des catastrophes, où elle peut sans trop de difficultés et sans doutes existentiels reproduire les schémas civilisationnels de la fin du XVIIIe siècle. On ne s’étonnera donc pas que la famille échoue avec un kit de survie clé en main à faire pâlir un candidat de Koh-Lanta : animaux de la ferme, outillage complet, guide botanique, armes, et même du beurre, qui vont lui permettre de « dominer » la nature et d’entreprendre la conquête du territoire dans une vision colonialiste et patriarcale propre à l’époque.
Par contraste, cette lecture nous ramène inévitablement et à nos questionnements contemporains sur notre rapport au monde et à nos propres velléités de retour à la nature, quelque part entre le stage survivaliste et la retraite spirituelle. Que ferait la famille Robinson aujourd’hui ?
Initialement pas destiné à être diffusé, ce sont deux de ses fils qui vont décider de publier le livre en allemand et de l’illustrer. Mme de Montolieu, première traductrice en français, imaginera la suite et la fin des aventures en 1824, tout en modifiant les aspects moralisateurs de certains chapitres. Jules Verne se prêtera aussi à l’exercice en 1900 dans le roman Seconde Patrie.
Ce roman fut un grand succès à son époque et a inspiré beaucoup d’autres écrits et adaptations télévisuelles, y compris dans l’espace avec la série « Perdus dans l’espace » (créée en 1965, remake netflix en 2018).
L’avis du club de lecture
A la lecture du titre, certains se projettent déjà dans une histoire riche en aventures, en rebondissements et en émotions en compagnie de cette famille suisse échouée sur une île indonésienne en route vers l’Australie. Avec en tête les récits de Michel Tournier (Vendredi ou les Limbes du Pacifique), de Daniel Defoe (Robinson Crusoé) ou encore les réminiscences de téléfilms et dessins animés de notre enfance (quelque part entre les années 70 et 80 !). Mais après s’être plongées dans ce récit les avis des lectrices du club sont mitigés !
Rebutées par l’aspect répétitif des aventures, le style et les incohérences, elles n’ont pas été transportées par l’imaginaire de ce livre et n’y ont pas retrouvé de saveurs de l’Indonésie. Alors qu’on voudrait se laisser embarquer dans des aventures incroyables, l’intrigue est aussi plate qu’un lagon et les situations sont vite résolues par le père instructeur autour d’un pingouin (sic) rôti par la mère. Les relations entre les membres de cette famille manquent de piquant et d’émotions.
Après des commentaires tels que « roman Instagram, idéal pour réviser les temps du passé, vision idéalisée du colonialisme, descriptions interminables, style lourd et répétitif », on comprend que certaines ne soient pas allées au bout de leur lecture et on s’interroge sur les intentions de l’éditeur qui republie ce texte en 2022.
Unanimité en revanche sur la qualité de la préface, qui annonçait d’emblée : « Interrompre la lecture, c’est mettre fin à ce chantier, c’est devenir le responsable d’un second naufrage, définitif celui-là. En fermant le livre avant la fin du récit, on laisse à jamais Robinson sur son île, on le renvoie à une solitude éternelle ».
Chiche ?
Références :
J. D Wyss, Le Robinson Suisse, Journal d'un père de famille naufragé avec ses enfants, Édition de : Philippe Artières, Coll : Le Temps retrouvé, format poche, paru le 05/05/2022
Les Robinson suisses (Swiss Family Robinson), série télévisée canadienne réalisée par Peter Carter (26 épisodes, 1974)
Flo et les Robinson suisses, série helvético-japonaise créée par Yoshio Kuroda (50 épisodes, 1981)






