Édition internationale

INTERVIEW : Jacques Vergès, l´avocat de la terreur. A vous de juger

Il est calme, imperturbable. L´avocat de la terreur, titre du dernier film de Barbet Schroeder, c´est lui. Installé dans sa suite, Jacques Vergès fait la promotion du documentaire qui sortira le 17 octobre en Espagne. Ses procès furent ultra-médiatisés, et à 83 ans il continue de plaider. Mais il est aussi sur scène, à Paris. Portrait intimiste d´un avocat controversé, anti-colonialiste, conférencier, aujourd´hui acteur?

Jacques Vergès à l'affiche de El abogado del Terror (LPJ)

Lepetitjournal.com : Parlez-nous de votre rencontre avec Barbet Schroeder. Comment vous a-t-il contacté ? Avez-vous accepté tout de suite ?
Me Jacques Vergès :
J'ai d´abord été approché par un producteur, et j´ai reçu à la suite de cela la visite de Barbet Schroeder, qui m´a dit ?Je suis très intéressé par l'idée de faire un film sur vous mais à trois conditions : être le seul responsable des témoins, des documents et du montage". Et j'ai dit "oui "ça l'a surpris.
Mes amis aussi. Ils m'ont dit "Tu es fou tu vas te faire piéger." Et j'ai répondu : ?C'est moi qui vais piéger Schroeder.?

?Piéger?, dans quel sens ?
Je savais que j´apparaîtrais dans plus de la moitié du film et que les gens verraient que "je n´ai pas deux cornes, une langue de serpent et une queue de crocodile", qu'on me jugerait sur mes paroles. "On en pensera ce qu´on veut, mais au moins ça sera moi". Je pense que c'est moi qui ai piégé Schroeder car le film retrace 50 ans de la vie internationale : guerre coloniale, terrorisme d´un côté, torture de l´autre. Tout cela à travers les procès, où je joue un rôle. Les deux tiers du film sont intéressants, parce que j´y suis, et l'autre tiers, c´est de la merde parce que c´est Monsieur Barbet Schroeder qui a monté les documents où il y pose parfois des questions stupides.

Le film est surprenant. Car on fait souvent l´amalgame entre vous et vos clients, et ici on découvre quelqu´un avec de l´humour, parfois sensible. Alors sensible ou pas ?
Alors c'est arrivé. Dans le film on ne me voit pas pleurer (Schroeder a coupé les scènes où je pleurais vraiment);mais on me voit quand même noué et ému.
Je pense que c´est un très bon film malgré Monsieur Barbet Schroeder, comme à chaque fois qu'il fait des documentaires. S´ils sont toujours très bons, c´est grâce au personnage.

Dans le documentaire, vous vous reprenez presque à chaque fois : "mes clients, enfin mes amis??
Mes clients d'Algérie, pas Barbie? [rires]. Comme je le dis dans le film, "je suis né d´un père réunionnais, d´une mère vietnamienne, et je comprends parfaitement la réaction des Algériens face au système colonial".
Les clients, comme beaucoup que j'ai eus en Algérie, sont dans des combats politiques et ils ont besoin d´alerter l´opinion, pour se protéger. Tous mes clients en Algérie ont échappé à une exécution grâce à l'opinion publique.
Mais tous les jours, j´ai d´autres affaires (dont on ne parle pas dans le film), celles de gens plus pathétiques. Un peuple se sent solidaire d´un prisonnier politique, mais pas d´un homme poursuivi pour fraude fiscale, homicide, ou une femme poursuivie pour proxénétisme hôtelier. Le client politique est un héros, mais à côté il y a les gens de tous les jours, vulnérables, car ils se battent seuls. Je défends des prisonniers de tous les jours, et ceux-là me sont très proches.

Qu'est-ce qui vous a amené à la profession d'avocat ?
Je n´avais pas la vocation d´avocat au départ. J´ai fait des études d´histoire mais enseigner ne me plaisait pas. J´ai choisi la profession d´avocat tardivement (à 30 ans) car elle me laisse indépendant. Et quand j´ai été commis d´office, avec mon premier client dans le parloir, je me suis dit : ?Ce type, il me ressemble. Il a fait un braquage, serais-je capable de faire la même chose ? Peut-être".
C´est une curiosité du c?ur humain. Le sujet est toujours le même;dans la littérature, il y a une remise en cause de l´ordre du monde. Les procès c´est la transgression. Il y a une grande parenté. Quand on me demande ?comment pouvez défendre ces hommes, Barbie, Mao??, je prends l´exemple de Dostoïevski : dans ses romans, les héros sont des nihilistes;lui est contre les nihilistes. Mais il s´interroge à leur sujet. Donc on n´a pas à m´identifier à mes clients.[...]

Actualité oblige, peut-on dire que la crise est le procès du capitalisme ? Que diriez-vous si vous étiez l'avocat du système ?
Je dirais : "vous, politiques, de droite et de gauche, vous êtes responsables. On vous a élus pour diriger le monde. Vous ne dirigez rien du tout;c´est l´anarchie la plus complète dans le monde économique". Et le développement économique ressemble aujourd´hui au développement d´une cellule cancéreuse. Il n´y a pas une main secrète qui dirige le tout, c´est l´anarchie la plus complète.

Propos recueillis par Claire Del Bon (www.lepetitjournal.com Barcelone) mardi 14 octobre 2008


Lire l'interview sur Lepetitjournal de Barcelone : cliquez ici

El abogado del terror
Réalisé par Barbet Schroeder
Avec Jacques Vergès, Béchir Boumaza, Hans-Joachim Klein
France, documentaire, 2h15
Plus d'infos et les salles :
http://www.sensacine.com 

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