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UNE HISTOIRE OUBLIÉE – Les mots et les visages des “Poilus” du front d’Orient…

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 15 octobre 2014, mis à jour le 16 octobre 2014

A l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, l'Institut français d'Istanbul accueille une exposition inédite de cartes postales envoyées par les soldats français postés sur l'île de Ténédos/Bozcaada*. Ecrites durant leurs périodes de repos, ces cartes retracent leur quotidien pendant la campagne des Dardanelles, sur le front d'Orient. L'exposition est en grande partie le fait d'un homme, Hakan Gürüney, collectionneur passionné et fondateur du centre d'histoire locale de Bozcaada, aidé pour ce travail par des chercheurs de l'Orient-Institut d'Istanbul et de l'IFEA (Institut français d'études anatoliennes).

"Partir de l'humain pour évoquer l'universel, du silence des canons pour évoquer la guerre, du quotidien pour comprendre le vécu de la guerre des soldats du front d'Orient stationnés au repos à Ténédos/Bozcaada? (Cette exposition) nous emmène à la découverte de cette histoire méconnue du front d'Orient et des soldats français engagés aux Dardanelles" : c'est avec ces mots que Muriel Domenach, consule générale de France à Istanbul, a inauguré mardi soir l'exposition intitulée : ?Il est bon de respirer loin des balles et des canons?.

Cet événement, organisé dans le cadre de la mission de commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale et de la bataille des Dardanelles, ?est un acte de reconnaissance du sacrifice d'une jeunesse française happée comme d'autres par la folie du monde", a ajouté Muriel Domenach, pour qui la ?commémoration? est aussi, suivant l'origine étymologique du mot, le fait de ?se souvenir ensemble?.

De gauche à droite: Jean-François Pérouse, ?zzeddin Çal??lar, Alexandre Toumarkine, Hakan Gürüney,
Loubna Lamrhari, Muriel Domenach, Olivier Ramadour, Bérénice Gulmann

Un épisode peu connu

Ténédos/Bozcaada était un port de ravitaillement et de débarquement pour les alliés français et britanniques. Il servait de lieu de repos et de base surveillance des sous-marins allemands. Les soldats venaient de toute la France (une trentaine de départements), mêlant des conscrits de diverses provenances, dont deux colons d'Algérie et un du Maroc.

"Elle [cette partie de l'histoire] est méconnue en Turquie mais aussi en France. Les soldats français qui se sont battus sur le front d'Orient (la Turquie avec les Dardanelles, mais aussi dans les Balkans) n'ont pas eu droit au même travail de mémoire, aux mêmes recherches historiques, à la même commémoration en France", explique Alexandre Toumarkine, commissaire de l'exposition.

Selon ce chercheur de l'Orient-Institut d'Istanbul, cette histoire est méconnue ?sûrement parce qu'elle est considérée depuis longtemps, pour les commémorations en tout cas, comme une sorte de face-à-face turco-anzac (Néozélandais et Australiens) qui a permis de faire naître une nouvelle nation. A l'origine, ce sont des colonies qui sont venues se battre sans y être forcées" ajoute-t-il.

Un travail de reconnaissance

"Il y a eu tout un travail pour restituer, ressusciter un monde qui a disparu à la fin de la guerre, il n'en reste aujourd'hui quasiment aucune trace" raconte encore le chercheur. "Ce qu'il y a d'original dans cette exposition, c'est d'avoir choisi non pas une histoire ?par le haut?, écrite par des officiers ou des généraux, mais d'être parti d'un matériel très simple." La plupart de ces cartes ont été envoyées de Ténédos mais certaines proviennent des Balkans ou d'autres camps français et depuis des navires.

Bérénice Gulmann, directrice de l'Institut français d'Istanbul, estime qu'il était du devoir de l'institut d'exposer cet épisode oublié de l'Histoire : "L'Institut français d'Istanbul organise souvent des expositions sur des sujets qui ont trait à la place de la France en Turquie. Avec cette collection de cartes postales et le travail de chercheurs, nous avons essayé d'organiser un événement culturel qui évoque la présence française en Turquie,  le front d'Orient, à travers le regard d'une jeunesse. Nous partons des écrits des soldats au repos qui interpellent leurs familles en France sur un monde qu'ils ne connaissent pas. Ils ne savent pas s'ils sont en Grèce, en Turquie ou dans les Balkans."

Ce travail ne s'arrêtera pas à l'exposition ni à la ville d'Istanbul. Un débat est prévu à l'Institut français le 12 novembre. L'exposition voyagera ensuite à Çanakkale, Bozcaada, Izmir et Ankara.

Théo Morais (www.lepetitjournal.com/istanbuljeudi 16 octobre 2014

Hakan Gürüney, collectionneur

Quel est votre lien avec Bozcaada/Ténédos ?

Il faut savoir que je collectionne? depuis ma naissance ! En 1992, je me suis rendu pour la première fois à Bozcaada pour y trouver un certain type de coquillage que je voulais absolument ajouter à ma collection. Il s'agit d'un coquillage qu'on ne trouve que sur cette île. Je n'avais aucun lien avec l'île à l'époque mais ce coquillage, c'était un rêve d'enfant? Nous sommes ensuite retournés plusieurs fois à Bozcaada, mon épouse et moi, et nous y avons acheté une petite maison. Un jour de 1999, alors que je me promenais chez des libraires d'Istanbul, j'ai remarqué dans une vitrine quatre cartes postales de Bozcaada, en noir et blanc. Je les ai achetées, j'ai acheté des cartes de l'île? Et c'est ainsi que je suis devenu collectionneur de tout ce qui se rattache à Bozcaada. J'ai ensuite appris l'ottoman pour pouvoir consulter, dans les archives du Premier ministère, tout ce qui se rapporte à Bozcaada. Cela m'a pris plus de deux ans mais j'ai découvert plus de 1.000 documents se rapportant à l'île. Puis j'ai appris le grec, pour pouvoir mener des entretiens avec les Rums et les Grecs de l'île, pour mieux comprendre le cosmopolitisme qui prévalait sur l'île jusqu'aux années 1960.

Qu'avez-vous fait des quatre cartes postales dénichées en 1999 ?

Je les avais achetées pour les accrocher au mur. Puis, je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup d'autres cartes postales du genre et j'ai commencé à m'intéresser à ce qui était écrit au dos de ces cartes postales. C'est en les faisant traduire que j'ai réalisé qu'il s'agissait de cartes écrites par des soldats français à leurs familles en 1915. J'ai donc fait des recherches, qui m'ont appris que les Français avaient utilisé Bozcaada comme base militaire et que ces cartes avaient toutes été écrites pendant cette période.

Combien de cartes postales avez-vous récoltées et surtout, où les trouvez-vous ?

J'en ai acheté plus de 500 à ce jour, dont 350 au moins présentent des textes qui ont un intérêt historique. Je les achète à des musées du monde entier, de la France à l'Australie, des Etats-Unis à la Belgique, de Grèce? On peut aussi en trouver, parfois, dans des ventes aux enchères en Turquie. Je ne peux pas acheter toutes les cartes qui me sont proposées mais j'achète toutes celles dont le texte peut avoir valeur de document historique. Je me documente énormément. J'achète tous les livres qui parlent de Bozcaada et de la présence des soldats français à cette époque, même si l'ouvrage en question n'y consacre que dix pages sur 300! J'ai constitué une bibliothèque de 400 ouvrages sur le sujet.

Qu'est-ce qui vous frappe ou vous touche le plus quand vous déchiffrez les textes écrits au dos de ces cartes postales ?

Ce qui me touche, ce sont ces hommes qui, malgré la guerre et les bombes qui leur tombent sur la tête, continuent d'écrire des cartes postales à leurs proches, sans perdre ni amour ni espoir. Peut-être vont-ils mourir mais ils continuent de parler du jour où ils retrouveront ceux qu'ils aiment et combien ils leur manquent. C'est très émouvant. Très humain.

Ces cartes postales ont-elles déjà été montrées auparavant ?

Certaines ont été publiées dans des revues mais c'est la première fois qu'une exposition entière leur est consacrée. J'ai découvert à l'occasion de cette exposition que le ?front d'Orient? dans la Première Guerre mondiale était assez peu connu des Français. J'espère que cette exposition aidera à mettre un peu plus en lumière cet épisode historique et l'île qui l'a accueilli. Et peut-être qu'elle me permettra d'accéder à de nouvelles sources, de nouveaux documents sur Bozcaada? (sourire)

 

Propos recueillis par Anne Andlauer

 

* Exposition "Il est bon de respirer loin des balles et des canons"

Institut français à Istanbul
14 oct. / 10 déc. -
?stiklal Cad. N:4 Taksim
Istanbul
0212.393.81.11
du lundi au vendredi de 9h à13h et 14h à 17h30
Entrée libre
http://centenaire.org/fr
http://www.ifea-istanbul.net/
http://bozcaadamuzesi.net/

lepetitjournal.com istanbul
Publié le 15 octobre 2014, mis à jour le 16 octobre 2014

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