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Sandrine Ramboux et le projet "EKİP", des salades qui font du bien !

Sandrine Ramboux EKİP salades IstanbulSandrine Ramboux EKİP salades Istanbul
Les salades EKİP
Écrit par Albane Akyüz
Publié le 24 février 2021, mis à jour le 11 janvier 2024

Sandrine Ramboux est belge et habite à Istanbul depuis 14 ans. Après avoir travaillé dans le secteur privé (bancaire), elle a fondé C@rma (Care Move Act) en 2014, une plateforme destinée à mettre en lien ONGs et bénévoles. Puis, en 2016, elle a créé Jana Impact, une entreprise dont l’objet est de soutenir les femmes désavantagées en les aidant à monter un projet professionnel. Fin 2019, un nouveau projet est né, EKİP (Etkin Kadin İş Platformu - "Plateforme professionnelle de femmes actives"), qui consiste, entre autres, en la préparation et vente par des femmes turques et syriennes de repas équilibrés… Sandrine, qui nous raconte tout sur le projet EKİP, nous livre également quelques conseils sur l’entreprenariat en Turquie. 

 

EKİP Istanbul salades Sandrine Ramboux
Sandrine Ramboux

 

Des salades, une nourriture équilibrée, développée avec des nutritionnistes

Lepetitjournal.com Istanbul : Comment est né le projet EKİP ? En quoi consiste-t-il ? 

Sandrine Ramboux : En 2018, nous avons travaillé sur un projet commun avec une ONG espagnole de Tolède dans le cadre du Civil Society Exchange Program ; nous sommes allés en Espagne, puis nous nous sommes retrouvés à Berlin (réflexions communes autour d’une sorte "d'incubateur professionnel" pour femmes, quelque chose qui prendrait plus en compte leur spécificité en tant que femme, leurs horaires etc.). Ils sont venus en Turquie, où nous avons organisé tout un programme pour leur présenter notre écosystème (visites de centres, institutions etc.). À Ankara, nous avons rendu visite ensemble à la Banque mondiale, où nous avons échangé sur la stratégie de la Banque pour les prochaines années. La Banque a trouvé nos projets intéressants. Moins de 2 mois plus tard, ils ont lancé un appel d'offre, très proche de ce qu'on leur avait présenté et ce qu'on voulait faire… Nous étions trois à être shortlisté, nous avons affiné notre offre et avons remporté l’appel !

C’est la genèse d’EKİP, qui est un projet émanant de Jana, et monté sous forme de coopérative. Il a donc pu être mis en place grâce à l’obtention de ce financement de l’Union européenne (via la Banque mondiale) pour deux ans.

Si le projet devait réunir 50 personnes au départ, considérant le climat économique actuel, nous sommes environ 25 personnes à travailler sur le projet EKİP actuellement, des Syriennes et des Turques.

Pour monter le projet, nous sommes passés par une analyse poussée de marché, comprenant notamment 2 jours de brainstorming avec des employés de grosses entreprises présentes à Istanbul (telles que Coca-Cola, Unilever etc.) ; nous voulions savoir ce dont les gens ont besoin.

Nous savions que le projet se porterait sur le secteur de la "restauration" ; nous avons pensé, entre autres, au gluten free, ou encore à des petits pots (nourriture saine) pour bébés...

Nous avons finalement opté pour un système de salades, une nourriture équilibrée (développée avec des nutritionnistes). Les gens font de plus en plus de sport, ils font attention à leur alimentation. Nous avons aussi décidé de travailler sur la saisonnalité (3 salades sont pensées par saison, en plus des 4 salades au menu toute l’année).

En première ligne, nous touchons une clientèle soucieuse de sa santé, et qui comprend l’impact de la nourriture sur le style de vie, plutôt des personnes travaillant dans des entreprises des quartiers Maslak/Levent/Gayettepe. Mais désormais, nous livrons à peu près partout, sur les heures de bureau.

Entre novembre 2019 et février 2020, EKİP a commencé par l’organisation de "tastings", dont le but était d’aller faire goûter en entreprise, afin de recueillir des avis.

Avec les femmes de la coopérative, nous allions en bus, à Kanyon par exemple, avec nos salades. C’était bien sûr impressionnant pour certaines d’entre elles. Sur place, on expliquait ce que les salades contenaient, les nutriments, leurs apports, etc. Le but était de faire comprendre à nos interlocuteurs Turcs que les salades peuvent représenter un plat complet et sain, et pas juste un plat d’accompagnement.

 

Sandrine Ramboux Istanbul EKIP

 

Notre premier "client" a été la Banque mondiale à Kanyon. Puis, nous avons assuré en partie la restauration des conférences des banques Garanti et Denizbank. Garanti, par exemple, a son propre service de restauration, et nous avons pu nous coordonner avec eux, pour proposer nos salades à leur cocktail.

Nous sommes très attentifs à l’emballage, à notre bilan carbone etc.

Comment choisissez-vous vos fournisseurs ?

Les produits que nous utilisons ne sont pas bio (coût trop élevé), mais ils s’inscrivent dans ce qu’on appelle le sustainable farming. Même si ce n’est pas facile de trouver les producteurs qui puissent satisfaire à nos besoins dans la région d’Istanbul, de nombreux produits viennent de petits producteurs, et on essaye de travailler principalement avec des femmes. Par ailleurs, nous sommes très attentifs à l’emballage, à notre bilan carbone etc. On veut bien sûr éviter le plastique, mais il est vrai que la crise sanitaire n’a pas aidé…

Peu de gens ont une bonne connaissance de la structure de la coopérative

Avec EKİP, vous avez choisi le modèle de "coopérative", une forme encore trop peu connue en Turquie…

Mon associée avait beaucoup entendu parler de coopérative, mais nous avons remarqué que très peu de gens ont une bonne connaissance de la structure de la coopérative.

Le problème en Turquie c’est que la loi sur la coopérative est ancienne. Les membres du comité de direction ne peuvent pas être étrangers.

Par ailleurs, la coopérative est considérée comme une société, donc si on a la possibilité de bénéficier d’une donation, on ne peut pas la toucher…

Dans tous les cas, nous avons désormais du savoir-faire dans ce domaine, cela pourra peut-être nous aider pour plus tard.

EKİP, ce sont aussi différents projets autour du projet initial. Par exemple, nous avons un programme pour développer l’esprit d’entreprise. Aussi, depuis septembre dernier, nous avons initié la mise en place pour les femmes d’une liste de tâches administratives (c’est-à-dire, aller chercher un certificat médical, collecter des fiches de taxi pour obtenir remboursement etc.). Nous avons une réunion (progress update meeting) une fois par semaine pour faire un point, le but étant que les femmes deviennent autonomes, et polyvalentes. De plus, ces tâches leur apportent un complément de salaire.

Faire les salades, c’est bien, mais gérer un projet avec des initiatives, c’est encore mieux !

Et donc, pour leur networking, on fait en sorte qu’elles établissent des liens avec des coopératives de femmes syriennes et turques dans d’autres villes de Turquie, avec qui elles sont en contact une fois par mois.

Pour nous, cette coopérative est une famille !

La mise en place de mesures de sécurité sanitaire augmente les coûts

Comment EKİP s’est-il adapté à la crise sanitaire ?  

Notre cuisine, Maide mutfak, est dans le centre d’Istanbul près de Sisli. Nous en sommes clients et payons un loyer. En revanche, comme la cuisine n’a pas le statut de "restaurant", nous ne pouvons pas travailler avec Yemeksepeti, ce qui est dommage, car cela permettrait d’augmenter notre visibilité.

Bien sûr, comme à tous les restaurateurs, la crise sanitaire nous a fait du mal. Au printemps 2020, on a réussi à maintenir le contact en ligne avec l’équipe.

En avril on a mis en place un projet avec la plateforme de crowdfunding Fongogo (en pré-vendant des salades). Ça a bien marché, et en juin on a remis les cuisines en route.

Mais la mise en place de mesures strictes de sécurité sanitaire augmente forcément les coûts.

 Le restaurant EKİP devrait ouvrir au printemps 2021

L’ouverture d’un restaurant EKİP à Küçükçekmece était prévue au printemps 2020, mais celle-ci a été reportée en raison de la crise sanitaire, où en est ce projet actuellement ?

Nous avons un partenariat avec la mairie de Küçükçekmece [district de l’ouest d’Istanbul], dans le cadre duquel un lieu nous est fourni ; c’est un ancien café et beaucoup de travaux sont à faire pour le mettre aux normes d'un restaurant.

En février-mars 2020, nous devions installer des cuisines, mais finalement cela a été reporté et prend plus de temps que prévu, mais le restaurant devrait ouvrir au printemps 2021.

Le nom du restaurant sera en principe "Luvi" ("lumière" en hittite), et nous avons déjà décidé des menus.

Une fois le restaurant ouvert, notre cuisine de Sisli continuera ses activités, et peut-être que nous aurons aussi une antenne à Kadiköy, sur la rive asiatique.

EKİP est un projet de femmes fortes, qui veulent faire la différence

Le fait qu’EKİP emploie de nombreuses Syriennes est-il bien reçu par la clientèle turque ? 

Quand nous avons débuté EKİP, nous souhaitions un projet avec 50% de Turques, et 50% de Syriennes. Mais finalement, il y a plus de femmes syriennes dans la mesure où elles veulent rencontrer des compatriotes et travailler avec des gens comme elles, elles ont besoin d’un réseau, alors que les Turques, beaucoup moins. Par ailleurs, les mentalités peuvent être difficiles à concilier sur des projets turco-syriens communs…

 

EKİP Istanbul salades Sandrine Ramboux
Les femmes d'EKİP

 

Il est vrai que lorsqu’il y avait moins de problèmes économiques il y avait forcément moins de problèmes pour la population syrienne en Turquie.

Mais les gens avec qui on travaille sont plutôt favorables. Et nous insistons surtout sur le fait qu’EKİP est un projet de femmes fortes, qui veulent faire la différence !

C’est beaucoup de réseau et de relationnel en Turquie

Selon vous, est-ce difficile d’entreprendre en Turquie quand on est étranger ? Quels conseils donneriez-vous à ceux qui cherchent à y monter un projet (entreprise ou projet social) ?

C’est sûr que ce n’est pas facile. Surtout si on ne parle pas turc (et surtout si on se destine à de la vente de produits !).

J’ai passé beaucoup de temps à lire des textes légaux, j’ai beau parfois utiliser Google translate, je ne comprends pas tout.

Un conseil précieux : il faut avoir un bon comptable qui maîtrise bien l’anglais. Car si on peut optimiser les dépenses, cela peut faire toute la différence.

C’est beaucoup de réseau et de relationnel en Turquie. Je bois beaucoup de "thés" (sans agenda particulier), et un jour, certaines personnes s’avèrent devenir des associées. Je pense qu’il faut faire confiance aux autres, même si on ne comprend pas la langue et la culture.

Pour les personnes qui sont mariées avec des Turques ou Turcs, c’est plus facile. Mais pour les autres il faut s’assurer d’avoir le bon interlocuteur et de lui faire confiance.

Parfois, il s’agit d’un peu de négociation, et d’un peu de chance. Il y a quelques années, lorsque les Syriens ne pouvaient pas avoir de compte bancaire en Turquie, on a créé des "groupes d’épargne" avec ce que les femmes pouvaient économiser chaque mois. Puis, on a été à la Vakifbank pour leur présenter notre projet et les convaincre d’ouvrir un compte bancaire à ces femmes, et ça a marché !

Nombreux sont ceux qui me trouvent naïve, car je suis honnête et joue cartes sur table, mais c’est comme ça que l’on gagne la confiance de nos interlocuteurs. Il faut être transparent.

Néanmoins, il faut aussi faire attention au "partenariat". En Turquie, je ne suis pas sûre que le partenariat soit quelque chose de bien compris, et cela peut mener à des frustrations.

Aussi, il faut garder à l’esprit que les Turcs payent peu pour le conseil, mais payent pour le produit.

Nous sommes preneurs de bonnes volontés

Si certains de nos lecteurs souhaitent aujourd’hui faire du bénévolat à Istanbul, peuvent-ils se rapprocher de C@rma ? 

Oui ! Si c’est pour aider C@rma, nous sommes en train de réfléchir à une stratégie pour revoir notre site internet, et sommes preneurs de bonnes volontés... mais aussi pour le projet EKİP !

Pour ce qui est du bénévolat pour être mis en contact avec une ONG, il est possible de s’inscrire sur la plateforme C@rma. 

Le bénévolat est relativement mal orchestré en Turquie ; souvent les associations sont très petites, engagent peu de personnel, mais ont beaucoup de volontaires, et pour autant, on ne sait pas trop comment intégrer un volontaire, car on ne sait pas trop l’affecter qu’à une seule tâche. De plus, souvent les associations manquent d’expertise pour assurer leur visibilité.

Il faut monter davantage de projets avec des femmes

C@rma, Jana, EKİP... Trois gros projets accomplis en moins de 7 ans, quel beau bilan ! Avez-vous de nouveaux projets pour les mois ou années à venir ?

Oui bien sûr (rires) !

C’est un gros chantier, mais je souhaiterais travailler sur un projet qui réunisse les coopératives existantes, afin de leur donner plus de visibilité ; il faut travailler sur les connections entre elles, car il y a un potentiel commun.

Il faut monter davantage de projets avec des femmes. Mais surtout, avec de la visibilité sur le long terme, les projets mis en place doivent l’être pour deux ans au moins, sinon on n’en voit pas les fruits.

À noter qu'à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous organisons un panel via Zoom (en turc) le lundi 8 mars, avec pour thème : "Femmes leaders : créer un avenir égal dans le monde de la COVID-19". 

 

8 mars EKIP Sandrine Ramboux

 

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Propos recueillis par Albane Akyüz

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