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LÉGENDES STAMBOULIOTES – Agatha Christie et le mystère de la chambre 411

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 16 novembre 2023, mis à jour le 22 septembre 2024

"Le mystère de la chambre 411" : cela sonne comme le titre d'un bon roman policier, à lire blotti sous la couette par temps neigeux... Pourtant, ce mystère n'a rien de fictif. La chambre 411, c'est celle du Pera Palace Hotel, sur la Me?rutiyet Caddesi à Istanbul. Et le mystère, c'est celui de la disparition pendant 11 jours de la romancière Agatha Christie, en décembre 1926. Une visite au Pera Palace n'aura pas suffit à élucider le mystère. Mais laissons nous emporter par la légende...

Tout commence le vendredi 3 décembre 1926, bien loin d'Istanbul : plus précisément dans une maison à Sunningdale, dans le comté de Berkshire en Angleterre, où Agatha Christie vit avec son mari Archibald et sa fille Rosalind. "Dans son autobiographie, Agatha Christie parle de l'année 1926 comme «l'une des plus pénibles à évoquer»", écrit le quotidien suisse Le Temps. Et pour cause : la mort récente de sa mère et les infidélités de son mari l'affectent beaucoup. Alors en ce soir de 1926, Agatha Christie prend sa voiture sans dire où elle va ; le véhicule est retrouvé le lendemain à 6h du matin au bord d'un étang, contenant seulement son sac à main et son manteau de fourrure. Dès lors, la police recherche activement la romancière : l'étang et ses environs sont fouillés, les voisins sont interrogés.

Commence ce que Vanity Fair désigne comme étant "l'une des affaires de disparition les plus médiatisées des années 1920". Dès le samedi, la disparition de la "reine du mystère" fait les gros titres de la presse.

La chambre 411 du Pera Palace (photos JD)

Les spéculations vont bon train : son mari est-il à l'origine de la disparition ? La romancière l'a-t-elle orchestrée elle-même ? L'excitation médiatique dépasse largement l'inquiétude ; d'après le site officiel créé par les ayant-droits de la romancière, "la presse et le public s'amusaient à imaginer plusieurs versions de ce qu'il avait pu se passer, et pourquoi, mais personne ne le savait vraiment". Le Daily News va jusqu'à publier le 11 décembre 1926 des photos d'Agatha Christie telle qu'elle aurait pu se déguiser pour disparaître, rapporte l'hebdomadaire Newsweek. Le public n'est pas en reste puisque d'après Hürriyet, 15.000 volontaires se mobilisent pour aider la police à chercher la romancière.

Le silence de la romancière

Après 11 jours d'agitation et d'inquiétude, Agatha Christie est finalement retrouvée par un fan le 15 décembre 1926 dans un hôtel de Harrogate, Yorkshire, apparemment enregistrée sous le nom de famille de la maîtresse de son mari, Neele. Elle déclarera ne pas se souvenir de quoi que ce soit, une amnésie confirmée à l'époque par les médecins, précise Hürriyet Daily News. Elle ne parlera jamais plus de cet épisode, laissant planer le mystère jusqu'à sa mort : pourquoi a-t-elle disparu ? Qu'a-t-elle fait pendant ces 11 jours ?

Plusieurs journaux, blogs, ou fans ont émis des hypothèses : coup médiatique pour relancer les ventes de son livre ? Vengeance contre son mari, qui a vu sa vie intime étalée au grand jour ? La romancière est-elle réellement amnésique, ou fait-elle semblant ? Autant de questions laissées sans réponses et peu à peu oubliées... Jusqu'en 1979, où un passage par le Pera Palace Hotel à Istanbul relance les spéculations.

Le luxueux Pera Palace Hotel, situé dans Beyo?lu à Istanbul, est un lieu légendaire de la ville. Construit en 1892 par la Compagnie des Wagons-Lits pour accueillir les passagers de l'Orient-Express, il a hébergé de nombreuses personnalités : Mustafa Kemal Atatürk (1918), Greta Garbo (1924), Ernest Hemingway (1922)... Ou plus récemment Paulo Coelho, Luc Besson, ou encore Ben Affleck. Parmi ces personnalités, Agatha Christie, qui y aurait séjourné plusieurs fois entre 1926 et 1932, et qui aurait même écrit son livre Le Crime de l'Orient-Express dans la chambre 411. En fait, de l'aveu de Ece Naz Bozkurt, employée au service ventes et marketing du Pera Palace Hotel, l'inaccessibilité des registres de l'époque rend difficile toute affirmation concernant les allées et venues de la romancière à l'époque. Ce qui est sûr, affirme Ece Naz Bozkurt au petitjournal.com d'Istanbul, c'est qu'Agatha Christie est venue plusieurs fois au Pera Palace Hotel, notamment à la période où elle était supposée écrire Le Crime de l'Orient-Express.

La clé du mystère : sur la route de l'Orient-Express, au Pera Palace Hotel

Retour en 1979. La romancière est morte depuis trois ans et Michael Apted, réalisateur, voudrait faire un film sur cet épisode trouble de sa vie. Au vu du peu d'éléments dont il dispose pour écrire son scénario, il décide, avec le studio Warner Brothers, d'engager Tamara Rand, une voyante, pour tenter d'y voir un peu plus clair. Pour la voyante, il leur faut trouver un lieu où pourrait subsister "l'âme" de la romancière : ils choisissent donc de faire une séance en liaison satellite entre Los Angeles et le Pera Palace Hotel. Les versions du déroulement de la séance sont diverses : Tamara Rand aurait vu entrer Agatha Christie dans la chambre 411 ; elle aurait écrit le mot "Me?rutiyet" (nom de la rue du Pera Palace) ; elle aurait parlé d'un journal intime... Mais dans toutes les versions, la conclusion est la même : sur indication de la voyante, une clé est trouvée dans la chambre 411.

Mais ce qui devait être le début d'une possible résolution du mystère s'arrêta là : sous la pression médiatique, l'hôtel et les studios ne purent jamais se mettre d'accord sur un prix d'achat de la clé, et elle resta au Pera Palace. Aujourd'hui, une réplique de cette clé est exposée dans une vitrine de l'hôtel, tandis que, selon Ece Naz Bozkurt, la vraie clé a été égarée. Les raisons de la disparition de la romancière restent donc, 98 ans après, un vrai mystère qu'une visite dans la chambre 411 n'a pas suffi à percer.

Une légende comme Istanbul les aime...

Le Pera Palace Hotel reçoit régulièrement des journalistes qui viennent visiter la chambre, mais aucun d'entre eux n'a résolu l'affaire. L'hôtel entretient la légende ; la chambre 411, appelée désormais "chambre Agatha Christie", tout habillée de bordeaux et marron et tapissée de portraits de la romancière, dégage une atmosphère feutrée, mystérieuse, voire angoissante comme un roman d'Agatha Christie. Le Pera Palace aimant jouer avec ses histoires, il a même imaginé en 2014 une enquête virtuelle, dont l'intrigue était inspirée du Crime de l'Orient-Express.

Ce grand mystère des années 1920 est donc bien loin d'être résolu, et ne le sera peut-être jamais. Mais l'âme d'Istanbul est propice aux divagations de l'imagination, et on se laisse aisément aller à visualiser la "reine du mystère " assise sur le lit de la chambre 411 de l'hôtel, enfouissant quelques pages d'un carnet dans une boîte, puis, à genoux sur le sol, enfouissant la clé de la boîte sous les lames du parquet. Car faute d'avoir une histoire véritable avec des preuves et des faits, on ne peut pas renier le plaisir de se laisser bercer par les légendes, comme par les romans d'Agatha Christie...

Julie Desbiolles (www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 13 février 2015

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Publié le 12 février 2015, mis à jour le 22 septembre 2024

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