C’est peu dire que l’attente commence à être longue. Lundi soir, à 23 heures, soît près de 30 heures après le début du comptage des voix, on ne connaîssait toujours pas officiellement l’identité du nouveau maire d’Istanbul, bien que la victoire semblât désormais acquise à Ekrem Imamoğlu, le candidat du CHP.
Quelle qu’en soit l'issue, le scénario de cette élection fut pour le moins rocambolesque. A 21h30 dimanche soir, crédité de 49,7% des voix, contre 47,8% pour Imamoğlu après le dépouillement de 88% des urnes, la mairie paraissait promise à l’ex-Premier ministre Binali Yildirim, le candidat de l’AKP. Puis au fil des minutes, son avance a fondu comme du beurre sur le feu pour s’établir à 23h20 à 0,06%, soit à peine 4 000 voix.
Près de 200 000 bulletins de votes restaient encore à dépouiller. Du côté des supporters d’Imamoğlu, l’heure était à la liesse tant le succès semblait vouloir leur tendre les bras. C’est alors que s’est produit un curieux événement : sans que l’on en connaisse la raison, les résultats cessèrent soudain d’être mis à jour, provoquant l’ire du challenger : "J’avertis l’Agence Anadolu [l’agence de presse étatique, ndlr] qui n’a rentré aucune donnée depuis une heure. Vous ne pouvez pas faire abstraction de la justice et de la conscience de la société. Faîtes votre devoir", tweeta-t-il peu de temps après avoir appelé ses partisans à rester mobilisés pour ne pas "se laisser voler leurs voix".
Croisée au détour de l’avenue Istiklal, une militante du CHP se montrait sceptique quant à l’issue du scrutin. "C’est toujours la même chose en Turquie. Les candidats sont au coude-à-coude, les résultats définitifs tardent à être publiés, et quand on se réveille le matin c’est l’AKP qui a gagné", expliquait-elle mi-résignée, mi-amusée.
Pourtant, Recep Tayyıp Erdoğan lui-même, qui avait choisi de faire de ces élections locales un enjeu national, n’apparaissait plus certain de l’emporter. Sentant qu’Istanbul, acquise aux partis islamistes depuis 1994, pouvait lui échapper, le Président turc déclara que même si l'opposition s'emparait de la municipalité, l'AKP contrôlerait de toute façon la majorité des districts de la ville.
Toute la nuit, les compteurs des deux principaux candidats restèrent inchangés, ce qui n’empêcha pas Yildirim de faire placarder aux petites heures du matin des affiches - depuis retirées - "remerciant" les habitants de l'avoir élu.
Puis, à huit heures du matin, alors que la métropole s’éveillait à peine, le conseil électoral supérieur de Turquie (YSK) mit à jour ses résultats : après le dépouillement de 99% des urnes, Imamoğlu était désormais crédité de 48,79% des voix, contre 48,51% pour son adversaire.
Quelques heures plus tard, Yildirim admettait que son opposant "[semblait] compter 25.000 voix de plus", mais soulignait "que le comptage des voix était toujours en cours". De son côté, Imamoğlu ne se faisait pas prier pour modifier sa biographie sur Twitter, se présentant comme "le maire de la municipalité métropolitaine d'Istanbul".
La situation demeure identique à l'heure où nous écrivons ces lignes. Sur son site Internet, l'YSK a indiqué que les résultats définitifs seraient communiqués sitôt les dernières vérifications effectuées
Si la victoire du CHP à Istanbul venait à se confirmer, il s’agirait d’une perte terrible pour Erdoğan. "Qui contrôle Istanbul contrôle le pays", a-t-il coutume de dire. L’avenir dira s’il avait raison.