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Simla Ongan : traductrice, une vie à crédit

Simla Ongan traductrice france turquieSimla Ongan traductrice france turquie
Écrit par Charlotte Meyer
Publié le 19 juin 2019, mis à jour le 11 janvier 2021

Lancée sur le chemin de la traduction par son ancien professeur de français, Simla Ongan a traduit de grands noms de la littérature française, comme Louis-Ferdinand Céline ou Michel Tournier. Mais la précarité de la profession l’a contrainte à mettre entre parenthèses sa vocation de passeuse de textes pour se tourner vers le métier d’interprète.

Sur la page de couverture, son nom est bien minuscule comparé à celui de l’auteur. Pourtant, le rôle du traducteur n’est pas des moindres : d’un chef d’œuvre national, il se doit d’en faire un chef d’œuvre universel. Et si l’image du traducteur solitaire se creusant la tête pour traduire un jeu de mot ou un rythme syntaxique ne tient pas de la caricature, Simla Ongan ne semble pas le regretter : « Ce que j’aime dans ce métier, c’est quand c’est bien écrit et surtout que c’est difficile à traduire. Le plaisir, c’est de finalement ressentir le même effet dans les deux langues. »

Après une scolarité au lycée français Charles de Gaulle d’Ankara, Simla se rend à Paris où elle obtient un DEUG (Diplôme d’Etudes Universitaires Générales) de communication. De retour en Turquie, elle suit des cours à l’Ecole supérieure de langues étrangères appliquées d’où elle ressort interprète et traductrice en même temps que professeur de FLE. Si elle en est déjà à la traduction de deux romans, sa véritable carrière de traductrice littéraire prend forme en 2005, lors de son arrivée à Istanbul. L’élément déclencheur de cette vocation ? « Alain Mascarou, mon professeur de français au collège » répond Simla. Elle sourit en replongeant dans ses souvenirs. « Cette rencontre a été très importante pour moi. J’avais onze ans, je venais de perdre ma mère. Il m’a alors offert un livre en français avec sa traduction en turc. Je crois que c’est de là qu’est parti mon intérêt pour la littérature française. » Un domaine dans lequel la collégienne n’entre pas par n’importe quelle porte : ce livre qui l’a tant marquée n’est rien de moins qu’Une mort très douce de Simone de Beauvoir. Par la suite, Alain Mascarou lui demande de traduire un texte de Bilgo Karusu pour un recueil. « C’était ma première traduction, se rappelle-t-elle. Depuis, j’ai simplement continué. »

 

De la TRT à Louis-Ferdinand Céline

Celle qui avait fait ses débuts en traduisant des émissions pour la TRT (Etablissement de Radio et Télévision de Turquie) se retrouve bientôt face à des auteurs bien plus conséquents. Son expérience la plus mémorable reste certainement la traduction de Mort à crédit de Louis Ferdinand Céline, un auteur avec lequel elle entretient un lien particulier : « En tant qu’écrivain, il m’a toujours beaucoup touchée » confesse-t-elle.

Suite à ses premières traductions du roman, Simla rencontre Ygit Bener, le premier à avoir traduit Voyage au bout de la nuit en turc. Pour lui, Simla était la première personne dont il entendait la voix à travers la traduction. « Il m’a prévenue que je risquais de déprimer, se remémore-t-elle en riant. Lui-même avait traversé une période de profonde dépression après avoir traduit Céline. » Cette époque, Simla s’en rappelle très bien. Habituellement traductrice nocturne, elle avait dû changer son rythme de travail pour Mort à crédit. Lever tôt le matin, pauses nombreuses, fin à 15h, elle avoue même avoir parfois été malade pendant cet exercice. « Céline, c’est plus que de la traduction, c’est de la réécriture. Il faut saisir sa façon de parler à lui, son lexique, ses néologismes, sans parler de l’argot parisien de l’époque ou de ses expressions à double sens. » Elle ajoute après réflexion : « Ygit Bener m’avait dit que je ne serais plus la même personne en sortant de cette traduction. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que je ne suis plus la même traductrice. » A tel point que traduire le Journal extime de Michel Tournier quelques mois plus tard lui a paru bien fade.

 

La difficile situation des traducteurs en Turquie

Si Simla prend plaisir à traduire ces œuvres, cela ne suffit pas à lui faire oublier que cette profession est compliquée. D’un point de vue personnel tout d’abord. « C’est un métier décevant puisqu’on n'est jamais capable de traduire un texte parfaitement. » La traductrice va jusqu’à affirmer que traduction rime avec dépression : « C’est un métier de solitude, surtout dans le domaine de la littérature » rappelle-t-elle. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a choisi de continuer d’enseigner en parallèle, notamment à l’atelier Victor. « C’est ce qui me permet de garder un contact humain » explique-t-elle.

Mais plus encore, la situation des traducteurs en Turquie va decrescendo. L’interprète cite ainsi son confrère Isik Ergüden qui a publié une lettre ouverte le mois dernier afin de dénoncer la diminution des droits d’auteurs perçus par les traducteurs. Selon elle, le statut de sa profession est en train de s’effondrer. « Plus on avance, plus on est réduits en esclavage, dénonce-t-elle. Si on continue dans cette lancée, les traducteurs qui resteront seront ceux qui ont déjà de l’argent et qui traduisant uniquement par plaisir. »

Cette réalité a contraint Simla a laissé de côté la traduction de littérature depuis un an afin de se consacrer au métier d’interprète, moins précaire. Elle n’en garde pas moins des rêves de traductions futures. « J’aurais adoré traduire le Petit Prince de Saint-Exupéry, mais c’est chose faite depuis longtemps ! A l’avenir, pourquoi pas Le Clézio ou Romain Gary ! »

Publié le 19 juin 2019, mis à jour le 11 janvier 2021

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