L’Orient-Express, un rêve sur rail, un voyage dans le luxe et l’histoire sur les traces de personnages, de romans et de films mythiques… Oui, mais à quel prix ?
Et c’est là que le rêve prend fin avant même de commencer car il faut bien se rendre à l’évidence : ce voyage n’est pas pour toutes les bourses. En effet, il s’agit d’un voyage qui nécessite un budget, certes variable, mais toujours conséquent.
Pour un trajet de 2 jours et une nuit, le budget ne sera "que" de 3 500 euros par personne. Cependant, si vous trouvez le voyage un peu trop court, prévoyez alors 5 200 euros pour 5 jours et 3 nuits. Enfin, ne soyons pas regardant et envisageons de parcourir l’ensemble du trajet... mais là, il faut s’attendre à une note de plus de 17 000 euros.
Mais oublions maintenant ces considérations bassement matérielles pour entrer à nouveau dans le rêve… Ne dit-on pas "Quand on aime, on ne compte pas".
Les origines de l'Orient-Express
En 1869, l’industriel Georges Nagelmackers visite les Etats-Unis d’Amérique à bord des wagons inventés par l'industriel George Pullman, créateur des voitures-lits. Séduit par le confort de ces voitures, il fonde, en 1874, la Compagnie internationale des wagons-lits qui dès 1876, prend le nouveau nom de Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens. Grâce à un accord de libre circulation des voitures-lits entre Paris et Vienne puis entre Vienne et Ostrava en Tchéquie, l’aventure ferroviaire transeuropéenne peut commencer.
1882 voit la naissance du premier service de train de luxe reliant Paris à Vienne, villes distantes de 1350 kilomètres en un peu moins de 28 heures.
4 octobre 1883 : voyage inaugural du Train Express d’Orient
En cette journée du jeudi 4 octobre 1883, journalistes, écrivains et personnalités politiques se pressent sur les quais de la gare de Strasbourg (aujourd’hui gare de l’Est à Paris) pour assister au voyage inaugural d’un train exceptionnel composé de voitures-lits et de voitures-restaurants baptisé "l’Express d’Orient".
Mais quoi de mieux que le témoignage de ceux qui ont participé à cet événement pour décrire ce que fut ce voyage inaugural.
Dans l’édition du Figaro du 20 octobre 1883, l’envoyé spécial Georges Boyer décrit avec enthousiasme ce premier voyage "En 76 heures au lieu de 111 comme autrefois, nous avons accompli le trajet de Paris à Constantinople et cela sans la plus légère fatigue, dans des conditions de confort absolu."
De son côté, Henri Opper de Blowitz, correspondant au Times à Paris écrit : "Les nappes et serviettes d'un blanc éclatant pliées avec art et coquetterie par les sommeliers, les verres scintillants, le vin rouge rubis et blanc topaze, les carafes à eau cristallines et les capsules d'argent des bouteilles de champagne, aveuglent les yeux des publics à l'intérieur comme à l'extérieur", et aussi : "Il faut le dire, pendant tout le trajet de Paris à Bucarest, les menus rivalisent de variété et de sophistication, même s'ils sont préparés dans la cuisine microscopique à une extrémité du wagon-restaurant."
Pour exemple, voici le menu servi le soir du 17 avril 1884 :
Potage aux perles du Japon
Poissons
Pommes à l’anglaise
Filet de bœuf Jardinière
Poulet du Haut du Crethlin
Chou-fleur au gratin
Crème chocolat
Desserts
Et celui "beaucoup plus léger" du repas de midi du 2 juin 1925 :
Filets de sole meunière
Poularde Mascotte
Haricots verts
Jambon et rosbif à la gelée
Salade Romaine
Crème Lutetia
Desserts
Il est évident que les ingrédients destinés à la confection des repas ne sont pas tous stockés à bord et le Chef-cuisinier profite des escales pour se procurer les produits indispensables aux 200 repas journaliers qui s’inspirent si possible de la cuisine représentative des pays traversés.
Il est important de préciser que ce premier voyage en train à destination de Constantinople traverse l’Europe jour et nuit jusqu’à Bucarest puis les passagers empruntent ensuite un autre train jusqu’en Bulgarie. Enfin, un navire les conduit en 14 heures à destination, par la mer Noire puis le Bosphore.
À partir de 1889, la ligne directe est achevée et Constantinople devient alors le terminus majestueux de l’Express d’Orient, synonyme de luxe, de romance et d’aventure… Et des aventures, il y en aura !
Les nombreuses aventures de l'Orient-Express
Officiellement rebaptisé l'Orient-Express en 1891, il est attaqué par des pillards qui dérobent 120 000 livres sterling après avoir pris en otage cinq passagers.
L'année d'après, le train est mis en quarantaine en raison d'une épidémie de choléra survenue à bord.
En raison de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France le 3 août 1914, la ligne est interrompue immédiatement. Faut-il rappeler que l'armistice entre la France et l'Allemagne est signé à Rethondes, le 11 novembre 1918, dans une voiture de l'Orient-Express réquisitionnée par le Maréchal Foch ?
En 1929, le train est bloqué par la neige en Turquie et il faudra attendre 5 jours pour qu’il puisse reprendre sa route. Afin d’être toujours de première fraîcheur, les provisions étant faites dans chaque gare, cet arrêt inopiné provoquera une pénurie alimentaire qui obligera, dit-on, les passagers à chasser et manger des loups pour survivre... Cela reste cependant à vérifier. Cette mésaventure aura pour effet d’inspirer Agatha Christie qui publiera en 1934 le célèbre roman : Le crime de l’Orient-Express.
Et pour clore cette triste série, rappelons-nous l’attentat perpétré contre l’Orient-Express, en Hongrie le 12 septembre 1931 sur le pont de Biatorbagy dont le terrible bilan de 22 morts marque à jamais l’histoire de ce merveilleux train. Joséphine Baker qui se trouvait à bord du train dans la voiture n° 3309, seul wagon épargné, échappera miraculeusement à la mort.
Mais revenons à de plus agréables informations.
La construction du Pera Palace en 1892
Soucieuse d’apporter à ses clients le même luxe à destination que durant le voyage, la Compagnie des wagons-lits crée à Constantinople, dès 1892, plusieurs hôtels de luxe dont le Pera Palace, conçu par l'architecte franco-turc Alexandre Vallaury.
En 1898, un dîner de gala y est organisé pour marquer le vingt-cinquième anniversaire des wagons-lits.
Le voyage en Orient-Express devient incontournable
En 1911 l'Express d'Orient prend officiellement le nom d’Orient-Express et devient le train où tout personnage célèbre se doit d’être vu.
Au fil des années, on peut y voir Léon Trotski, T.E. Lawrence (Lawrence d'Arabie), Albert Einstein, Sigmund Freud, le roi Ferdinand de Bulgarie, l’écrivain russe Léon Tolstoï, l’actrice américaine Marlène Dietrich, le fondateur du scoutisme, Robert Baden-Powell ainsi que d’autres voyageurs aux identités plus secrètes tels que le marchand d’armes Basil Zaharoff, la célèbre espionne Mata Hari et Agatha Christie dont le roman "Le crime de l’Orient-Express" a largement contribué à la popularité de ce merveilleux service ferroviaire.
L’Art au service du confort
Plébiscité lors de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels de 1925, c’est l’artiste-décorateur René Prou qui est chargé de la conception du décor de six voitures, entre 1926 et 1929.
Mettant à l’honneur le style Art Déco, il est à l’origine de ce qui sera baptisé, par la suite, le "style Orient-Express", alliance de marqueteries d’essences rares et de nacre, de fleurs stylisées, d’appliques de bronze, de sièges recouverts de velours et d’épais tapis-moquette.
Célèbre dès sa création en 1888 la société française Lalique, fondée par le maître verrier-joailler René Lalique, fabrique et commercialise des pièces dans les domaines aussi variés que les bijoux, les flacons pour parfums, les objets décoratifs, les pièces d’art et la décoration d’intérieur.
En 1920, René Lalique, premier à sculpter le verre dans de grandes réalisations monumentales, se trouve alors en charge de réaliser des luminaires et des panneaux qui ornent et délimitent les compartiments.
Est-il nécessaire de préciser que toutes les voitures-lits sont équipées de l’eau chaude, du chauffage central et de l’éclairage au gaz.
Dans les cabines les plus ‘’modestes’’, les deux couchages sont garnis de draps damassés, des peignoirs siglés du sceau de la compagnie sont mis à la disposition des voyageurs et le cabinet de toilette est équipé d’une armoire intégrée dans la boiserie.
Des suites composées d’un salon et d’une grande chambre avec lit matrimonial sont mises à disposition des voyageurs disposant d’un budget plus conséquent. Pour satisfaire cette clientèle plus exigeante, les matériaux les plus nobles sont utilisés : draps de soie, couverts en argent massif, coupe et flaconnage en cristal, sanitaires en marbre…
Arrivés presqu’au terme de ce voyage de rêve, il est difficile de résister au plaisir d’un dernier descriptif de quelques voitures mythiques comme :
Le salon "Flèche d’or", décoré de ses célèbres panneaux de femmes réalisés par René Lalique, en pâte de verre bleutée dans des boiseries d’acajou de Cuba, qui sera d’ailleurs rebaptisé "voiture Lalique".
La voiture restaurant "Le Train bleu" offre un décor de bouquets de fleurs incrustés sur fond d’argent dans des boiseries de platane. Le bar est en acajou et les fauteuils sont tendus de cuir moelleux.
Quant à la voiture-restaurant "Anatolie", de magnifiques marqueteries réalisées par Albert Dunn, qui a déjà travaillé à la décoration du paquebot Le Titanic, font foisonner des guirlandes de fleurs en bois de violette, de rose, de platane, de citronnier et d’ébène de Macassar.
Cette fois, le voyage est terminé et il faut se résoudre à descendre. Un rêve s’achève mais, Istanbul, vibrante, bruissante, odorante, envoutante, ville aux multiples noms et aux mille facettes vous ouvre les portes d’un nouveau rêve.
Il ne tient qu’à vous d’y pénétrer. Bon voyage !