

Le magnat du milieu pharmaceutique, Jacques Servier, sera entendu par la justice concernant le scandale du Médiator. Si l'octogénaire a beaucoup de mal à reconnaître ses erreurs, c'est qu'il a construit pierre par pierre son empire, non sans créer quelques polémiques
Jacques Servier (photo AFP), président fondateur des laboratoires du même nom, est convoqué le 11 février prochain devant le tribunal de Grande Instance de Nanterre pour l'audience de conciliation au sujet du dossier du Médiator. Ce médicament normalement utilisé par les diabétiques en surcharge pondérale mais largement détourné en coupe-faim, aurait entrainé la mort par complications cardiaques de 500 à 1.000 patients. Commercialisé de 1976 à novembre 2009 en France par le groupe Servier, le benfluorex (substance générique du Médiator) a pourtant été interdit dès 1997 aux Etats-Unis et en 2005 en Europe. A cause des accusations portées par la centaine de plaignants mais également par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), Servier est accusé de "tromperie aggravée" des consommateurs de Médiator "sur la nature, l'espèce et les qualités substantielles, la composition" du médicament. Jacques Servier a une "responsabilité première et directe" dans cette affaire, affirme le ministre de la Santé, Xavier Bertrand.
Un homme discret dans la tourmente
Jacques Servier a longtemps nié les faits reprochés à son entreprise (dissimulation des risques, connivence avec l'Afssaps, ?). Il aurait même déclaré d'après Libération : "le Médiator, ce n'est que trois morts", lors de ses v?ux au personnel. La ferveur médiatique qui a suivi l'éclatement d'un scandale, pourtant dénoncé depuis une dizaine d'années par certains médecins, a obligé le groupe à reconnaître quelques torts. "Jacques Servier est très affecté par cette affaire", a assuré Mme Vincent, chargée des relations extérieures de Servier, dans le JDD, expliquant qu'il "a seulement évoqué les trois décès rapportés par la pharmacovigilance en 2009, c'est-à-dire juste avant que le médicament ne soit retiré du marché". Le discret Jacques Servier, 88 ans, n'aurait depuis plus le contrôle de la communication du groupe. Image 7, une agence parisienne renommée, a pris le relais. Jacques Servier, 9e fortune professionnelle de France d'après Challenges, peut se le permettre.
Puissant mais attaqué
Ce docteur en médecine et pharmacie, très fervent catholique et ouvertement de droite, raconte en 2007 dans son livre Le médicament et la vie qu'il s'était offert en 1954 et ce pour "trois fois rien" un petit laboratoire à Orléans. A seulement 26 ans, il bâtit son empire et mise tout sur la recherche et le développement. Se plaignant de la lourdeur administrative française, l'entrepreneur crée une fondation de recherche, reconnue d'utilité publique, ce qui lui permet de bénéficier d'allégements fiscaux. Grâce à cette stratégie, Servier devient le deuxième groupe pharmaceutique français et affiche un chiffre d'affaires de 3,6 milliards d'euros. Si ce patron un peu "vieille France" s'enorgueillit de la gestion de cette entreprise dont il détient 100% des parts, de nombreux scandales sont venus craqueler cette image idyllique. A la fin des années 1990, le groupe se fait épingler par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) pour avoir recruté des anciens militaires afin d'enquêter sur la vie privée de toutes les personnes postulant à un poste. La couleur de peau comme l'orientation sexuelle auraient été pendant longtemps des critères d'embauches déterminants. Bien avant le Médiator, autre médicament, autre scandale : en 1997 le coupe-faim Isoméride est retiré du marché et le groupe est condamné plusieurs fois par la justice.
Servier ne souffrira pas trop
La polémique du Médiator entache une nouvelle fois la réputation du groupe mais celui-ci devrait se relever sans trop de dégâts. Servier a toujours refusé de rentrer en bourse et la provenance des médicaments est souvent ignorée des patients. "Même les médecins ne savent pas qui fabrique les médicaments", relève François Deneux, directeur du pôle santé de la société de conseil Arthur D. Little. Présente dans 140 pays, l'entreprise pharmaceutique spécialisée dans la phlébologie et cardiologie vend d'ailleurs 82% de ses médicaments à l'international. L'arrêt du Médiator, qui ne représentait que 0,7% du chiffre d'affaires, ne fera pas non plus de trou dans la poche du milliardaire, ami de Nicolas Sarkozy. C'est d'ailleurs le président qui l'avait lui-même élevé en juillet 2009 au rang de grand-croix de la Légion d'honneur. Lors de la cérémonie, le chef d'Etat avait déclaré : "La nation vous est reconnaissante de ce que vous faites. Vous êtes une publicité vivante pour les médicaments Servier parce que, franchement, l'âge n'a absolument aucune prise sur vous." La justice en aura-t-elle plus ?
Damien Bouhours (www.lepetitjournal.com) mercredi 19 janvier 2011
En savoir plus
Article du Nouvel Obs, Jacques Servier : une réussite discrète, une image trouble
Article du Point, Le laboratoire Servier change de ligne de défense : "Le Mediator a pu présenter un vrai risque pour certains patients"


































