La vie de Ahmeddin Çarlak communément surnommé le Tarzan de Manisa a largement inspiré le film "Manisa Tarzani" sorti en 1994, réveillant ainsi quelques consciences écologistes, notamment face aux constructions massives et à la déforestation en Turquie.
Né en 1899 à Samarra ou Bagdad en Irak (ancien Empire ottoman), Ahmeddin Çarlak est souvent considéré comme le premier environnementaliste turc. Il a vécu près de quarante ans sur le mont Sipylos (Spil Dağı, Manisa) dans les conditions les plus sommaires et en adéquation avec la nature. Avec sa longue barbe et vêtu d’un simple short, été comme hiver, la population l’a rapidement surnommé "le Tarzan de Manisa" (en référence au film "La revanche de Tarzan", sorti sur les écrans de Manisa en 1934). Lui préférait, en revanche, s’attribuer le surnom de Ahmet Bedevi (Ahmet le Bédouin). Durant toutes ses années à Manisa, il a eu pour unique but de replanter des arbres dans cette région et lui redonner alors sa verdure d’antan.
La vie du personnage mérite d’être racontée en quelques paragraphes. Turkmène, d’origine iraquienne, Ahmeddin Çarlak avait pourtant un destin tracé pour lui dès son plus jeune âge. Adolescent, il allait épouser Meral, fille d’un chef de tribu iraquien. Les fiancés n’eurent cependant à peine le temps d’organiser les noces, que la première guerre mondiale emporta le jeune Ahmeddin dans ses rangs. Il est relaté que Ahmeddin s’est retrouvé en Inde à la fin de la guerre et aurait vécu dans la jungle, pour un temps. Il aurait ensuite émigré vers l’Iran et aurait retrouvé sa fiancée d’avant-guerre, Meral.
Ayant eu écho des revendications d’indépendance de la Turquie face aux Ottomans, tous deux décidèrent de s’enfuir et rejoindre les troupes d’insurgés. Sur la route vers l’Anatolie, et alors qu’ils traversèrent les montagnes, Meral aurait glissé accidentellement dans un ravin et se serait motellement blessée. Désormais seul, Ahmeddin a néanmoins pu rejoindre les insurgés et combattre à leurs côtés sur de nombreuses batailles. Blessé, il fut récompensé pour son courage par la médaille de l’Indépendance et son fameux ruban rouge (telle que portée par Atatürk sur certaines photos officielles).
C’est immédiatement après la guerre d’Indépendance en Turquie qu’ Ahmeddin décida de s’installer à Manisa. Il y découvrit alors une région déforestée par un feu et s’entêta alors à replanter chaque arbre meurtri. Loin du village, il préféra s’isoler dans une "hutte" sur le mont Sipylos. Sa résidence de quarante années avait pour dénomination "Topkale" (le château du canon), en raison du canon situé à côté de sa hutte, qu’il tirait chaque jour pour sonner midi. Bien entendu, "Topkale" était dénuée de tout confort, seuls des journaux servaient de matelas.
Pour autant, Ahmeddin Carlak n’était pas un "sauvage" coupé du monde. Il apprenait le nouvel alphabet turc à l’école pour adultes du village (Halk mektepleri) et résidait de temps à autres dans un restaurant local où il prenait part à la vie publique. Il était également embauché par la mairie comme jardinier et occupait aussi les fonctions de pompier volontaire.
Randonneur averti et alpiniste, il gravit avec son club de nombreuses montagnes en Turquie. Ses expéditions attiraient parfois des milliers de spectacteurs curieux.
Lors d’une visite au musée Mevlana (Rumi) à Konya, on lui refusa l’entrée en raison de son apparence dévêtue. C’est alors qu’il lut à voix haute les mots de Mevlana inscrits sur la porte d’entrée "Viens, viens, viens ... qui que tu sois, viens...". Il put alors accéder au musée sans autre contestation…
Suite au décès tragique de Meral, Ahmeddin ne s’est jamais marié. Malgré de nombreuses lettres d’admiratrices déclarant leur amour, il aura vécu seul jusqu’à ses derniers jours.
Le 31 mai 1963, le Tarzan de Manisa succombe à l’âge de 64 ans à une crise cardiaque. Malgré sa volonté d’être enterré à sa hutte "Topkale", Ahmeddin fut enterré au nouveau cimetière de la ville. Vous pouvez d’ailleurs visiter sa tombe sur laquelle sont inscrits ses deux surnoms "Le Tarzan de Manisa" et "Ahmet le Bédouin".
Malgré son départ, la ville de Manisa continue de raviver sa mémoire et honorer son nom. La semaine de l’environnement à Manisa s’intitule "Manisa Tarzanı Çevre Günleri Haftası" durant laquelle des récompenses "Tarzan" sont attribuées. Une école maternelle porte également son nom "Manisa Tarzanı Ahmet Bedevi İlkokulu" ainsi qu’un boulevard de la ville "Tarzan Bulvarı". En hommage à ses combats environnementaux, une voiture fonctionnant à l’énergie solaire développée par des étudiants de l’université de Manisa fut baptisée "le Tarzan de Manisa" en 2012. Les supporteurs du club de foot local se surnomment d’ailleurs "les Tarzans".
Et si d’aventure, vous passez par Manisa, vous verrez peut-être une statue grandeur nature du Tarzan de Manisa érigée au sein du Parc Fatih.
D’autres tributs sont encore payés à Ahmeddin, à travers de nombreux livres et notamment un film en particulier sorti en 1994 (cité en début d’article). Si vous souhaitez en apprendre davantage sur la vie du Tarzan de Manisa, le film reconstitue sa biographie de manière romancée.
On peut toutefois s’accorder sur le fait que quoi qu’il en soit, la vie du véritable personnage semble tout droit sortie de l’imaginaire romanesque…