Le Docteur Paul que nous connaissons bien au Petit Journal Inde pour ses récits qui nous enchantent vient, après plusieurs mois de campagne, d’être élue avec un groupe de ses consœurs à l’ensemble des postes du bureau de la Kerala Society of Ophtalmic Surgeons (KSOS). Une grande première dans l’histoire de la représentativité des femmes ophtalmologues du Kerala. De là à ce que leur fait d’armes se propage en dehors de l’état, il n’y a qu’un pas…


Le Kérala : un État réputé progressiste
Avec ses 33,4 millions d’habitants pour 38.852 km2 en 2011, le Kérala possède une des densités de population la plus élevée du pays. L’État fait figure de modèle de transition démographique dans le pays et récolte les fruits du succès de sa politique ambitieuse en matière de santé et de réduction de la mortalité infantile. Le Kérala possède également le plus fort taux d’alphabétisation en Inde avec 99% de personnes lettrées en 2025 contre 78% en moyenne pour l’ensemble du pays. Le taux d’alphabétisation est quasiment équivalent chez les hommes et les femmes. Le Kérala est réputé disposer du meilleur système de santé de la fédération indienne. (source Wikipédia)
L'Inde : une société encore profondément patriarcale
L’Inde reste profondément patriarcale, ce n’est un secret pour personne. Considéré moderne, le petit État du Kerala, posé à l’extrémité sud de la péninsule, n’échappe pas à cette loi. Il suffit de gratter la surface derrière les statistiques pour qu’apparaisse le visage grimaçant du patriarcat. Les institutions, les organisations professionnelles dont celles de la santé et des organismes qui la constituent subissent toujours cette domination masculine.
L’ophtalmologie, comme l’ensemble du secteur médical, y connaît pourtant un basculement radical : les femmes y entrent en grand nombre. Ces dernières années, la baisse de la rémunération dans les professions médicales, la compétition intense pour les places en faculté de médecine et le fait que les filles obtiennent statistiquement davantage de places ont fait bouger les lignes. Désormais, 80 % des membres de la KSOS dont le Docteur Paul fait partie, sont des femmes.
La KSOS a été crée en 1974. Cette société savante regroupe les ophtalmologues de tout l’État. Parmi toutes ses activités, elle organise plusieurs rendez-vous scientifiques annuels, des cycles de conférences et de formation et publie une revue scientifique trois fois par an. Son rôle est fondamental dans le partage des ressources médicales au Kérala et dans l’ensemble du pays ainsi que différentes actions de terrain notamment en vue de réduire la cécité ou encore la coordination d’une banque de don d'organes pour les yeux (Eye bank Portal.)
Mais lorsqu’on observe la répartition des postes de direction de la KSOS, la représentation féminine disparaît presque complètement au profit de celle des hommes. Les femmes étant souvent réduites à des fonctions symboliques ou décoratives. Dans cette société savante vieille de 53 ans, trois femmes seulement ont accédé à sa présidence.
En dépit de cette accumulation de frustrations et d’injustices, il manquait aux ophtalmologues féminines un facteur déclenchant afin de mettre enfin le feu aux poudres. Ce fut le cas avec la création de We Women Eyes Surgeons, un groupe de discussion et de soutien créé sur WhatsApp. Elles y ont tout échangé : leurs frustrations, leurs histoires personnelles et professionnelles, les nombreuses instances de discrimination subies. Avec une représentativité de plus de 80% de membres, il était temps qu’elles fassent entendre leurs voix.
L’union fait la force
Dans un élan de solidarité avec toutes leurs consœurs, quelques membres audacieuses, dont le Docteur Paul, ont alors imaginé un plan d’attaque : candidater en bloc à toutes les fonctions disponibles au sein du comité exécutif de la KSOS. La loi du nombre rendait leur victoire possible. Alors que ces élections font habituellement l'objet d'un consensus, l’exécutif masculin, au lieu de reconnaître la légitimité de leur démarche, a contre attaqué en présentant des hommes pour chaque fonction. À la date limite de retrait des candidatures, aucune des deux parties n’avait accepté de reculer.
Cet état de fait a ouvert la voie à la toute première élection paritaire que le KSOS ait jamais connue. Les hommes ne se sont bien sûr bien sûr pas privés de mettre des bâtons dans les roues à leurs collègues féminines. L’ex comité directeur est même allé jusqu’à présenter une autre femme au poste de rédaction en chef de la revue scientifique éditée par la société afin de briser leur solidarité. Elles ont tenu bon et le résultat fut tout simplement révolutionnaire : toutes les candidates du groupe de rebelles ont été élues avec une majorité écrasante.
Ce qui n’était au départ qu’une tentative pour obtenir la place qui leur revenait de fait s’est transformé en un mouvement examiné avec attention par d’autres spécialités médicales. Les premiers frissons d’inconfort se propagent déjà : un confrère urologue a récemment lancé
« Tu as entendu ? En ophtalmologie, les femmes ont fait un coup d’État. » « Oui, un coup d’État attendu depuis longtemps! » a aussitôt répondu le Docteur Paul.
















