

Dans un arrêt rendu ce mardi à l'unanimité des juges, la Cour européenne des droits de l'Homme estime que la liberté d'expression n'est pas garantie en Turquie, malgré des réformes du code pénal adoptées en 2008
Altuğ Taner Akçam est un professeur d’histoire turco-allemand dont le sujet de prédilection, les événements de 1915, est l’un des plus controversés qui soient. Les Arméniens parlent d’un génocide d’un million et demi de personnes tandis que la Turquie rejette le terme et dément le nombre. Taner Akçam, lui, a signé en 2006 un ouvrage au titre explicite : Un acte honteux : Le génocide arménien et la question de la responsabilité turque.
En juin 2007, l’historien dépose une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Il se sent menacé. Il cite des plaintes pénales le visant (classées sans suite), une “campagne de harcèlement” dans la presse, des lettres d’insultes et des menaces de mort. Taner Akçam craint d’être poursuivi en justice pour ses opinions et son angoisse est telle, explique-t-il à la cour, qu’il a cessé d’écrire sur la question arménienne.
L’article 301 dans le collimateur
Mardi 25 octobre, la cour de Strasbourg lui a donné raison. Dans un arrêt rendu à l’unanimité, ses juges estiment que “la menace pesant sur le requérant est réelle” et que la liberté d’expression n’est pas garantie en Turquie. Elle dénonce une nouvelle fois l’article 301 du code pénal turc, qui punit de six mois à deux ans de prison le fait de dénigrer la “nation turque”. Hrant Dink, le rédacteur en chef du journal Agos assassiné en 2007, avait été poursuivi et condamné sur la base de cet article.
Dans sa défense, le gouvernement turc avance qu’il est improbable que Taner Akçam soit attaqué en justice. Il rappelle que depuis la mort de Hrant Dink, l’article 301 a été modifié. L’expression “nation turque” a remplacé celle de “turcité”, la durée maximale d’emprisonnement a été réduite et depuis 2008, une clause de sauvegarde soumet toute enquête sur une infraction alléguée à l’article 301 à une autorisation du ministre de la Justice.
Toujours d’après le gouvernement, seules 80 des 1.025 demandes d'enquêtes qui lui ont été soumises de mai 2008 à novembre 2009 ont été acceptées (soit environ 8 % des demandes). Taner Akçam avance un nombre nettement plus élevé de 116 personnes poursuivies entre juillet et septembre 2008. Il s’appuie sur une étude de l'Independent communications network, une organisation non gouvernementale de surveillance des médias.
“Une menace à la liberté d’expression”
La cour a finalement tranché en faveur de l’historien, jugeant insuffisantes les réformes de l’article 301. Elle estime que le libellé de l’article, “tel qu’interprété par la justice, est excessivement large et vague et ne permet pas aux individus de régler leur conduite ou de prévoir les conséquences de leurs actes.”
L’article 301 est désigné comme “une menace pour l’exercice de la liberté d’expression”, garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La cour estime que les auteurs qui, comme Taner Akçam, défendent des idées considérées comme offensantes, choquantes ou dérangeantes sont à chaque instant susceptibles d’être attaqués en justice.
L’arrêt est toutefois non-définitif. La Turquie a trois mois pour faire appel.
Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul.html) jeudi 27 octobre 2011











































