Photo : Panneau de limitation de vitesse, en anglais, français, grec et turc ottoman, en 1919. En arrière-plan, on aperçoit le köşk Huber (arrondissement de Sarıyer) / Musée Impérial de la Guerre (Londres)
À l'occasion du centenaire de la République de Turquie, l’Institut de recherche d’Istanbul propose l’exposition "Ville occupée : politique et vie quotidienne à Istanbul, 1918-1923", consacrée à la période pré-républicaine, particulièrement tumultueuse.
C’est avec la Fondation Suna et İnan Kıraç, que l'Institut de recherche d'Istanbul présente un riche aperçu d’une ville occupée, après la Première Guerre mondiale, par les forces armées britanniques, françaises et italiennes, conformément à l’armistice de Mudros*.
L'exposition se penche à la fois sur les aspects militaires, sociaux et culturels de l'occupation, qui a duré presque cinq années, de novembre 1918 à octobre 1923.
Documents officiels, peintures, illustrations, cartes, photographies, musiques, témoignages… L'exposition offre une large gamme d’archives (dont beaucoup en anglais et en français) qui proviennent de diverses bibliothèques et collections de Turquie, de France, de Grande-Bretagne, de Grèce, d’Arménie et de Russie. La plupart de ces archives sont présentées au public pour la première fois.
Des années de chaos, d’insurrections ouvrières, dans un contexte de changement démographique
Pendant ces années, les habitants d’Istanbul (Constantinople), victimes de l'instabilité économique et de l'inflation, peinent à joindre les deux bouts. Des incendies qui ont ravagé différentes parties de la ville ont rendu des milliers d'habitants sans abri. La forte demande de logements, suite à un afflux d'immigrants et de demandeurs d'asile, entraîne un coût de la vie qui dépasse la moyenne mondiale.
C’est en effet une période où la démographie de la ville change radicalement. La population d'Istanbul comprend notamment des prisonniers, des réfugiés, des travailleurs et des émigrés qui ont fui des régions voisines du Moyen-Orient, des Balkans, et de Russie.
L’exposition montre les habitants de la ville participant à des manifestations de masse pour protester contre la violence et l'occupation.
Par ailleurs, avec l'espoir de meilleurs salaires et conditions de travail, des grèves paralysent les tramways, les ferries et les usines à gaz. Des bagarres entre militaires alliés et civils dans les bars et les maisons closes, des assassinats, des lynchages et enlèvements par des bandes armées sont monnaie courante.
Par ailleurs, "Istanbul sous l’occupation", c’est aussi une ville qui souffre d’épidémies telles que la grippe espagnole (qui a pris d'assaut le monde dans les années 1920), la typhoïde, le typhus, la tuberculose et le choléra, épidémies exacerbées par des mouvements de population sans précédent ; les maladies sexuellement transmissibles deviennent également source de préoccupation.
Naissance de mouvements artistiques, engouement pour les sports et les loisirs
L’exposition révèle que c’est aussi une période où des écoles, des institutions et des organisations communautaires et caritatives voient le jour. Des concerts, des événements culturels sont organisés avec la contribution de divers talents. Fleurissent de nouvelles idées politiques, littéraires et artistiques que reflète une presse en plein développement.
L'arrivée de soldats et de réfugiés, dont de nombreux musiciens et mécènes influents, donne un nouveau souffle à l'industrie musicale d'Istanbul. La musique classique prospère sous le patronage des Alliés et des Ottomans, et des clubs tels que le Maxim, (situé sur la place Taksim) introduisent de nouveaux genres musicaux comme le jazz. Les artistes locaux et immigrés apportent une contribution significative à la scène artistique d'Istanbul à travers leurs performances, en particulier dans le domaine de la peinture. De nombreux peintres s'inspirent de la transformation en cours de la ville (avec la représentation de soldats alliés par exemple).
L’Istanbul occupée est aussi marquée par des événements sportifs, comme l’Olympiade organisée au stade Taksimen 1922, qui réunit des athlètes locaux et internationaux.
Un club de chasse est créé à Maslak, des camps de sports estivaux voient le jour à Kilyos et à Yeniköy. Les compétitions sportives sont stimulées par la présence des troupes alliées, ces dernières souhaitant recréer leurs habitudes sportives. Des courses de chevaux, de polo, des matchs de cricket sont organisées à Bükükdere (Sarıyer), attirant des foules de spectateurs. Des matchs de football ont régulièrement lieu au stade de Taksim entre des équipes de différentes divisions militaires, et/ou clubs locaux. À l'été 1923, Fenerbahçe remporte un match contre une équipe britannique mixte, et décroche la "Harington Cup".
Comme le souligne Lukas Tsiptsios dans l'article "Istanbul de 1918 à 1923", pendant ces années d’occupation, Istanbul "redevient pendant un temps une grande métropole cosmopolite où se côtoient forces d’occupation, réfugiés d’Anatolie, Russes blancs exilés, soldats turcs désœuvrés et les nombreuses communautés caractéristiques de la ville ottomane, qui peuvent de nouveau s’affirmer. Dans cet entre-deux inédit, où personne ne peut réellement prévoir l’avenir de la Ville et de l’Empire, s’entremêlent ces multitudes d’acteurs aux stratégies les plus diverses et bien souvent antagonistes."
L’exposition est visible jusqu’au 26 décembre 2023. Entrée libre, du lundi au samedi de 10h00 à 19h00.
Adresse : Meşrutiyet Cad. No:47, Beyoglu.
> Plus d’informations sur le site de l’Institut de recherche d'Istanbul en cliquant ICI
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(*) Signé le 30 octobre 1918, l’armistice met fin à la participation de l’Empire ottoman à la Première Guerre mondiale