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REGARDS CROISÉS – Le quartier de Cihangir, le charme malgré la gentrification

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 11 février 2016, mis à jour le 11 février 2016

Le quartier de Cihangir, situé sur la rive européenne, attire chaque année toujours plus de curieux, turcs comme étrangers, et autant de personnalités, d'artistes, d'écrivains. Ce quartier, qui a toujours marqué par sa population variée, ses édifices et sa vue sur le Bosphore, a connu ces dernières années une hausse des prix de l'immobilier, entrainant des changements importants. Pour lepetitjournal.com d'Istanbul, trois habitants du quartier, d'horizons divers, se sont confiés sur ces mutations.

Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Erhan Çolakel : Je suis avocat au barreau d'Istanbul. Nous sommes une vieille famille d'Istanbul, de "sept générations", comme disent les Turcs, du côté de mon père comme de ma mère. Il y a très peu de familles qui ont autant de générations originaires d'Istanbul. Nous sommes de vrais stambouliotes, de Cihangir. L'arrière-grand-père de mon père était de Cihangir et racontait à mon grand-père paternel comment la vie était organisée à Cihangir.

Quelle est votre relation avec le quartier de Cihangir ?

Je vais commencer par l'historique de Cihangir. Je suis né là-bas, j'ai 42 ans, donc j'ai une vie depuis 42 années à Cihangir, que j'espère ne jamais quitter. Je suis né à la clinique de Cihangir. Il y en avait une avant, mais elle fermée maintenant, malheureusement. Il y a toujours des hôpitaux, l'hôpital de Taksim, qui est en rénovation, l'hôpital italien, l'hôpital allemand, qui est fermé, il y a également la clinique de Cihangir. C'est un quartier près de Taksim, Beyo?lu. Nous habitions dans une maison en bois que nous avons héritée de l'arrière-grand-père, qui est toujours à nous, dans Cihangir. Nous avons deux maisons, côte à côte, que nous avons rénovées et louées. Mon arrière-grand-père racontait à mon père, quand il était petit, que toutes les maisons à Cihangir était en bois - il n'y avait pas de constructions en pierre à l'époque, et pour aller chercher l'eau, ils montaient S?raselviler,  la rue qui part de Cihangir vers Taksim, c'est ?l'allée des cyprès alignés?. Selvi, c'est le cyprès. Il y avait des cyprès tout le long de l'allée. Si vous remontez S?raselviler Caddesi, à gauche vous trouverez une fontaine, de cette fontaine-là, tous les habitants de Cihangir se procuraient de l'eau.

Il n'y avait pas d'électricité bien sûr. Nos maisons en bois ont été occupées par les Anglais pendant la Première Guerre mondiale. Mon arrière-grand-père a résisté contre les Anglais, mais il n'a pas pu tenir face aux soldats, donc la maison a été occupée. Après l'occupation anglaise, la maison a été récupérée. Mon père a grandi dans cette maison avec son père, avec sa famille. Ma mère était de Kas?mpa?a, pas loin, qui était un vieux quartier ottoman, qui a complétement changé avec l'exode rural. Elle aussi a vécu dans une maison en bois traditionnelle. Donc notre enfance nous l'avons passée dans cette maison. Comme elle ne répondait pas à nos besoins, nous nous sommes installés dans le Cristal Palas, l'immeuble qui fait le coin entre Akarsu caddesi et ?im?irci sokak, un des plus beaux immeubles de Cihangir. A huit ans nous nous sommes installés dans un immeuble en pierre, construit au 18ème siècle par un architecte grec. J'ai passé toute mon enfance à Cihangir, mes parents m'ont inscrit à l'école primaire de Ni?anta??.

Avez-vous été témoin de changements dans ce quartier ?

Oui, beaucoup. Pour l'historique du quartier, Soliman le Magnifique était marié à Roxelane, qui avait un fils, ?ehzade Cihangir qui est décédé à un âge très jeune. Soliman le Magnifique au XVIème siècle a ordonné la construction de la mosquée en face du palais Cihangir. Elle a été construite à son nom. Cette mosquée a été construite par le fameux architecte Sinan.

Toutes les maisons étaient en bois à l'époque. En 1916, à cause du grand incendie d'Istanbul, les maisons en bois ont brulées. A la fin du XIXème et pendant le XXème siècle ont commencé les constructions en pierre. Les beaux immeubles, art déco, art nouveau, les immeubles bourgeois, un peu à la haussmannienne, qu'on retrouve dans le quartier de Cihangir.

Donc oui, le quartier a beaucoup changé, je n'ai pas connu les années 30, 40, 50. J'ai connu les années 70, et 80 surtout. Tout le monde se chauffait au charbon, il n'y avait pas de gaz naturel, donc il y avait une très forte pollution à Istanbul, et dans les villes de Turquie. Et tous les immeubles étaient noirs, gris, à cause de la pollution. Nous jouions dans les rues de Cihangir, qui est un quartier qui a toujours été habité par des étrangers, je ne sais pas pourquoi, peut-être par l'historique du quartier de Pera? Et surtout il y a une belle vue sur l'entrée du Bosphore, ce qui a peut-être attiré les étrangers. Donc tous les diplomates, les enseignants dans les lycées étrangers habitaient dans le quartier. Il y a les minorités grecque et arménienne qui habitent le quartier aussi. C'est un quartier que j'ai connu multiculturel depuis mon enfance. Ce qui nous a ouvert l'esprit, sur le monde, sur l'étranger. Mes parents, qui appartiennent à une vieille famille de Cihangir, ont appris le grec, puisque tous les voisins étaient grecs. Pendant leur enfance ils jouaient avec des enfants grecs, ils savaient compter et parler en grec. Ma mère parle arménien aussi, parce que sa voisine était arménienne et elle a appris un peu à son contact. Moi aussi j'ai appris le grec avec mes voisins, on connait leurs traditions et leurs fêtes, Pâques, Noël, etc. On partage une culture très riche dans le quartier de Cihangir.

Dans les années 70 et 80, la Turquie était un pays sous-développé, et Cihangir était le quartier ou habitaient les étrangers, mais aussi les gens de la classe moyenne. Dans les années 90, Cihangir a pris de la valeur, ils ont commencé à rénover les immeubles. Quand j'étais petit, tout le monde parlait de Cihangir, ils disaient "Ah, mais c'est invivable, c'est dans le centre-ville, c'est très pollué" et de nouveaux quartiers, de nouvelles résidences étaient en construction dans les quartiers de Etiler et Levent. C'était l'exode du centre-ville pour habiter dans les quartiers chics et modernes, les beaux immeubles. Ils ont commencé dans les années 70 à construire ces quartiers. L'arrière-grand-père de mon père lui disait, "Nous, on ne va pas à ?i?li, à Mecidiyeköy, parce qu'il y a des loups ". Mon arrière-grand-père allait cueillir des figues à ?i?li, dans les champs de figuiers, mais ils avaient surtout peur de la présence des loups à Mecidiyeköy. Donc, ça a bien changé !

Dans les années 70n ils ont commencé à construire dans les quartiers de Etiler, Levent et Mecidiyeköy. A ?i?li ils ont construit ces grands appartements très modernes, donc les gens de Cihangir sont partis. Mais mes parents se sont dit "Nous sommes une vieille famille de Cihangir, on ne part pas, on reste ici".

Les immeubles ont été rénovés dans les années 90. Il y avait déjà les écrivains et les intellectuels, mais le quartier a beaucoup plus attiré, notamment grâce aux séries que nous avions à la télé turque. Beaucoup d'acteurs habitent à Cihangir. Avec l'arrivée des écrivains, des intellectuels, des artistes et avec les étrangers, le quartier a pris de la valeur et s'est embelli. La municipalité a refait les routes, plus ou moins bien, ce n'est pas comme à Ni?anta??. Mais ce qui nous a toujours attachés à Cihangir, ce n'est pas le côté matériel, mais c'est l'aspect multiculturel, en plus d'avoir une belle vue sur l'entrée du Bosphore.

Que pensez-vous des changements dans ce quartier ? Est-ce que cette gentrification effective est un plus ou un inconvénient, notamment en matière de diversité ?

La diversité est toujours source de richesse, c'est ça qui nous attire. Je ne vais pas dans les autres quartiers, Levent ou Ulus, car j'ai besoin de cette diversité pour vivre. Pour moi, c'est une bouffée d'oxygène.

Après les évènements tragiques des années 50-60 - que je n'ai pas vécus - beaucoup de membres de la communauté grecque sont partis. Il y en a encore, mais pas autant qu'avant, tout comme les Arméniens qui sont pour beaucoup partis en France. Donc il y a certainement moins de diversité qu'à l'époque de mes grands-parents, mais elle existe toujours. Il y avait aussi des marginaux, des femmes et des travestis, qui vivaient à Cihangir, il y avait des rues pas très bien fréquentées, comme Sorma gir, Ba?kurt. "Sorma gir", ça veut dire, "ne demande pas, tu entres", ça vous donne une idée. Toute cette rue-là était fréquentée par des maisons closes. Mais ils sont partis à la fin des années 90, début 2000.

Photo Flickr/CC/Mighty travels

Dans le quartier il y a encore beaucoup d'intellectuels, des écrivains, des artistes, que j'ai connus dans mon enfance, mais beaucoup plus maintenant. Il y a Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature, qui habite dans le quartier ? je le croise assez souvent. Il y a l'actrice francophone Serra Y?lmaz. Et d'autres encore... Ça a beaucoup changé, vous voyez des cafés très chics et très sympas. C'est devenu un quartier très agréable à vivre.

En quoi pensez-vous que la vie dans le quartier de Cihangir est différente par rapport aux autres quartiers d'Istanbul ?

Oui, certainement. Il y a une qualité de vie, la diversité fait la richesse. Mais il y a aussi le fait que la population de Cihangir est plutôt occidentale. Je ne pense pas qu'un conservateur puisse se sentir à l'aise dans un tel quartier. Le quartier a beaucoup changé, en positif. Dans le années 70-80, c'était un quartier un peu laissé à l'abandon. Avec les rénovations dans les années 90 et 2000, c'est devenu un beau quartier, très attractif, un quartier des chats aussi.

Mais désormais, ce sont plutôt des gens aisés qui l'habitent, car les appartements avec la vue sur la mer se chiffrent en dollars ou en euros, avec des loyers assez élevés. Cihangir est aujourd'hui un quartier marqué par une diversité culturelle, mais pas par une diversité sociale.

 

Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Billur Karabenli : J'habite à Cihangir depuis maintenant 16 ans. J'ai ouvert un café ici dans le coin, je l'ai ensuite fermé car la municipalité a interdit les tables et les chaises en extérieur. Depuis cinq ans maintenant je loue des appartements, sur des courts comme sur des longs termes pour les expatriés venant à Istanbul.

Quelle est votre relation avec le quartier de Cihangir ?

J'adore Beyo?lu. Je suis de l'université de Bo?azici et j'ai toujours habité dans ces environs, Etiler, Levent, Bebek. J'étais mariée à cette période, mon ex-mari aimait beaucoup cette zone, mais mon c?ur s'est toujours tourné vers le vieil Istanbul,  Beyo?lu, le quartier de Pera et la rue Istiklal. Je suis tombée amoureuse de Cihangir. Une de mes amies de longue date habitait à Cihangir avant moi, j'allais lui rendre visite et je découvrais le quartier. A cette époque il n'était pas comme ça, il était très sombre, un peu dangereux, mais c'était très intéressant, j'adorais les gens du coin. Après mon divorce, je me suis précipitée à Cihangir, j'y ai loué un appartement. Depuis, je vis ici. Après y avoir emménagé, le quartier a beaucoup changé. Nous étions très heureux, la plupart de mes meilleurs amis habitent ici aussi, nous allions à Istiklal, à Tünel, Cihangir était un lieu de mixité avec une communauté alternative. Le vieux Cihangir me manque, mais il y a toujours un sentiment de voisinage.

Il y avait des peintres, des écrivains, pas tellement d'acteurs et actrices de soap opera. C'était une période où Cihangir était fréquenté par des intellectuels, des bohèmes mais aussi des transsexuels, des gipsys, des roms. Les non-musulmans, les Arméniens, les anciennes familles étaient ici. Ensuite le quartier a commencé à être à la mode. Parfois, des gens viennent ici juste pour visiter, ils demandent "Ici c'est bien Cihangir ? Où est le café célèbre ?". Ils parlent du café qui se trouve dans le parc à côté de la mosquée, Ünlülerin Kahvesi, que les gens célèbres fréquentent.

Avez-vous été témoin de changements dans ce quartier ?

La population, la fréquentation du quartier a beaucoup changé, même l'allure des bâtiments a changé ! Il y a des personnes dans la publicité, les médias, les nouveaux hipsters. Il y a des cafés et des bars hipsters, comme le Kronotrop, le Swedish Coffee Point. Les jeunes sont aussi intéressés par le quartier, ils veulent y aménager, mais Cihangir est très cher, les loyers notamment. La plupart du temps, seuls les expatriés peuvent se permettre de payer un tel loyer.

Que pensez-vous des changements dans ce quartier ? Est-ce que cette gentrification effective est un plus ou un inconvénient, notamment en matière de diversité ?

Ce que je peux dire à propos de Cihangir ? que cela soit avant ou maintenant ? c'est qu'il y a un esprit de voisinage, de quartier. Je ne sais pas comment ce sentiment a réussi à perdurer. J'ai vécu dans d'autres quartiers, mais à Cihangir ce sentiment est bien présent. Les gens se parlent, ils sont pour la plupart dehors, ils ne restent pas chez eux. Il y a une communauté à laquelle on appartient à Cihangir, on peut trouver les gens facilement. De ce point de vue, ce quartier n'a pas changé. Mais le côté coloré du quartier, les couleurs ont disparu par rapport à avant. La gentrification a apporté la municipalité dans le quartier au travers des services, lumières, poubelles, mais en a pris les couleurs. Et puis maintenant il y a des cafés, des cafés et des cafés, il y en a trop ! Il doit y avoir d'autres activités pour garder le quartier en vie, comme des galeries, des bouquinistes.

En quoi pensez-vous que la vie dans le quartier de Cihangir est différente par rapport aux autres quartiers d'Istanbul ?

Pour une famille, la vie à Cihangir doit être difficile. Mais pour des gens célibataires ou des couples, c'est parfait. Il y a une communauté ici, dans laquelle on peut s'intégrer facilement, donc on n'est pas seul. Ce n'est pas un quartier pour les gens qui souhaitent rester chez eux, il faut vivre dehors, il y a toujours quelque chose à faire. Parfois, je dis aux expatriés de profiter de ces dernières années dans le quartier de Cihangir tel que nous le connaissons aujourd'hui. Je pense que le quartier va se remplir d'hôtels. J'ai entendu dire que certaines personnes avaient commencé à acheter des bâtiments à Cihangir, il y a beaucoup d'argent en jeu. Je ne pense pas que cela va rester comme ça.

 

lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Patricia Ruelleux : J'ai 36 ans et je suis française. Je me suis installée à Istanbul il y a quatre ans, quand je suis tombée folle amoureuse de la ville, alors que j'organisais un séminaire sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. C'est dans ce contexte que j'ai eu l'occasion de découvrir la Turquie et Istanbul. Après ce grand choc, je me suis dit qu'un jour, je viendrais m'installer à Istanbul. C'est ce que j'ai fait, il y a quatre ans.

Quelle est votre relation avec le quartier de Cihangir ?

Le quartier de Cihangir, c'est mon quartier, c'est là que j'ai atterri par hasard il y a quatre ans. C'est là où je vis, où j'ai débuté ma nouvelle vie. C'est un peu mon village à moi, j'y ai mes amis, mes habitudes, je connais les habitants et les commerçants. C'est aussi là où j'ai développé mon activité professionnelle, "My Flat Istanbul". Je loue des appartements de vacances pour les étrangers quand ils sont de passage à Istanbul, une semaine ou plus. Toutes mes adresses sont dans le quartier de Cihangir.

Je suis arrivée à Cihangir par pur hasard, c'était un agent immobilier français qui m'avait proposé un studio. Je me souviens que la veille avant d'arriver à Istanbul, je me disais encore "Mince, je ne connais pas l'adresse, je ne sais même pas où j'atterris". Et voilà, il m'a installée dans la rue Faik Pa?a Cadessi à Çukurcuma, à deux pas de Cihangir, qui devient même assez connu, puisque c'est là où a été filmée la dernière scène du film Mustang. C'est une rue où il y a des antiquaires, et moi j'habitais dans un petit studio au dernier étage d'un bel immeuble historique, avec une belle vue sur Istanbul. Et ça a donc été une très belle arrivée à Istanbul.

Qu'est-ce qui vous a séduite dans le quartier de Cihangir ?

J'avais l'impression d'être dans un décor de cinéma ou de théâtre. Avec visuellement une combinaison d'éléments qui s'harmonisait hyper bien. Quand je visualise Cihangir, c'est des auberges d'habitatio, de l'époque XIXème, des petites échoppes de commerçants à l'ancienne, comme des tailleurs, des cordonniers, les petits maraîchers qui apportent leurs couleurs. Ce sont aussi les terrasses et les devantures des cafés qui sont quand même ? il faut le reconnaître ? très bien faites. Il y a un mélange aussi bobo - qu'on aime bien même si on critique- avec ces traditions, les métiers anciens. Et comme ce quartier se situe sur de petites collines, on peut trouver au bout de chaque ruelle une vue sur le Bosphore. On n'est pas coupé du Bosphore, qui participe à la magie d'Istanbul.

De fait, le quartier de Cihangir est souvent le lieu de tournage de films ou de séries?

Oui, Orhan Pamuk précisait dans son livre "Istanbul, mémoires d'une ville" que dans les années 60, on voyait souvent des équipes de tournage débarquer pour tourner des scènes pour un film d'amour. Encore régulièrement, même en hiver, on voit des décors allumés, des petits attroupements devant un immeuble. On voit des équipes tourner des scènes pour des séries turques, qui fonctionnent bien en ce moment. Il y a beaucoup d'acteurs de séries qui habitent ici d'ailleurs, mais c'est aussi un lieu qui se prête au tournage de ces séries. On voit aussi des shootings photos, ou des tournages de clips.

Avez-vous été témoin de changements dans ce quartier ?

Les changements sont toujours nombreux. Je pense que c'est la marque de fabrique d'Istanbul, c'est une ville en mouvement. C'est vrai que les choses définitives ici n'existent pas. S'il y a un café que vous aimez, soyez bien sûr d'en profiter car vous ne savez pas s'il sera encore là dans un an. Même sur le décor en tant que tel, à Cihangir, je me souviens qu'il y avait un tag que j'aimais beaucoup dans ma rue. Je me disais ?j'ai bien le temps de me faire photographier devant?. Il a suffi que je dise ça et le lendemain, l'immeuble a été repeint ! Visuellement, on a des cafés qui naissent et qui disparaissent. Après, les valeurs sûres restent à Cihangir, il y a de bonnes adresses qui sont toujours là et je pense qu'elles vont rester. Il y a également les marches de couleurs qui ont fait leur apparition à Cihangir. Elles sont un des stigmates de la révolution de Gezi, c'était une façon de dire au gouvernement que les Turcs voulaient plus de couleurs dans la vie politique et dans la vie de tous les jours.

Ce qui ne change pas, c'est le fait que les artistes et les étrangers aiment toujours ce quartier. On ne voit pas apparaître à Cihangir de grandes constructions qui pourraient dénaturer le quartier. En quatre ans, certes il y a une ambiance qui a pu changer, mais c'est plutôt lié à l'ambiance générale du pays. Mais c'est un quartier qui ressemble à un village et je pense que c'est ce qui en fait son charme. Les échoppes de commerçants ne disparaissent pas.

Photo Creative Commons

Pensez-vous que le quartier ait subit une gentrification, notamment au travers de la hausse des prix de l'immobilier ? Si oui, est-ce que c'est un plus ou un inconvénient, notamment en matière de diversité ?

C'est sûr que Cihangir fait partie de ces quartiers de la rive européenne où les loyers sont relativement élevés. Ces loyers ont connu un pic il y a deux ans, mais depuis les évènements de Gezi, cette hausse s'est contenue. Je ne dis pas que ce n'est pas cher. Je pense que globalement à Istanbul, les prix de l'immobilier ne sont pas donnés.

Le phénomène de gentrification existe, puisque seuls les gens qui ont les moyens peuvent se permettre d'habiter à Cihangir. Cependant, la gentrification est un phénomène qui arrive dans toutes les grandes villes du monde. Mais attention, la gentrification, c'est en surface. On la remarque car on voit beaucoup d'Américains, d'Européens qui sont installés à la terrasse des cafés. La force de Cihangir, c'est quand même de combiner tradition et modernité. Je dirais que la moitié des habitants de Cihangir sont des Turcs, pas forcément des plus aisés, mais aussi des propriétaires turcs qui habitent ces logements.

En quoi pensez-vous que la vie dans le quartier de Cihangir est différente par rapport aux autres quartiers d'Istanbul ?

On peut dire qu'à Cihangir, il y a "Something in the air". C'est un oasis au c?ur du tumulte d'Istanbul. C'est un petit village préservé avec une certaine ouverture d'esprit. C'est quand même un quartier qui réunit beaucoup d'artistes turcs, d'intellectuels turcs et des étrangers, beaucoup de créatifs et de créateurs. Ce qui a une influence sur l'état d'esprit général du quartier. Suite aux évènements de Gezi, dont on aime dire qu'ils ont démarré dans ce quartier, Cihangir se retrouve souvent comme un point de rassemblement. Lorsque la Gay Pride a été interdite sur Istiklal (l'artère principale de Beyo?lu ndlr) l'année dernière, les gens se sont dirigés sur Cihangir. Dans l'esprit des gens, des Turcs et des étrangers, je pense que Cihangir représente un symbole de liberté. Je ne veux pas dire qu'à Cihangir on est libre, car c'est un grand mot et je ne pense pas que l'on soit libre au fond de soi. Mais il y a une ouverture d'esprit qui est propre à Cihangir.

Vous qui êtes agent immobilier, que pensent vos clients du quartier de Cihangir ?

Les clients sont ravis ! Et chaque jour, je vois des touristes arriver à Cihangir, les yeux écarquillés en me disant "c'est incroyable ici". Je pense qu'ils s'y sentent bien car ils ont des repères à la fois de leur propre ville, des repères "occidentaux", avec le dépaysement de l'orient. Il y a la petite mosquée de Cihangir, le Bosphore, on parle le turc. Il y a à la fois le dépaysement et le sentiment de se sentir chez soi. Je pense que c'est la force de Cihangir.

Les bonnes adresses de Patricia

Les cafés avec jardins secrets ;

Kahve 6

Cihangir, Akarsu Cad./anahtar Sok. 13/A

Café lumière à Çukucurma

Kulo?lu Mh.

White Mill

Pürtela? Hasan Efendi, Susam Sk. No:13,

Cafés à étages feutrés, cachés :

Babel Cafe à Çukurcuma,

Turnac?ba?? Cd. No:56, Beyo?lu

Kaktus Kahvesi

Pürtela? Hasan Efendi, Cihangir 

Cuma à Çukurcuma

Firuza?a, Çukur Cuma Cd. No:53, Beyo?lu

Restaurants :

Demeti, restaurant Mezze, avec vue sur le Bosphore, dans un décor d'appartement

?im?irci Sk. No:6, Turkey

5. kat, avec vue sur le Bosphore

5, So?anc? Sk. No:3, Cihangir, Beyo?lu, ?stanbul

Savoy Bal?k, sans vue sur le Bosphore, Mezze à prix abordables

Cihangir, Bakraç Sk. No:32

 

 

Propos recueillis par Nolwenn Brossier (www.lepetitjournal.com/Istanbul) vendredi 12 février 2016

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Publié le 11 février 2016, mis à jour le 11 février 2016

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