

Nous retrouvons dans la rubrique De blog à blog notre journaliste belge, Melody De Visscher, et ses histoires rocambolesques à Istanbul, qui tiennent en haleine nombreux de ses fans. Aux lecteurs du petitjournal.com d'Istanbul qui ne connaîtraient pas encore son blog à succès, voici les aventures de Melody qui découvre le "syndrome de Natasha"et le subit bien malgré elle
Le "syndrome de Natasha"
Cela fait maintenant quelques semaines que je vis avec mes deux colocs adorées dans notre appart parfait à Cihangir et je dois dire qu'on a trouvé notre routine : chaque matin, Flora me réveille avec un air de jazz joué au piano. Lorsque je me lève, l'air est déjà emprunt de délicieuses effluves de café que Manolya est en train de préparer à la cuisine. On prend alors notre petit-déjeuner ensemble sur notre mini-balcon avec vue sur la tour de Galata.
On pourrait presque croire, comme ça, que notre vie est un long fleuve tranquille. Mais ça, ce serait sans compter le fait qu'être yabanci =étrangères à Istanbul, ce n'est pas de tout repos.
D'abord parce que le surveillant du parking d'en bas, ravi de découvrir que trois blondes ont investi le 3ème étage de l'appartement d'en face, sirote désormais son thé affalé sur une chaise, les jambes écartées et la tête en l'air. Il nous observe sans gêne comme s'il était au cinéma. Pour mettre fin à son manège, Flora a été se plaindre chez le patron, un monsieur d'une soixantaine d'années, qui s'est confondu en excuses et a incendié son employé. Depuis, le voyeur a rangé sa chaise et baisse les yeux quand il nous croise.
"Vous êtes Russe ?"
Ensuite parce que quand Flora et moi nous nous baladons ensemble: on nous demande sans arrêt si on est Russes. Or, tout Stambouliote sait ce qui se cache derrière cette interrogation: ils veulent savoir si on est des prostituées...
Bien sûr, ce genre de réflexion ne vient jamais de la part des Turcs qui ont une certaine éducation. Ceux qui ont étudié à l'université ou voyagé à travers le monde font évidemment la différence entre une femme de joie et une jeune fille de bonne famille. Non, cette insulte sort plutôt de la bouche de certains serveurs et chauffeurs de taxis. Pour ceux-là, une étrangère, blonde, qui parle une langue qu'ils ne comprennent pas, est forcément une "Natasha".
"Natasha", c'est le nom qu'ils donnent aux prostituées car ici, elles sont majoritairement originaires d'Europe de l'Est. Elles ont souvent quitté leur pays pour échapper à la pauvreté. Elles sont arrivées via un(e) compatriote qui leur a promis un job bien payé comme baby-sitter ou serveuse en Turquie. Or, à peine le pied posé sur le sol turc, elles sont violées par un complice, dépouillées de leur passeport et forcées de se prostituer.*
Quand j'explique cela, on me répond souvent qu'il existe également une autre réalité: celle de ces jeunes femmes russes, ukrainiennes ou moldaves qui monnayent leurs charmes de leur plein gré le temps des vacances dans les hôtels d'Antalya. Ou encore celles qui débarquent dans l'unique but de se trouver un mari riche...
Dans tous les cas, ça ne fait pas plaisir d'être assimilée à une Russe. C'est fatiguant aussi car on a beau nier, certains n'en démordent pas. Comme ce serveur qui nous avait posé la question et à qui, j'avais répliqué un très ferme: "Je suis Belge et Flora est Hollandaise." Il s'était alors exclamé, les yeux pétillants: "Ah vous parlez russe alors !"
Adaptation forcée
Parfois, l'interlocuteur ne nous prend pas pour des prostituées mais induit que comme on n'est pas Turques et musulmanes, on a immanquablement les moeurs légères. On n'a donc pas droit au respect qu'ils garantissent aux femmes de leurs pays. Ainsi, un chauffeur de taxi à qui je venais d'indiquer ma destination m'a un jour répondu: "OK baby !", un autre a insisté pour obtenir mon numéro de téléphone mais la palme revient à celui qui a osé me demander " vous vous lavez après avoir fait l'amour avec votre amoureux ?"
Pour éviter ce genre de discussion indécente, chacune à développé sa propre technique. La mienne ? En entrant dans un taxi, je troque mon sourire contre un visage fermé. Lorsque j'indique la direction au chauffeur, je suis polie mais laconique. Après, selon la façon dont il me répond, je vois si j'ai affaire à un homme éduqué ou non. Souvent, j'ai de la chance et je peux alors revenir au naturel.?Et là a enfin lieu un vrai échange culturel : on compare nos modes de vie, nos convictions politiques et le voyage se termine tout en convenances avec des "çok memnun oldum " (très heureux d'avoir fait votre connaissance) et autres " kolay gelsin " (que tout aille bien pour vous). Je retrouve alors la gentillesse et la politesse turque que j'aime tant. Dieu, que ça fait du bien !
Melody De Visscher (www.lepetitjournal.com:istanbul) jeudi 7 juin 2012
* A lire : "De retour de l'enfer turc ", propos recueillis par Samuel Grumiau pour Amnesty International.
Retrouvez Melody De Visscher sur son blog www.istanbulle.com
Istanbulle, c'est le livre en ligne de Melody, une journaliste belge spécialiste des aventures rocambolesques. Depuis son arrivée à Istanbul en mars 2009, elle a essayé de convertir les Turcs au développement durable, habité sur une île, partagé un appart avec un Kurde misogyne, rencontré un Italien tenant une pancarte 'Hug me' devant l'Aya Sophia, tapé dans l'oeil d'un prof de turc atteint de TOC, confié sa crinière à un 'kuaför' local et fréquenté un joueur de tambour recherché par l'armée...
Des anecdotes comme ça, elle en a plein en réserve. Elle en publie une nouvelle chaque semaine, tenant ainsi en haleine de nombreux lecteurs passionnés.
