Des salles de classe aux hôpitaux, en passant par les applications mobiles, l’intelligence artificielle s’intègre peu à peu aux gestes du quotidien. Elle transforme en profondeur les usages, les services et peut-être même, sans qu’on y prenne garde, notre rapport au monde.


L’intelligence artificielle s’installe dans la vie quotidienne en Turquie
Dans certains hôpitaux d’Istanbul, les caméras ne se contentent plus d’enregistrer : elles signalent. Grâce à l’intelligence artificielle, elles détectent en temps réel des comportements anormaux, préviennent les chutes ou alertent le personnel en cas d’incident. À l’image de ce système récemment déployé dans plusieurs établissements privés, l’IA s’invite peu à peu dans le champ médical, en particulier dans le traitement de données ou l’analyse d’imageries.
"Près de 7 personnes sur 10 approuvent l’usage de l’IA pour les diagnostics et traitements médicaux" - Rapport Ipsos 2024
Loin des annonces spectaculaires, c’est dans le détail que la transformation s’opère. L’intelligence artificielle s’intègre aux outils, accompagne les gestes, structure les interfaces, sans toujours se faire remarquer. Dans l’enseignement, certaines plateformes de cours en ligne proposent désormais des traductions automatiques ou des contenus adaptés au profil de l’élève. Une évolution encore marginale, portée surtout par le secteur privé, mais révélatrice d’un basculement à l’œuvre.
Dans l’espace urbain aussi, les premières expérimentations apparaissent. À Istanbul, certaines zones testent l’ajustement automatique de l’éclairage public en fonction du passage des piétons ou de l’heure. D’autres intègrent des capteurs ou algorithmes pour fluidifier la circulation aux heures de pointe. Des expérimentations ponctuelles qui dessinent en filigrane les contours d’une ville en transition.
Hors des grands équipements, l’intelligence artificielle façonne aussi les usages les plus anodins. Un filtre sur Instagram, une notification ciblée, une application de santé connectée : autant d’interfaces propulsées par des modèles d’IA. Elles trient, suggèrent, corrigent, organisent. Et cette évolution, si silencieuse soit-elle, redessine déjà les contours de nos gestes les plus ordinaires.
Un écosystème technologique en pleine ébullition
Dans les incubateurs d’Istanbul ou d’Izmir, les jeunes pousses qui misent sur l’intelligence artificielle sont de plus en plus nombreuses. Applications de santé prédictive, analyse de données, automatisation des processus RH : les usages se diversifient, portés par une génération d’entrepreneurs pragmatiques.
Des entreprises comme ResultLab, Playpik Software ou Inovasyon Mühendislik développent des solutions basées sur l’IA, en lien avec la santé, la cybersécurité ou l’optimisation logistique. Ces structures, encore peu visibles à l’échelle internationale, témoignent pourtant d’un écosystème en mouvement.
Côté institutions, la Turquie s’est dotée dès 2021 d’une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, pilotée par le ministère de l’Industrie et de la Technologie et le Bureau de la transformation numérique. À l’époque, l’objectif affiché était de porter la contribution de l’IA à 5 % du PIB et de créer 50.000 emplois spécialisés d’ici 2025. Un cap ambitieux, dont les résultats restent à mesurer en ce début d’année.
Dans les universités aussi, les formations se structurent. Plusieurs établissements à Istanbul, Ankara ou Izmir proposent désormais des cursus dédiés à l’intelligence artificielle, à la science des données ou à l’apprentissage automatique. Une dynamique portée par des profils techniques et de jeunes diplômés en reconversion, signe d’un intérêt croissant et transversal pour ces nouvelles compétences.
"L’IA est approuvée comme outil d’enseignement – sauf en France" - Rapport Ipsos 2024 - France 10 % vs Turquie 39 % favorable à l'enseignement avec l'IA
Sans prétendre concurrencer les grands pôles mondiaux de l’innovation, la Turquie poursuit sa trajectoire. Un développement technologique porté par ses priorités, ses contraintes et un tissu d’acteurs locaux attentifs aux opportunités de l’intelligence artificielle.
Ce que pensent les Turcs de l’IA : entre espoirs et inquiétudes
Si l’intelligence artificielle s’intègre progressivement dans les usages en Turquie, elle suscite néanmoins un mélange d’enthousiasme et de prudence. Selon une enquête Ipsos menée en décembre 2024, 49 % des personnes interrogées en Turquie estiment que l’IA devrait être encadrée par la loi pour protéger les libertés individuelles.
Les préoccupations concernant l’impact de l’IA sur l’emploi sont particulièrement présentes, notamment dans un contexte où le taux de chômage reste élevé chez les jeunes. La question de la vie privée est également au cœur des débats, avec des inquiétudes liées à la surveillance accrue et à la protection des données personnelles.
Par ailleurs, 43 % des répondants turcs expriment une certaine appréhension quant à l’impact de l’IA sur eux-mêmes et leur famille, tandis que 50 % s’inquiètent de son influence sur le monde en général.
"Les pays émergents sont plus positifs vis-à-vis de l’IA" observe néanmoins Ipsos dans son analyse globale. Une lecture qui permet de situer la Turquie dans une zone d’entre-deux : prudente, mais portée par une forme de curiosité technologique.
Malgré ces réserves, une partie de la population, en particulier parmi les jeunes générations urbaines, perçoit l’IA comme une opportunité. Elle est envisagée comme un levier potentiel pour le développement technologique et économique du pays.
En somme, la perception de l’IA en Turquie oscille entre vigilance et optimisme, reflétant une société en pleine transition numérique.

La Turquie se positionne parmi les pays émergents les plus enthousiastes vis-à-vis de l’IA, avec un niveau d’enthousiasme élevé (environ 65-70 %) tout en exprimant une certaine réserve – Ipsos, 2024.
Régulation, enjeux éthiques et ambitions nationales
En Turquie, le principal cadre législatif encadrant les usages numériques reste la loi sur la protection des données personnelles (KVKK), en vigueur depuis 2016. Inspirée du RGPD européen, elle établit les bases d’une protection des données, mais peine à suivre le rythme de l’évolution technologique. Face aux défis posés par l’intelligence artificielle, biais algorithmiques, surveillance, reconnaissance faciale, plusieurs experts appellent à une adaptation spécifique du droit turc.
"Pour 9 personnes sur 10, l’IA doit être régulée pour protéger la confidentialité des données" - Rapport Ipsos 2024 - Turquie largement d'accord à 54 %
Sur le plan éthique, les interrogations sont nombreuses. Comment garantir la transparence des systèmes automatisés ? Comment éviter la reproduction de discriminations sociales ou genrées à travers les modèles d’IA ? Si des réflexions émergent dans les milieux académiques et spécialisés, elles peinent encore à toucher le débat public au sens large.
La régulation progresse, mais de façon partielle. L’absence d’un cadre clair dédié à l’intelligence artificielle freine autant la confiance des utilisateurs que le développement d’une innovation locale responsable. À mesure que l’IA s’installe dans les usages, la nécessité d’un encadrement adapté devient, elle aussi, de plus en plus pressante.
Quel avenir pour l’intelligence artificielle en Turquie ?
L’intelligence artificielle n’est plus une promesse abstraite : elle est présente dans les applications, les usages et les automatismes du quotidien. En Turquie, son intégration progresse par étapes, portée par un écosystème en mutation, des usages qui se diversifient et une curiosité grandissante au sein de la société.
"Dans la plupart des pays étudiés, l’IA est vue comme une innovation majeure à l’échelle de l’histoire" - Rapport Ipsos 2024
Côté utilisateurs, ChatGPT domine largement le marché des IA conversationnelles avec plus de 97 % de part d’utilisation sur mobile en avril 2025. D’autres outils, comme Google Gemini, Perplexity AI ou Deepseek, restent encore peu implantés. Quelques initiatives locales émergent néanmoins : TurkishBERTweet, un modèle adapté aux réseaux sociaux en turc, ou encore Meditopia, application de bien-être développée à Istanbul, qui intègre un accompagnement conversationnel personnalisé. Parmi les outils populaires, Sesli Sözlük, lancé en 1999, offre des traductions en 20 langues, des fonctions de prononciation vocale et des jeux pour enrichir l’apprentissage. Des pistes prometteuses, encore à l’état d’ébauche.
Ces signaux témoignent d’une volonté de développer des solutions adaptées au contexte culturel local. Ils peinent cependant à contrebalancer une dépendance structurelle aux technologies étrangères, ainsi qu’un manque d’investissement massif dans la recherche fondamentale. Sans production locale de modèles puissants, ni débat public de grande ampleur sur les usages ou les risques, l’intelligence artificielle avance sans toujours rencontrer de cadre à sa mesure.
Pour que l’IA serve une ambition durable en Turquie, trois leviers seront décisifs : la formation, la régulation et l’investissement dans les capacités locales. Le pays dispose d’atouts clairs : une jeunesse connectée, un dynamisme entrepreneurial et une situation géographique stratégique.
Pour aller plus loin, retrouvez l’intégralité de l’enquête Ipsos « Vivre avec l’intelligence artificielle : opportunité ou menace ? », réalisée en 2024 auprès de 11.000 personnes dans 11 pays, dont la Turquie. Télécharger l’étude complète ici.
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