Dans les rues d’Istanbul comme sur les hauteurs de Rize, les verres tulipes tintent, les samovars fument et le thé circule de main en main. Derrière ce rituel chaleureux se cache une histoire bien plus récente qu’on ne l’imagine.


Aux origines du thé en Turquie : une tradition plus récente qu’on ne le croit
Tout le monde connaît le célèbre verre de thé turc, que l’on vous propose à toute occasion, que ce soit dans les maisons ou les boutiques traditionnelles. On s’imagine ainsi qu’il a toujours fait partie de la culture locale. Pourtant, la coutume de boire du thé est relativement récente. Les Ottomans consommaient du sirop de fruits, des infusions de plantes et surtout, le mythique café, leur boisson fétiche depuis le XVIe siècle, qu’ils ont ensuite fait connaître en Europe.

Alors, comment le thé est-il devenu la boisson emblématique de la Turquie ?
L’idée de cultiver le thé avait déjà émergé à l’époque du sultan Abdülhamid II, suite à des études sur ses vertus thérapeutiques, mais une tentative d’acclimatation à Bursa s’était soldée par un échec car le climat de la ville ne convenait pas. En effet, le thé nécessite un climat chaud et humide, dont la température moyenne annuelle est supérieure à 14 degrés et dont les pluies régulières permettent de maintenir dans l’air 70% d’humidité. Il a aussi besoin de terrains en terrasses aux sols bien drainés.

Suite à la Première Guerre mondiale, la perte par les Ottomans des territoires où l’on produisait le café et la nécessité de trouver des sources de travail pour la zone de la Mer Noire de l’Est, dépeuplée par l’exode rural, poussèrent les économistes à tenter d’implanter la culture du thé en Turquie. Une délégation conduite par le directeur de l’Ecole Supérieure d’agriculture de Halkalı, Ali Rıza Erten, se rendit à Batoumi, en Géorgie, où se trouvaient de nombreuses plantations, et rédigea un rapport établissant que le climat de la région de Rize présentait des conditions analogues. Retardé à cause de la guerre, le projet prit enfin corps en 1924, lorsqu’une loi décida de développer à Rize et Borçka, les cultures du thé, des agrumes et des noisettes. Un ingénieur en agriculture, Zihni Derin, réalisa de fructueux premiers essais à Borçka et de petites exploitations et ateliers virent le jour.

On importa alors vingt tonnes de semences et l’on parvint à obtenir, en 1938, la première récolte de thé turc ; la même année, une nouvelle loi accorda des aides aux futurs exploitants pour acquérir des terres. Il fallut cependant attendre 1947 pour que les machines industrielles commandées en Angleterre avant la guerre n’arrivent en Turquie et permettent de sortir de passer du stade artisanal à la création d’une usine à Rize. Sur ces entrefaites, dans les années 1950, le prix du café importé étant devenu inaccessible aux classes moyennes, l’incontournable cérémonial du café turc que l’on offrait aux invités fut supplanté par celui du thé. Ce fut ainsi que les Turcs devinrent peu à peu les premiers consommateurs de thé au monde, avec 3.7 kilos annuels par habitant depuis 2016, ce qui correspond à huit ou dix verres quotidiens.

Comment se passe la culture du thé ?
Il s’agit d’un travail de longue haleine, s’étendant sur toute l’année : taille de novembre à mars et binage des racines ; fertilisation de la terre par des engrais en avril puis nettoyage des mauvaises herbes ; enfin, récolte à la main, de mai à octobre. Aujourd’hui, les théiers de la Mer noire et leurs merveilleux paysages s’étendent sur 800 hectares, d’Ordu à Şavşat, avec deux-cent-mille exploitations, et la Turquie est devenue le quatrième ou cinquième producteur mondial, selon les années. De nombreuses publications ne cessent d’ailleurs de vanter les vertus du thé turc : renforcer l’immunité, lutter contre les cellules cancéreuses, améliorer la digestion, éviter la dépression, diminuer les crises cardiaques ou tout simplement, rendre heureux !

Quant à la préparation du thé, elle obéit à un rite : le thé turc est un thé noir coupé en fins morceaux que l’on fait infuser longuement, pour lui faire atteindre la couleur idéale, dénommée « Sang de lapin », et un goût frôlant l’amertume ; on le prépare dans un samovar ou, plus simplement, dans la fameuse théière à deux étages, dont l’eau toujours bouillante de l’étage inférieur permet de tenir chaud le thé infusé mais aussi d’en doser l’intensité et de le rallonger jusqu’à épuisement.


Et même si aujourd’hui de nombreux endroits à la mode le proposent dans une tasse, la tradition veut qu’il soit bu dans un verre en forme de tulipe, dit « à taille mince », souvent surnommé « le verre Ajda », par référence à la célèbre chanteuse turque Ajda Pekkan, dont la légende prétend qu’il aurait imité le buste.

Pour conclure, le thé turc est bien plus qu’une simple boisson. Il constitue un élément essentiel de la socialisation dans le pays et le symbole de l’hospitalité. C’est pourquoi la culture du thé en Turquie a été inscrite, en 2022, sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO…
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