L’agriculture, avec tous les secteurs associés (graines, engrais, tracteurs…), est la source principale de revenus d’une grande partie de la population indienne. 70% des foyers des zones rurales dépendent de l’agriculture pour leurs besoins quotidiens et 82% des agriculteurs ont de petites exploitations.
Cependant, l’agriculture indienne est centrée sur la production de céréales (pour lesquelles l’Inde est autosuffisante), très variable selon les régions et forte consommatrice de ressources humaines car peu mécanisée. De plus, elle est encore peu orientée vers le développement durable. Cette dépendance envers la main-d’oeuvre a été mise en exergue avec l’application du confinement le 25 mars 2020. Depuis plus de trois semaines, récoltes, transports et vente des produits agricoles ont été ralentis voire interrompus dans certaines régions et notamment dans les greniers à blé du pays, le Pendjab et l’Haryana. Or, l'activité agricole est tributaire du climat et ne peut être retardée pour cause de confinement, la mousson n’attendra pas que l'épidémie de coronavirus soit contenue.
En Inde, les exploitants agricoles récoltent leur production deux fois par an :
- en mars/avril, pour les semences plantées en octobre/novembre après la mousson, c’est la récolte appelée “Rabi” (le terme date de l’empire moghol et désigne le printemps en arabe), cela concerne blé, maïs, avoine, pois, pois chiches, fenouil, cumin, tomates, oignons...
- en octobre/novembre pour les semences plantées en mai/juin juste avant la mousson, c’est la récolte appelée “Kharif” (qui désigne l’automne en arabe), cela concerne riz, millet, maïs, haricots noirs, arachides...
Alors que le gouvernement indien a annoncé que la récolte de cette saison “Rabi” devrait être exceptionnelle, les agriculteurs ne sont pas optimistes sur les profits qu’ils pourront réaliser. La raison : même si les travaux agricoles et la vente des récoltes sont autorisés pendant le confinement, la main-d’oeuvre et les transporteurs ne sont pas disponibles ce qui retarde tout le processus.
Les petits exploitants n’ont pas d’autre solution que de récolter à la main et en famille ce qui est fortement chronophage. Habituellement, ils se regroupent pour louer une moissonneuse et de la main-d’oeuvre, emballer leurs récoltes et les vendre sur les marchés de gros. En cette période de confinement, ce n’est plus possible. Jagtar Singh, un agriculteur du Penjab a déclaré au média The Hindu que dans les conditions actuelles, la moisson de son champ va durer au minimum 10 jours contre 2-3 habituellement. Il explique : “Je possède une petite exploitation comme la plupart de mes voisins. Généralement, nous nous associons pour la récolte en louant une moissonneuse-batteuse car c’est plus économique et plus rapide. Mais, cette saison, nous ne pouvons pas le faire car le gouvernement a émis des coupons qui nous sont alloués individuellement et qui nous permettent de vendre notre récolte pour éviter que trop de personnes viennent en même temps dans le marché de gros. Comme ces coupons portent des dates différentes pour chacun d’entre nous, nous ne pouvons pas cumuler nos récoltes.” Son principal souci aujourd’hui : “que des orages se déclenchent et détruisent la récolte déjà faite qui est laissée dans les champs à l’air libre faute de moyens de stockage.”
La plupart des petits agriculteurs sont endettés et une perte d’une partie de leur récolte serait catastrophique.
Alors que le Premier Ministre indien s’est engagé à doubler les revenus des fermiers au plus tard en 2022, les mesures prises pour limiter la propagation de l'épidémie de coronavirus viennent contrecarrer ses ambitions. L'inquiétude est grande pour l’avenir de nombreuses petites exploitations et l’approvisionnement en céréales de la population indienne pendant la saison de la mousson 2020. Les directives d’assouplissement du confinement ont notamment pour objectif de faciliter les tâches agricoles qui doivent être faites dans les délais imposés par le climat. Le Maharashtra, par exemple, a autorisé à nouveau les mouvements dans l'état des travailleurs migrants qui sont employés à la journée, en particulier pour les récoltes. Mais, les frontières inter-états étant toujours fermées, le déficit de main-d’oeuvre et la difficulté de transport risquent fortement d’impacter les moissons de cette saison.
Pour en savoir plus sur la population des zones rurales, écoutez Christophe Jaffrelot, chercheur au CNRS, directeur du CERI à Sciences-Po, interrogé par The Wire : “Perception of India Back to Stereotype of Poor Nation”.
L’agriculture est une des composantes significatives du Produit National Brut du pays (PNB). L’Inde se classe au premier rang mondial pour la production de lait, de légumineuses et de jute, au deuxième pour la production de riz, blé, canne à sucre, arachide, légumes, fruits et coton. Le pays est aussi un des leaders mondiaux d'épices, de poisson, de volaille, de bétail et de culture de plantation (source : Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture - FAO). Cependant, même si l’Inde est le premier producteur mondial de légumineuses (25% de la production mondiale), il en est aussi le premier consommateur (27% de la consommation mondiale) et le premier importateur (14% des importations mondiales). (source : FAO - données de 2017-2018)