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ÇA SE DISPUTE – Quelle nationalité pour le café, le lavash ou les dolmas ?

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 22 mars 2016

Gastronomie et fierté nationale ne font pas toujours bon ménage. La Turquie se dispute la maternité d'une multitude de plats ou mets ?nationaux? avec bon nombre de ses voisins. Plagiat, imposture ou appropriation malhonnête, lepetitjournal.com d'Istanbul vous propose un petit voyage historique et culinaire pour démêler le vrai du faux.

La cuisine turque, bien qu'unique par ses spécificités, partage de nombreuses similitudes avec certains mets grecs, bulgares, arméniens, ou encore syriens. La Turquie est le carrefour de la cuisine méditerranéenne et moyen-orientale. Elle a à la fois su s'inspirer de chacune et inspirer ses voisins. Ainsi, vous pouvez vous régaler de feuilles de vignes farcies confectionnées à partir de recettes très similaires dans la plupart de ces pays. Le ?dolma? que vous trouvez dans votre troquet préféré de Be?ikta? vient du turc ?remplir? et devient ?tolma? en arménien, ?dolmadaki? en grec ou ?dolmeh? en arabe, mais où que vous les commandiez, vous pourrez vous délecter de la même recette de rouleaux de feuilles de vignes farcis avec du hachis de viande de mouton mêlé à du riz, des épices et des oignons émincés. Afiyet olsun !

Cette similarité des recettes est due d'une part à la proximité géographique de ces pays, propice aux échanges culturels, et d'autre part au passé partagé, politique et culturel, des pays allant des Balkans au Maghreb. Le point commun de tous ces pays, si différents soient-ils, est qu'ils ont appartenu, en tout ou partie, à un moment de leur Histoire, à l'Empire ottoman.

Cuisine du pouvoir, pouvoir de la cuisine

La Méditerranée était par le passé ? encore plus qu'aujourd'hui ? le lieu d'échanges par excellence. Pendant quatre siècles, l'Empire ottoman a étendu son influence des Balkans à l'Afrique du Nord. La nourriture jouait un rôle précieux, à la fois élémentaire et politique. ?Symboliquement, distribuer la nourriture permettait au sultan de faire preuve de générosité tout en affirmant son pouvoir, de même qu'elle signifiait l'allégeance de celui à qui elle était offerte? analyse Marie-Hélène Sauner dans son article La cuisine ottomane, ou la transmission d'un art de vivre paru dans La pensée de midi. ?Donner, distribuer de la nourriture, était indéniablement la marque et l'attribut du pouvoir.?Les mets raffinés du Palais de Topkap? deviennent un must, la cuisine de Constantinople (qui deviendra Istanbul), un art de vivre.

Dans les Balkans, la cuisine de la capitale est le modèle d'excellence à suivre. Phénomène culturel, les nouveautés culinaires réservées aux plus hautes couches de la société se vulgarisent peu à peu, jusqu'à devenir traditions locales. Ainsi, à travers cet immense espace qu'était l'Empire ottoman, les secrets des köfte (boulettes de viande), du riz pilav, du bulgur (blé concassé) ou encore des pâtisseries et des sucreries se sont répandus, échangés, personnalisés.

Les frontières humaines n'ont aucun sens pour le lavash

Lors du démantèlement progressif de l'Empire jusqu'à sa chute et la proclamation de la République de Turquie en 1923, les frontières nationales réapparaissent mais la culture commune perdure. Ainsi, à peine un siècle plus tard, il nous est difficile de se rappeler qui de l'?uf ou de la poule est venu le premier. La plupart des anciens pays de l'Empire ottoman revendiquent la maternité de ces mets, et l'UNESCO elle-même a bien du mal à leur faire entendre raison.

L'Azerbaïdjan s'est récemment offusqué lorsque l'Arménie a proposé d'inscrire au patrimoine mondial de l'organisation mondiale le lavash (lava? en turc), sorte de crêpe sèche à mi-chemin entre le naan indien et la tortilla mexicaine. L'UNESCO a tranché : le lavash fait donc bien partie du patrimoine culturel immatériel mondial aujourd'hui, et son origine officielle est l'Arménie, au grand dam de l'Azerbaïdjan.

Un dernier pour la route ?

Une péripétie similaire est arrivée au café ?turc?, pour les mêmes raisons que le lavash. Que vous commandiez un café turc, grec, chypriote ou bulgare, l'appellation change mais le breuvage est (sensiblement) le même : un café épais, velouté, à l'arôme très fort. Le débat pourrait s'arrêter là si la politique ne s'en mêlait pas. Un véritable conflit diplomatique est en cours entre la Grèce et la Turquie suite à l'inscription de la nationalité d'origine de ce café sur cette même liste d'héritage culturel intangible du patrimoine mondial de l'UNESCO.

En Grèce, avant les années 1970, le café en question était bien turc, mais son appellation a changé après le conflit entre les deux pays, qui a abouti à la partition de Chypre. S'approprier ce café est alors devenu presque un pied-de-nez au voisin turc. Ce schéma se répète avec l'appropriation de ce café par les Arméniens, dont la relation conflictuelle avec la Turquie n'est pas à rappeler, les Bulgares, ou encore les Égyptiens ou les Libyens.

Mais ce café est-il bien turc ? Le breuvage viendrait en réalité du Yémen, et aurait été introduit à Soliman 1er le Magnifique qu'au XVIe siècle. Encore une fois l'UNESCO a tranché en l'inscrivant tout de même en 2013 sur la liste tant disputée, avec la nationalité turque. La Grèce doit se contenter de l'inscription de son patrimoine et héritage matériel.

Quelques petits derniers pour la route ? Sachez que le ke?kek, le simit, les baklava et le yoghourt font aussi partie de ces plats dont l'origine est disputée de part et d'autre des frontières turques. 

Aline Joubert (www.lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 23 mars 2016

(RE)LIRE : TOP 10 - Les plats préférés en Turquie sont...

 

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Publié le 22 mars 2016, mis à jour le 22 mars 2016
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