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Les 13 patientes du Docteur Paul : un péché

Le docteur Paul rencontre Lilly pour des migraines... qui cache un tout autre problème

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Écrit par Frédérique Brengues-Rolland et Docteure Merine Paul
Publié le 18 septembre 2025, mis à jour le 27 octobre 2025

 

Lorsqu'elle entra pour la première fois dans mon cabinet, c'était en septembre. Institutrice dans une école primaire voisine, Lilly Davis tenait à peine debout. Elle souffrait de maux de tête invalidants qui s'accompagnaient de nausées et de vomissements. De petits vaisseaux avaient éclaté sous la peau translucide de sa tempe gauche. Elle m'expliqua au bord des larmes comment les odeurs fortes ou encore les bruits violents la rendaient folle. Je diagnostiquais une migraine et l'a mis sous traitement. Au bout d'une semaine elle allait déjà mieux. À la fin du mois de septembre elle était guérie.

 

L'année suivante c'est au même moment et pour les mêmes symptômes qu'elle me consulta. Les effets des médicaments durèrent un mois également, à la suite duquel elle allait déjà beaucoup mieux. À ma grande surprise elle revint au mois de septembre suivant puis pendant les dix années qui suivirent toujours avec ses migraines, toujours en septembre.

 

Avec le temps, j'avais bien sûr appris à la connaître. Je suivais ses deux enfants et il m'arrivait de la voir plusieurs fois pendant le même mois. Avec retenue et tandis que grandissait notre intimité, elle me parla enfin de son mari. Il travaillait dans l’industrie du pétrole à Abu Dhabi et ne rentrait au Kérala qu'une fois par an. Il n'avait  jamais accompagné sa femme, j'ignorais encore tout de lui. 

Les migraines de septembre, toujours aussi inexplicables restaient un mystère médical.

 

Une moue de dégoût

 

En septembre dernier je la revis encore. J'estimais que ses migraines dureraient un mois comme d'habitude, mais je me trompais. Elles persistèrent en octobre et en novembre. Inquiète, je prescrivit une batterie d'examens. Tous normaux. L'état de Lilly Davis s'était dégradé. La fatigue et la dépression qui avaient creusé des cernes sombres sous ses yeux lui donnaient l'air d'un acteur de kathakali. Ses cheveux en bataille formaient une sorte de halo lugubre et frisé autour de son visage. Je m'adressais alors à elle sans trop de ménagement :

 

 

« Qu'est ce qui a changé Lilly, comment se fait-il que vos migraines de septembre durent  bien plus longtemps que d'habitude. Que s'est-il donc passé?

 

Elle me regarda, les yeux dans le vide, puis baissa la tête. Je me doutais qu'elle cachait quelque chose. Je poursuivais mon interrogatoire :

 

- Cela va peut-être vous sembler insignifiant, mais l'événement qui vient de se produire dans votre vie et que vous me cachez a une incidence directe sur votre santé. De quoi il s'agit-il donc ?

Au bout de quelques secondes, elle se décida à parler. D'une voix assurée elle déclara :

- Mon mari est revenu d'Abu Dhabi et il n'y retournera jamais plus.

C'était donc ça. Elle s’inquiétait des conséquences de la perte récente de cet emploi. 

- Absolument pas. Il a trouvé mieux ici et a décidé de rester avec nous. Les enfants sont déjà grands et il veut être auprès d'eux et... de moi... » 

La moue de dégoût avec laquelle elle venait d'accompagner cette dernière petite phrase m'interpella. Est-ce qu'il la battait, est-ce qu'il abusait d'elle ?

- Jamais de la vie, s'insurgea-t-elle. Bien sûr que non, il est bien trop attentionné,  amoureux et délicat pour ça !

Son dégoût s'était intensifié...

 Enfin, j'y voyais clair ! Pendant toutes ces années, le mari revenait en septembre.

- Oui, admit-elle.

Mon mystère médical était résolu. 

- Seriez-vous allergique à votre mari ? M'hasardais-je. 

Elle me regarda les yeux brillant d'espoir. 

- Peut-on être allergique à quelqu'un ?

- Parlez-moi d'abord de votre vie conjugale. Je verrai ensuite comment vous aider.

Elle hésita, puis, sans prévenir, s'ouvrit tout à moi.

 

La fiancée du Christ

 

Lilly était la fille cadette d'une famille de catholiques pratiquants. Entre sa sœur aînée et la plus petite, elle s'était toujours sentie isolée et mal aimée. Seule l'église lui procurait le réconfort dont elle avait besoin. Très tôt, elle décida de se faire nonne et d’entrer au couvent. L'idée de se fiancer au Christ la plongeait dans l’extase. Dans les familles keralaises catholiques, les secondes filles et les suivantes sont traditionnellement promises à la religion afin, par souci d'économie, d'échapper aux frais de mariages coûteux. Bien que cela ne fût pas l'habitude chez elle, Lilly pensait bénéficier malgré tout de cette manière de faire. De plus, elle n'avait pas du tout envie de se marier. Son cœur se brisa lorsque son père l'informa brutalement et en faisant fi du moindre assentiment de sa part qu'il avait tout préparé pour elle. Son mariage était prévu juste après celui de sa sœur aînée, 

Lilly essaya d'en parler à sa mère mais en vain. Jamais sa fille ne rentrerait dans les ordres.  Et on la maria.

 

Le mari de Lilly était un homme généreux, délicat et attentionné. Elle en convenait. Cependant, les nuits l'angoissaient. Elle détestait qu'il s'approche d'elle. Le sexe lui apparaissait comme... un péché. N'avait-elle pas été promise au Christ ? Comment un simple mortel pouvait-il alors jouir de son corps ? Elle finit par accepter bien à contrecœur les obligations du mariage afin, comme le voulait le Christ, d'avoir des enfants. Deux beaux enfants naquirent de son « sacrifice ».

 

Quelques années plus tard, une infection utérine suivie d'une obstruction tubaire mit fin à sa fertilité. Puisqu'il n'y aurait plus d'enfants, à quoi bon continuer d'avoir des relations ? Quant au plaisir, c'était surtout pour elle un péché.

Et c'est ainsi que commencèrent ses migraines. La mutation de son mari au Moyen Orient, véritable miracle, la préserva onze mois par an de son supplice. Les migraines de septembre prirent le relais lorsqu’il rentrait.

 

Quelques centimètres de peau

 

Au bout de dix ans d'une telle frustration, le mari de Lilly décida de rentrer pour de bon chez lui afin de venir à bout du problème qui affectait son couple.  C'est alors que les fameuses migraines de Lilly s'installèrent définitivement entre eux.  Quelle histoire ! Tout cela m'éloignait résolument de ma sphère de compétence. Je devais faire appel à un psychiatre et à un thérapeute. Lilly s'y opposa puis au bout de six mois commença à aller mieux. J’espérai ne plus jamais devoir m'occuper de ses symptômes psychiatriques.

 

Lors d'un mariage où j'étais invitée je la revis cependant. Le mari que je rencontrais pour la première fois, visiblement très reconnaissant, vint vers moi et me serra chaleureusement la main. Il se tourna ensuite vers sa femme, la prise par l'épaule, et caressa du bout de ses doigts la petite portion de peau nue que le sari ne recouvrait pas. 

 

Lilly parut frémir puis se tourna vers son mari, le visage remplit d'un sourire apaisé.

 

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